Question parlementaire – Sénat n° 00036 – Développement des entreprises militaires et de sécurité privées dans le monde

Développement des entreprises militaires et de sécurité privées dans le monde

16e législature

Question écrite n° 00036 de M. Pierre Laurent (Paris – CRCE)

publiée dans le JO Sénat du 07/07/2022 – page 3190

M. Pierre Laurent attire l’attention de M. le ministre des armées sur le développement inquiétant des entreprises militaires et de sécurité privées (EMSP) dans le monde.
Depuis la fin de la guerre froide le recours à ces entreprises a explosé. La dénonciation des activités criminelles de plusieurs EMSP opérant en Afghanistan et en Irak a permis d’ouvrir le débat à leur sujet. C’est dans ce contexte qu’est élaboré en 2008 le document de Montreux qui, sans créer de normes juridiques internationales nouvelles et contraignantes comme pour le mercenariat, vise à clarifier les obligations juridiques des EMSP concernant le droit international humanitaire et les droits humains. De plus, il paraît de plus en plus évident que ces entreprises dans certaines circonstances sont susceptibles de prolonger volontairement la durée des hostilités pour maximiser leurs bénéfices. Par ailleurs des experts estiment qu’elles créent uniquement des îlots de sécurité et renforcent les dysfonctionnements dans les pays d’intervention dotés de gouvernements défaillants, voire même empêchent le développement d’institutions étatiques durables. Il n’est dès lors pas étonnant que ces entreprises ont une longue histoire sur le continent africain, favorisée par deux éléments : la faiblesse des institutions gouvernementales de certains pays et la richesse de ses sous-sols. Engagées directement par les gouvernements ou les puissances étrangères actives sur les territoires nationaux, lesdites entreprises sont de nationalités diverses. À côté de firmes françaises (Secopex), britanniques (Aegis Defence Services Ltd.), américaines (Erickson Inc., Berry Aviation Inc., etc.) et ukrainiennes (Omega Consulting Group), il y a des sociétés russes comme Wagner Group sans parler de certaines sociétés dont la nationalité est incertaine. Un rapport du Pentagone de 2017 faisait, quant à lui, état de 21 firmes américaines de sécurité privées au Sahel !
Pour toutes ces raisons et face à la dégradation importante des relations internationales le recours et l’opportunité du recours aux EMSP apparaissent de plus en plus mis en cause notamment du fait qu’il s’agit d’une privatisation de missions habituellement propres à l’État. Il lui demande ce qu’il compte faire en vue d’agir pour contrer cette logique au niveau national, européen et international. Dans l’immédiat il serait utile d’agir au niveau de l’organisation des Nations unies (ONU) pour que la France œuvre en faveur d’un traité international régissant ces entreprises qui s’appuierait sur le travail du document de Montreux.

Réponse du Ministère des armées

publiée dans le JO Sénat du 20/10/2022 – page 5119

Le droit international et européen autorise, tout en l’encadrant, le recours aux entreprises de service de sécurité et de défense (ESSD). Ainsi, en période de conflit armé international ou non-international, le droit international humanitaire (DIH) régit à la fois les activités des agents employés par ces sociétés privées, la responsabilité des États qui les emploient, les obligations des États où elles exercent ces activités et de ceux où elles sont enregistrées. Le droit international humanitaire, qui distingue notamment les activités des ESSD de celles du mercenariat, oblige les États contractants à faire respecter le DIH par les entreprises qu’ils mandatent. En tout état de cause, aucune disposition du droit international n’interdit le recours aux ESSD par les États, les ONG, les organisations internationales ou tout acteur privé. Dans ce contexte, le document de Montreux, adopté par l’Union européenne et la France, dresse un état des lieux du droit en vigueur et des bonnes pratiques qui devraient être mises en œuvre. Sa rédaction reflète un compromis entre les différentes approches des États à l’endroit des ESSD, le point d’équilibre ainsi atteint constituant un édifice qu’il convient de ne pas fragiliser. Le document de Montreux consigne un ensemble d’obligations juridiques internationales existantes et de bonnes pratiques encadrant les activités des ESSD afin qu’elles respectent le droit international humanitaire et les droits de l’homme. La France promeut l’universalisation de ce document ainsi que l’application du droit international en vigueur et des bonnes pratiques référencées dans ce document. En 2010, un groupe de travail a été créé par le Conseil des droits de l’homme des Nations unies afin d’élaborer un instrument international juridiquement contraignant sur la réglementation, la supervision et le contrôle des activités des entreprises de services de sécurité et de défense. Dans la continuité des sessions précédentes, par sa résolution 36/11 du 28 septembre 2017, le Conseil des droits de l’homme a décidé de créer un nouveau groupe de travail intergouvernemental à composition non limitée, pour une période de trois ans, chargé d’élaborer le contenu d’un cadre réglementaire international sans toutefois préjuger de la nature de celui-ci. L’Union européenne participe au processus de discussions au nom des États membres et la France reste mobilisée afin que ce processus se déroule de manière constructive. Par ailleurs, les États ont l’obligation de faire respecter les droits de l’homme et le droit international humanitaire par les ESSD opérant sur leur territoire. Enfin, conformément au droit commun, les personnels de ces entreprises sont responsables pénalement en cas de violation des droits de l’homme ou du droit international humanitaire. Enfin, au plan national, il résulte d’une jurisprudence bien établie du Conseil constitutionnel que la délégation législative de fonctions régaliennes au profit de personnes privées n’est pas conforme à la Constitution (Décision n° 2002-461 DC du 29 août 2002 ; décision n° 2003-467 DC du 13 mars 2003 ; décision n° 2021-940 QPC du 15 octobre 2021). Ainsi, les entreprises de sécurité privées françaises ne peuvent être autorisées à assurer des missions régaliennes. Le code de la sécurité intérieure encadre par ailleurs les conditions et modalités d’exercice des activités privées de sécurité, dont la régulation est assurée depuis 2012 par le Conseil national des activités privées de sécurité.

Source :

https://www.senat.fr/basile/visio.do?id=qSEQ220700036&idtable=q408961|q411301|q415772&_md=Arm%E9es&_c=arm%E9e&rch=qa&de=20211121&au=20221121&dp=1+an&radio=dp&appr=text&aff=ar&tri=p&off=20&afd=ppr&afd=ppl&afd=pjl&afd=cvn

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