Syndicat ouvrier plus efficace que diktat militaire ?

Le conseil de l’Europe invite les Etats, dans sa résolution du 30 juin 1988, à accorder aux membres professionnels des forces armées le droit de créer des associations pour protéger leurs intérêts. Voire même, selon sa recommandation 1572 diffusée le 3 septembre 2002, à donner dans des mesures raisonnables des droits syndicaux aux militaires. Ce dont depuis plus de vingt ans aucun Ministre de la Défense (de France) ne s’est le moindrement soucié, encore moins le ci-devant d’aujourd’hui, la solution ne devant pas se trouver… sous les sabots de son dernier yearling.

Il en est même un(e) qui tenta de diaboliser l’Adefdromil (lui faisant au passage une excellente publicité) en l’accusant sans vergogne de visées syndicales pures et dures, quand manifestement l’Association ne fait que dans l’assistanat social.

Ainsi, bien que mythe puisqu’en échange de son ambition militante il aurait à renoncer à son propre avancement et que sans avancement il n’y a pas de chef, le « chef défenseur des intérêts de ses subordonnés » reste donc en France une affabulation d’une inefficacité rare et d’une anesthésie douteuse, dont le seul but est de retarder la mise en place d’une véritable défense sociale des militaires.

Aucune confusion n’est donc possible entre militant et militaire. Si les deux termes commencent à l’identique, leur terminaison lève toute ambigüité : à l’opposé du premier qui demande tant, le second ne pourra que se taire.

Ce qui pour ses militaires fait de notre Pays, Patrie des Droits de l’Homme, celui des droits régaliens du Chef.

Dans nos colonnes depuis 2001, nombreux sont les exemples de victimes de ce pouvoir féodal sur le social, répétons-le. Pas sur l’opérationnel, où les droits et devoirs du Chefs sont indiscutables.

En voici un autre…

L’Adjudant-chef D. est en service au énième bataillon de transmissions. Nommé à ce grade à 36 ans seulement, eu égard à ses mérites, il cumule 20 ans de grade à son récent départ en retraite.

Sa dernière feuille de notes fait état d’un ensemble de qualités foncières, présentation, maîtrise de soi, autorité, esprit d’initiative, vivacité d’esprit, jugement, expression, sens de l’organisation, ardeur au travail, esprit d’équipe, esprit de discipline, dignité, égard dû aux subordonnés, sens pédagogique, faculté d’adaptation, toutes cotées au maximum ++. Ne manque que le 13ème mois.

Ses séjours au Kosovo, Tchad, Gabon et Liban, le font remarquer pour « ses qualités techniques, d’instructeur de grand niveau et d’homme de terrain« . Médailles, citations, lettres de félicitation émanant d’autorités à l’étranger en témoignent.

Aussi loin que l’on ait pu remonter dans le temps, ce sous-officier n’aura reçu que des éloges. Pourtant un cancer éradiqué, une enfant handicapée et le travail auprès d’ouvriers civils moins consciencieux et pour cause puisque mieux syndiqués que lui, ne l’avaient guère épargné.

Bien que non dépourvu de sens du contact et de la communication, ses dernières appréciations littérales le soulignent, ce sera par son chef d’atelier ouvrier syndicalement protégé et la frilosité de son Chef de corps face à lui, qu’il devait connaître la disgrâce.

Il faut dire que le rapport adressé à sa hiérarchie (trois fois pour cause de blocages discrets par les échelons intermédiaires mis en cause) par cet Adjudant-chef aux références contraignantes était un véritable coup de pieds dans la fourmilière. « Perruque », travail au noir, horaires et congés fantaisistes, subordinations hiérarchiques civilo-militaires contre nature, distorsion d’emploi, mentalité négrière dans la distribution sélective des tâches subalternes et dysfonctionnements y afférant, préoccupaient davantage que le travail dont étaient redevables civils et militaires de cet atelier. L’atmosphère délétère en résultant était pour les jeunes Sous-officiers une source de démotivation que dénonça fortement le rapporteur. Il semble même qu’était là, avec la perte de crédit de l’atelier auprès de sa clientèle militaire, ses deux seuls  soucis de fin de carrière.

Comme de règle dans le « chef défenseur des intérêts de ses subordonnés », cette conscience professionnelle devait sans attendre être récompensée par un premier diktat, celui de la perte du potentiel major, certes rectifiée à sa demande au regard de son profil de notation qu’il eût été hasardeux de descendre après tant d’années de louanges, mais le mal était fait. L’Institution n’aime pas qu’on lui résiste, surtout en lui faisant valoir son bon droit.

Alors que sur le papier il aurait dû être depuis deux ans chef de cet atelier, fromage d’un titulaire civil n’ayant ni la qualification ni le niveau catégoriel requis, l’Adjudant-chef D. se retrouva au placard à l’infirmerie dans un poste administratif, affectation lui étant signifiée oralement au retour du Kosovo, où il s’était une nouvelle fois brillamment distingué. Le Kosovo est une chose, le ronron métropolitain en est une autre pour un Chef de corps ayant une famille et des ambitions à nourrir.

A ce stade, D. décida de se saborder, car ici user de son bon droit c’est se saborder. D’abord en demandant à son Chef de corps de lui adresser copie de la décision d’affectation à l’infirmerie. Puis, devant l’impossibilité pour celui-ci de la produire puisque sa décision avait été orale, en saisissant la Commission de Recours des Militaires auprès du Ministre (CR2M).

Le ton est rapidement donné par la CR2M : « la copie de l’acte contesté n’étant pas jointe à votre recours, vous êtes mis en demeure de la produire par lettre recommandée avec avis de réception dans un délai de deux semaines à compter du jour de réception du présent courrier. ». Ceci ne manque pas de sel si l’on se souvient que l’intéressé se plaignait précisément de ne pas pouvoir obtenir la moindre copie de sa hiérarchie !

In fine le Chef de corps se fendit, et par précaution supplémentaire largement hors délai, d’un certificat de position militaire mentionnant pourtant le poste réellement tenu contesté. La CR2M l’accueillit en ces termes : « Un tel document n’étant pas susceptible de faire l’objet d’un recours administratif préalable devant la commission des recours des militaires [il fallait une « décision »], j’ai décidé [non pas d’astreindre le Chef de corps à la fournir, au titre de son obligation de devoir procéder à toute mesure utile à l’instruction et à la lecture du Ministre.] de procéder au classement de votre dossier ». Autre diktat on ne peut plus clair pour montrer son camp…voire une collusion bien pratique entre la Commission et le Chef de corps pour faire taire celui qui demande un juste retour de considération.

Epilogue

Ouvriers syndiqués.

Aucunement inquiétés, voire même promus par le chef.

Chef de corps.

Comme « chef défenseur des intérêts de ses subordonnés », se dédouana par la mise au placard de l’Adjudant-chef à l’infirmerie en raison fallacieuse de son mal être en atelier, de son enfant handicapée, de son cancer guéri, de sa paranoïa, bref de sa dépression (psychiatrisation bien connues en pareille circonstance)…alors que pour le Kosovo et autres OPEX, il était bon pour le service. Rien, naturellement, sur son rapport dénonçant les dysfonctionnements de son atelier raison unique et inique de sa disgrâce.

Commission de Recours des Militaires.

La grande illusion : n’a que faire des états d’âme d’un Adjudant-chef en fin de carrière, ni (les loups ne se mangent pas entre eux) des agissements d’un Chef de corps qui en seraient la cause.

En aucun cas la pièce absente au dossier, c’est-à-dire celle qui précisément faisait l’objet de la demande de l’intéressé, ne justifie la mise à la poubelle du recours si la Commission avait réellement vocation à aider le requérant.

De surcroit,  s’il n’entre pas dans le champ de compétence de la CR2M de pouvoir statuer en l’absence de cette pièce, le Conseil d’Etat a déjà répondu. Voici son Arrêt dans une autre affaire :  » Considérant que, saisie d’un recours qui ne relève pas du champ de sa compétence consultative, la commission des recours des militaires, organisme administratif relevant de l’Etat, est tenue de transmettre ce recours au ministre de la défense compétent pour y statuer… ».

On peut raisonnablement supposer que l’impulsion nécessaire au Chef de corps pour expliquer son comportement lui aurait été donnée par retour de courrier. Mais ceci est une autre affaire, fort bien expliquée par le Président de l’Adefdromil dans son livre « Pour que l’Armée respecte enfin la loi », livre qui devrait être offert de toute urgence aux membres de la Commission des recours des Militaires au Ministre.

Adjudant-chef D.

« L’Armée était sa seconde épouse ». Après une carrière exemplaire et reconnue comme telle, a quitté l’institution militaire avec le sentiment d’avoir été trahi et la certitude, puisqu’il le constate ainsi au quotidien, que la blessure sera longue à se refermer.

Ce sort que l’Institution réserve à du personnel de qualité, défenseur désintéressé de nos valeurs militaires, hypothèque gravement la motivation du jeune voulant faire carrière. Il n’y aura personne pour s’en soucier car pour un Mozart qu’on assassine, les joueurs de flûte ne manqueront jamais.

Témoin-surprise : Napoléon 1er.

« C’est toujours un signe inquiétant de voir se développer dans l’armée l’habitude de chercher quelque bouc émissaire à sacrifier à l’occasion de chaque faute. Cela prouve qu’il y a quelque chose qui ne va pas dans le haut commandement. Un tel état de choses stérilise l’esprit d’initiative des subalternes qui n’osent plus prendre une décision, ne cherchent plus qu’à se couvrir pour tout ce qu’ils entreprennent et se perdent en fin de compte en de misérables arguties au lieu de prendre leurs responsabilités en toute indépendance d’esprit. Le résultat habituel est de réserver les hauts postes à ceux qui se courbent toujours devant l’opinion de leurs chefs tandis que végètent dans les bas emplois les hommes qui ont une valeur réelle, qui n’acceptent pas les idées toutes faites et sont capables de se faire une opinion par eux-mêmes. »

Depuis cette époque, un grand progrès car maintenant on ne cherche plus de bouc émissaire à l’occasion de chaque faute : il est tout trouvé en la personne de celui qui la dénonce.

Pour le reste, rien de changé.

Mariallio

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