Depuis quelques mois déjà, c’est à grand renfort de campagnes publicitaires du plus bel effet que les Armées tentent de susciter engagements et vocations et … éventuellement l’inverse !
Mais à l’heure où environ 50 % de nos jeunes engagés volontaires seront amenés à l’avenir à embrasser des carrières de Sous-Officiers, l’Etat-Major a également ouvert des promotions supplémentaires de formation de Sous-Officiers afin de palier un déficit, devenu désormais chronique, d’environ 2000 hommes.
Mais, s’est-on seulement interrogé sur les raisons qui peuvent conduire à autant de départs spontanés de Sous-Officiers ?
Ces départs sont-ils finalement aussi spontanés que cela, ou bien « aide »-t-on ces militaires à quitter l’Institution ? Et d’ailleurs comment les aide-t-on réellement ?
L’omerta là aussi fait son oeuvre, mais il est temps aujourd’hui d’oser dénoncer les méthodes utilisées pour remercier un Sous-Officier, à défaut d’un remerciement, alors que la préservation des effectifs demeure un discours quotidien dans les unités.
Voici donc encore un paradoxe, illustré à travers l’exemple édifiant d’un jeune Adjudant-Chef, qui vous résume en quelques lignes sa carrière exemplaire et … une fin en queue de poisson, dont le commandement, pour peu qu’il puisse encore assumer son rôle conformément à l’article 10 du statut général des militaires, ne peut être fier !
« Engagé le 1er avril 1983 (non, ce n’était pas un poisson d’avril !), ce monde jusqu’alors inconnu m’apporte très vite des motivations que je ne soupçonnais même pas.
Saint-Maixent est une première étape, certes délicate, mais durant laquelle il me fût permis de découvrir et d’appréhender les bases de mon futur métier de soldat et de meneur d’hommes. Dès ces débuts, obtenir la cohésion et être solidaires les uns des autres étaient des soucis permanents de nos cadres instructeurs, dont je garde encore un souvenir très présent.
La vie qui s’en suit dans mon premier corps de troupes est exaltante au quotidien. Les missions se suivent à un rythme soutenu, même si elles se cantonnent à quelques camps de manoeuvres en métropole, à quelques raids menés par des commandants d’unité qui à l’époque pouvaient encore commander sur presque mille kilomètres en terrain libre. Du basique, du classique, mais de l’intéressant (Berlin en relève, stage commando, …), de quoi susciter vocations sur vocations.
Au bout d’à peine plus de deux années, il m’est offert un poste d’adjoint dans le Cercle de ce Régiment ; j’en profite pour changer de spécialité et devient « restaurateur collectif ». Au fil des ans, cette spécialité deviendra pour moi une passion dévorante et débordante : je « m’éclate », et mes Chefs le voient, je passe Chef et Sous-Officier de carrière en 1989.
A l’été 1992, je franchis le Rhin pour servir dans le cadre de la Brigade franco-allemande. Je me régale toujours autant, et de l’univers des « petits hommes verts », et de celui de mon Cercle, même si déjà une certaine force de caractère innée m’amène à prendre position vis-à-vis de mes Chefs sur des sujets aussi divers que l’incompétence de certains « collègues », les détournements de fonds opérés par d’autres à des fins personnelles (procédures de recherches arrêtées par l’autorité, ce qui n’a même pas empêché par exemple un joyeux luron et escroc de devenir président des sous-officiers ; non, non, vous ne rêvez pas, mais mes archives sont toujours « au chaud », rassurez-vous !).
Cela ne m’empêche pas, et heureusement d’ailleurs, de passer Adjudant en 1993, de partir en Ex-Yougoslavie et de re-franchir le Rhin au PAM 1998 pour retrouver mon poste de Gérant de Cercle dans mon premier Régiment. D’ailleurs, dans le cadre de cette mutation, il me semble important de préciser que l’on est venu me « chercher » en Allemagne afin d’occuper ce poste plus ou moins vacant depuis 1997 (plutôt plus que moins d’ailleurs !) !
Me voici donc de retour sur les lieux de ma première affectation, un Cercle tout neuf, une équipe riche de quelques 25 personnels, toutes et tous volontaires, de tout grade et statut, la boutique fonctionne « à cent à l’heure et à merveille », je flirte plus près des 60 heures que des 39 heures hebdomadaires, mais le client est satisfait et je passe Adjudant-Chef en 2000 (tiens, là j’ai du perdre un peu de temps à l’avancement, sans doute à cause de l’affaire de mon escroc d’Outre-Rhin, devenu par la suite PSO !).
Début août de la même année, un nouveau Chef arrive, des idées nouvelles ; entre temps le service national a complètement disparu et me voilà à la tête d’une équipe réduite à une petite quinzaine de personnes avec un taux de charges toujours aussi important.
Il faut réorganiser la fonction restauration-loisirs, cela tombe sous le sens, et de réunions de concertation en réunions de concertation, menées avec virulence et détermination (pour ma part du moins !), on en arrive à … rien de concret à la mi-juin 2001 ! L’Etat-major est prêt, mais … pour 2004 et la situation à bord est explosive : pas de moyens adéquats, pas de budgets, le Chef a bien une idée, mais elle ne me semble pas réalisable et je le lui dis en lui proposant 2 autres solutions.
Je fais donc, selon ses propres termes, de l’obstruction à son projet (d’ailleurs aujourd’hui abandonné par son successeur, qui s’oriente désormais sur une solution reprennant l’une de mes 2
propositions !).
Sentant le vent tourner et l’orage arriver au loin, je dépose dans la précipitation et sans y croire d’ailleurs quelques projets de reconversion (emplois réservés, tranfert vers le corps de soutien de la Gendarmerie Nationale et candidature 70.2) ; la soirée du dimanche 9 septembre 2001 me confortera dans mon choix !
En effet, après une très longue journée de travail avec mon équipe afin d’organiser un pique-nique familial de quelques 700 cadres, épouses et enfants, le Chef de Corps arrive dans mon bureau (c’était la première fois, séquence émotion, je vous assure !) avec mon tout nouveau PSO (promu Officier rang depuis !) pour m’adresser ses remerciements pour cette magnifique journée, mais aussi pour me dire :
« Vous êtes quelqu’un de très compétent et rigoureux, mais vous ne partagez pas mon point de vue sur la réorganisation du service restauration-loisirs, de plus, vous avez déposé des dossiers de reconversion et ne sais donc pas à court terme si je pourrais continuer à pouvoir compter sur vous ; j’ai donc tout naturellement pensé à vous pour occuper les fonctions de … (poste administratif au sein du régiment), et pendrais ma décision définitive dans une semaine ». Evidemment, je ne suis pas d’accord (moi, dans un placard poussiéreux dont personne ne veut depuis des années !) et le fais savoir, mais reçu mon Colonel quand même !
Comme annoncé, il m’informe la semaine suivante de ma mutation interne, … que je refuse !
Il s’agit, pour une meilleure appréciation de la situation, de rappeler quelques détails du contexte. Nous sortons juste du Plan Annuel de Mutation (PAM), qui me confirmait dans mes fonctions, et ni le Président du Conseil d’Administration, ni le Directeur du Cercle, ni mon Commandant d’Unité et encore moins le PSO n’avaient été informés de cette décision, visiblement mûrie seule par le Chef ! Il en est de même pour mon successeur, qui lui a découvert ses nouvelles fonctions lors … d’un amphi régimentaire !
A l’issue de cette annonce, je suis resté 3 semaines sans fonction désignée officiellement avant qu’un ordre sous la forme d’une décision écrite (cette fois !) m’informe de mes nouvelles attributions : « Responsable aux côtés du Directeur de la montée en puissance de la structure Cercle-Mess au Régiment ». Je crois presque rêver, pour quelqu’un qui a priori faisait du freinage, me voici désormais bien servi, et … dans ma spécialité !
Il est à souligner également que les premières mesures écrites et signées de la main du Chef de Corps, quant à la nouvelle organisation du service, sont apparues … dès le lendemain de mon éviction, alors que cela faisait plus d’un semestre que nous en débattions oralement !
La semaine suivante, rapatriement sanitaire d’un Sous-Officier oblige, et une fois encore (décidément !) : « Mon Adjudant-Chef, (dixit le Chef de Corps !), vous êtes quelqu’un de très compétent et rigoureux {…}, j’ai donc tout naturellement pensé à vous pour occuper les fonctions de … « , et je m’envole pour 2 mois au Liban pour assurer les fonctions … d’Officier d’Ordinaire du détachement français ! Et un nouveau placard, mais doré celui-là, les pieds dans la Grande Bleue, aurait-il donc cherché à m’éloigner de tout ce tumulte ?
Lorsque nous nous posons sur le sol français, mon équipe et moi, nous avons une lettre de félicitations collective dans la poche, et pour ma part la médaille ONU accordée à titre exceptionnel !
Quelques mois plus tard, des réponses arrivent, et faits rarrissimes, voire uniques pour un Sous-Officier titulaire d’une spécialité déficitaire et jeune Adjudant-Chef, mes dossiers de renconversion sont validés et on me propose une mutation au sein de la Gendarmerie Nationale dans la même ville de garnison, et un poste dans le cadre de ma demande 70.2 toujours dans la même ville !
J’ai quitté définitivement le Régiment fin juin 2002, étant muté administrativement à compter du 3 juillet 2002 pour ma reconversion, et j’attends toujours … que l’on me dise : AU REVOIR ! C’est ça la COHESION et la SOLIDARITE (on est loin de la prise d’armes régimentaire, mais je n’en demandais pas tant non plus !). J’avais donc à cette époque 19 années et quelques de service, dont 12 dans le même régiment !
L’histoire est terminée, ma carrière militaire est stoppée brutalement à mi-parcours et je constate que :
dans le Service de Santé par exemple, on affecte pour convenances personnelles dans la garnison de son choix un jeune médecin à la sortie d’un internement psychiatrique ! (conservation des effectifs oblige très certainement !) ; mon ancien Chef de Corps a, quant à LUI, obtenu une mutation en province (rendez-vous compte, être affecté à Paris avec une famille nombreuse !) , malgré quelques déboires financiers à la tête de son détachement dans un pays de l’Est juste avant de rendre son Commandement ; quant à MOI ? … On m’a ouvert en grand les 2 battants de la porte de sortie, étant noté parmi les meilleurs dans le rendement dans la fonction, remarquable dans mes qualités foncières, et apte officier actuellement, et ce … depuis quelques années déjà ! J’ai bien essayé une ultime tentative de négociation avec ma Direction d’Armes par l’intermédiaire d’un Officier supérieur y étant en poste et ce afin d’obtenir une mutation géographique. La réponse était limpide et laconique : « j’ai effectivement entendu parler de vos soucis, peut-être un 314-1-18, et encore, je ne vois pas grand chose, faire preuve de patience peut-être … ! ».
Non, vous ne rêvez pas, et je ne me plaindrais pas, même si j’ai néanmoins un peu d’amertume, mais finalement … aujourd’hui je profite d’une reconversion heureuse et enviée. Le Commandement, LUI, a failli à son devoir une fois de plus, il ne lui reste plus qu’à essayer de recruter désormais !
Signé : Michel D.