La légion d’honneur : un des scandales de la République

(Le trafic des décorations sous la 3° République ou « quel malheur d’avoir un gendre !… » )

Ce texte est tiré du livre écrit par Jean GARRIGUES, professeur d’histoire contemporaine à l’université d’ORLEANS, aux éditions ROBERT LAFFONT, sous le titre : « LES SCANDALES DE LA REPUBLIQUE » (février 2004).

Un rappel :

LOUIS XIV crée l’Ordre de Saint Louis, il ne fait pas de discrimination entre les différents grades pour récompenser le courage et la vertu militaires. BONAPARTE reprenant l’esprit de LOUIS XIV, crée la Légion d’Honneur qu’il réserve non seulement aux militaires mais aussi aux civils oeuvrant pour la plus grande gloire de la France. Deux listes sont donc réservées, l’une civile, l’autre militaire. La date : 29 Floréal AN X ou le 19 Mai 1802. LOUIS NAPOLEON futur NAPOLEON III, écarte pour des raisons tactiques les « humbles ou modestes c’est à dire les non-officiers, les plus nombreux !… » de la Légion d’Honneur en leur réservant la Médaille militaire. Devant la levée de boucliers, il réserve aussi cette simple récompense – qui n’est pas un Ordre national – aux maréchaux de France et généraux grand -croix de la L.H. pour faire avaler la pilule de cette imposture.

AUJOURD’HUI : rien n’a changé depuis 1852, sauf que la discrimination s’est accentuée !…

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Le 7 Octobre 1887, le XIX° siècle, un journal proche des boulangistes, révèle à ses lecteurs que l’on trafique sur la Légion d’Honneur au Ministère de la Guerre et qu’il y a une côte des « rubans rouges » comme pour les valeurs de bourse, variant suivant les saisons, les demandes, de vingt cinq mille (1) à cinquante mille francs (2). Et sur les boulevards, les vendeurs de journaux dénonçant le scandale du jour annoncent : « … Scandale des décorations au ministère de la guerre. Un général marchande des rubans . »

Le général en question n’est autre que CAFFAREL, héros de MAGENTA, sous-chef d’état-major de l’armée. A la suite d’une enquête confidentielle menée par le préfet de police, il est établi que CAFFAREL a trempé dans un commerce illicite de décorations officielles. Pour éviter le scandale, il est mis à la retraite d’office, le décret étant signé au matin par le Président GREVY. Puis l’opinion informée, on arrête CAFFAREL et quelques comparses.
On apprend que le comte d’ANDLAU, sénateur et général, s’est fait le complice de ces aigrefins. Une femme interrogée, affirme qu’elle détient des lettres du général THIBEAUDIN, ancien ministre de la guerre. Compromis par ces courriers mi-amoureux mi-compromettants, le général démissionne de son commandement de la place de PARIS. Mais il y a mieux que ce général, encore plus haut placé et plus puissant, il y a le gendre du président de la République lui-même, Daniel WILSON, qui a orchestré le trafic des décorations.

Après avoir nié devant le juge, nié devant les journaux et les inondant de ses démentis, on apprend par les journalistes que WILSON, le sémillant gendre du président a traité près de vingt trois mille dossiers, qu’il avait aussi des correspondants à l’étranger. Préférant faire souscrire ses « clients » à ses journaux plutôt que d’en recevoir de l’argent comptant, il défendait ainsi fort bien son groupe de presse.

A la chambre des députés, malgré l’opposition du président du Conseil – le premier ministre de l’époque – une commission d’enquête parlementaire est constituée.

Le procès des comparses, qui dénoncent Wilson, condamne à trois ans par contumace le général-sénateur d’ANDLAU qui s’est enfuit. Mais en même temps, on apprend à l’occasion de cette audience que la police a falsifié deux pièces majeures du dossier d’instruction, deux lettres envoyées par WILSON à une de ses comparses.

Le lendemain, le préfet de police est révoqué et les députés d’opposition obtiennent les poursuites contre Wilson, ce qui fait dire aux journaux satiriques de l’époque : « … Vous êtes priés d’assister au convoi, service et enterrement politique de monsieur Daniel WILSON, dit le roi des tripoteurs, décédé moralement, à l’âge de cinquante ans, à la suite d’une Trucomanie limousinarde aiguë, contractée à l’Elysée pendant sa campagne de tripotage . » Le gouvernement est renversé ensuite à la suite de l’action de Georges CLEMENCEAU, le chef des radicaux.

Reste GREVY, impassible statue du Commandeur, réfugié dans un silence hautain.

Finalement, il jette l’éponge le 2 Décembre. Sont également conspués, WILSON, GREVY, et FERRY, l’homme des expéditions coloniales, FERRY le Tonkinois, qui pourtant n’est pour rien dans ce scandale. L’obscur Sadi CARNOT est élu président de la République par le Congrès réuni à VERSAILLES. « Je vote pour le plus bête » aurait dit CLEMENCEAU. « C’est la théorie de la médiocrité qui commence » écrivent les GONCOURT.

En guise de conclusion et de moralité, WILSON condamné ensuite à deux ans de prison, à une forte amende et à cinq ans d’inéligibilité, s’en sortira de très curieuse manière. En effet, contrairement à ce que l’on aurait pu croire, sa carrière ne s’arrêta pas là, 4 ans après il est élu maire de LOCHES en 1892, il est re-élu à la députation l’année suivante. Entre-temps, un autre scandale a éclaté, éclaboussant l’ensemble du monde parlementaire, c’est le scandale de PANAMA.

(1) soit environ 75000 euros ou 500.000 francs actuels
(2) soit environ 150 000 euros ou 1 Million de francs actuels

L’ADEFDROMIL, poursuivant son combat combien légitime, pour un système de récompense juste et conforme à l’esprit de BONAPARTE, continue de condamner l’attribution de la Légion d’Honneur à titre militaire qui prive les non officiers du premier Ordre national, pour la réserver à une grande majorité (2/3) à des officiers non cités et d’origine directe, véritable promotion  » paquetage ». Il dénonce la désobéissance de la hiérarchie du ministère aux ordres du Chef de l’Etat du 5 Février 1996, publiés au J.O. le 9 Février 1996, et toujours non exécutés par le ministère et dans la plus parfaite ignorance de la Grande Chancellerie.

Le premier grand Chancelier fut un civil, LACEPEDE ; depuis 1815 tous les grands Chanceliers qui lui succédèrent furent des officiers généraux, qui presque tous s’illustrèrent au feu. Mais depuis 1996, l’actuel grand Chancelier est le premier officier général sans titre de guerre (sans citation au combat) à occuper ce poste prestigieux. Un signe des temps ?

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