La raison du plus « chef »… n’est pas toujours la meilleure

Il ne s’agit pas d’imposer un « système syndicaliste », loin s’en faut, mais simplement de permettre aux militaires de faire valoir des droits (on parle toujours de devoirs) sans être obligés de se demander quelles seront les mesures de rétorsions qui seront appliquées au demandeur un peu trop « curieux ».

Certains de nos « chefs », si aisés dans leurs discours stéréotypés et prompts à masquer nos difficultés, ont manqué à leur devoir en oubliant radicalement de protéger les droits de leurs subordonnés et en laissant la situation se dégrader malgré certains signes avant-coureurs. La chanson est bien connue de tous, faire croire que tout va bien dans le meilleur des mondes : « Arrêtez de vous plaindre, la hiérarchie est au courant des difficultés etc.» et ce n’est pas le fameux rapport sur le moral (arbre qui cache la forêt) entre autres, qui risque d’inverser la tendance. Quand on sait que les questions sont dirigées et les réponses triées sur le volet, on peut se permettre de douter… Somme toute un des sophismes pratiqués dans la règle de l’art.

L’armée professionnelle a eu le mérite de dévoiler le vrai caractère et l’incapacité de certains chefs à commander des hommes dans le plus pur respect de l’être humain. Devenus « incolores » voir incompétents, ces « chefs » sont plus soucieux de diriger leur carrière que de s’attacher à écouter leurs subordonnés bien plus au fait des réalités. Il est plus facile de se voiler la face en ironisant sur le bien fondé d’une association (qui a le mérite de vouloir faire bouger les choses) et de préconiser la fermeté pour mieux étouffer les voix qui s’élèvent en toute légitimité.
Moi, j’ai plutôt la sensation qu’elle jette à la face de ces « soi-disant chefs », la réalité du quotidien qu’ils refusent obstinément de regarder sous prétexte qu’ils sont les CHEFS.

Commandant, dans votre article* vous déclarez que « notre système hiérarchique a tout de même pour valeur celle de permettre à un chef de contraindre la volonté d’un subordonné à la sienne… »
Certes, d’un point de vue purement militaire, le chef reste le chef mais le vrai chef reste avant tout celui qui sait porter une oreille attentive aux difficultés de ses subordonnés, respecter leurs droits, trouver des solutions appropriées, agir en toute équité (règlement militaire et devoir du chef) et qui est capable de reconnaître ses propres erreurs ou torts lorsqu’ils surviennent.
Un chef ne doit pas oublier qu’il est d’abord un simple être humain avec tout ce que cela comporte : l’erreur n’est pas une preuve de faiblesse bien au contraire ; la reconnaître force le respect et est souvent plus honorable que d’imposer « ses ordres » par le « forceps ».
Contrairement à ce que pourrait croire l’auteur de l’article précité, j’ai eu la grande satisfaction de servir des « patrons » qui avaient les qualités de Vrais Chefs.

Le manque « d’humanisme », l’attitude « possessive » voire « tyrannique » de quelques chefs « déviants » (bien plus nombreux que vous le laissez entendre), ont également favorisé la disparition de la cohésion qui faisait aussi la force de notre institution. J’ai été témoin de certains comportements douteux dont les auteurs relevaient plus de la psychiatrie que de l’acte de commandement qu’ils pensaient légitime.
Comment alors ne pas se poser la question sur la moralité, l’équité, l’honneur, l’honnêteté, la dignité et toutes ces valeurs que l’on m’a inculquées et que je n’ai jamais perçues chez ces « gens-là » ?
Et ne me dites pas, commandant, qu’en contrepartie de cette « obéissance », le subordonné se sent protégé (dans tous les sens du terme) !

La notion de présomption de culpabilité est la seule qui prévaut au point d’en perdre parfois votre dignité sans compter les conséquences, souvent dramatiques, du jugement rendu et faussé par l’aveuglement du sacro-saint : « le chef a toujours raison ».
Le harcèlement moral (quand il n’atteint pas aussi votre vie privée) n’est pas une exclusivité du secteur civil, les menaces déguisées sont plus que monnaie courante…

Le SCH ANDREE vous demandait si vous n’aviez pas l’impression d’être « à côté de vos pompes ».
Alors, commandant, pour reprendre une expression consacrée, je vous invite à descendre de votre « tour d’ivoire » pour mieux apprécier la situation et méditer sur quelques questions qui me viennent à l’esprit :

Ne pensez-vous pas que l’ambition, le carriérisme, la démagogie (et parfois même le culte de la personnalité), finiront par occulter l’essence même de la valeur humaine ? Vous prônez le retour en force de la hiérarchie pure et dure. Mais qui est à l’origine de la « dépréciation » des grades ? Qui fait faire à un adjudant-chef ce qui est de la responsabilité du sergent ? (et les exemples sont nombreux). Etes-vous de ceux qui pensent encore que la « cheville ouvrière » de notre armée, avec son titre et son rang, semble plus « bête » que la moyenne, moins réaliste et juste bonne à exécuter les ordres ? Vous écrivez que « le vieux mirage du syndicalisme militaire refait surface, sorte de Titanic grotesque… ». Ne pensez-vous pas qu’il est la conséquence d’une « incapacité latente » de la hiérarchie à résoudre les attentes légitimes de leurs subordonnés ? Il ne s’agit pas de reformuler de façon cyclique une « préoccupation » qui, depuis quelques années et pour cause, s’est transformée en un mal chronique. Mesures d’urgence, OUI (pas celles que vous préconisez en priorité où vous n’avez rien compris !). Descendre dans l’arène OUI, mais qui l’osera en l’état actuel ? Enfin, croyez-vous que commander par la « fermeté » (ou devrais-je dire un « excès de commandement » je suis gentil !) amènera le respect et le dévouement des subordonnés ?

Qui parle d’ antinomie ?

Le ton semble donné, je dirais même que la partition future est en place prête à être jouée. L’orchestration risque d’être désordonnée car les clignotants sont passés au rouge depuis longtemps. Pour s’en convaincre il suffit de voir la valse des départs qui est la seule réponse (autorisée !) que peuvent apporter les militaires pour marquer leur mécontentement et leur désapprobation. La DPMAT peut bien « ouvrir » les robinets des écoles et « repêcher » à l’avancement des personnels qui étaient encore, il y a peu de temps, des « condamnés » à rejoindre le civil. Aujourd’hui je prends toute la mesure du mot gestion que prononçait la DPMAT à toutes les questions posées devenues trop impertinentes ou militairement incorrectes. Et maintenant quel sera le nouveau mot magique ?

Sachez enfin, que je me suis engagé par vocation au sein d’un corps de troupe qui, à l’époque, formait les engagés. L’instruction dispensée était basée, entre autres, sur de vraies valeurs morales, le respect des autres et la fierté d’appartenir à une « famille ». J’ai gravi tous les échelons du rang pour finir comme sous-officier supérieur et je ne regrette pas la carrière qui a été la mienne. Je l’ai menée avec la conscience d’avoir agi, dans mes actes et mes paroles, guidé par l’esprit même de la sagesse de mes anciens ainsi que par l’expérience acquise.

Avec le recul, il m’a fallu me rendre à cette triste évidence : le corps des sous-officiers, auquel j’ai toujours été fier d’appartenir, n’est plus respecté, peu considéré et encore moins écouté.

A la lecture des propos tenus par le Chef DRH de l’école mère des Sous-officiers, l’avenir du futur sous-officier « formaté » semble vouer à un monde fait d’incompréhension et d’absence totale de dialogue avec sa hiérarchie.

Il y aurait encore long à débattre mais le « poil à gratter » (l’Adefdromil) a le grand mérite de faire en sorte que la « Grande Muette » ne le soit plus tout à fait. La bataille risque d’être longue et difficile mais la censure imposée par la hiérarchie militaire ne doit pas entraver la volonté des simples citoyens que nous sommes avant tout (qu’on se le dise !).

Chacun son rôle ? Certes.
Chacun à sa place ? Sans doute.
Mais la raison du plus « chef »….n’est pas toujours la meilleure !

* Entre sophisme et antinomie (Armées d’aujourd’hui n°286)

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