Affaire Ben Barka : pour la levée du secret défense

M. Fabien Roussel attire l’attention de Mme la ministre des armées sur l’affaire Ben Barka et la nécessité selon lui de lever le secret défense sur des dossiers qui permettraient de contribuer à la vérité. Le mardi 29 octobre 2019, un rassemblement célébrera à Paris, sur les lieux même de l’enlèvement, le 54e anniversaire de la « disparition » de M. Mehdi Ben Barka. Dirigeant politique de l’opposition marocaine, il militait plus largement pour la libération et l’émancipation des peuples d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine. Plusieurs mois d’instruction judiciaire et deux procès devant la cour d’assises de la Seine en 1967 n’avaient pas permis de répondre à toutes les interrogations de sa famille et de l’opinion publique. Depuis octobre 1975, une instruction pour « enlèvement, séquestration et assassinat » est toujours ouverte devant le TGI de Paris. Près d’une dizaine de juges d’instruction ont essayé d’apporter des réponses à l’enlèvement et à l’assassinat de Mehdi Ben Barka, et sur les responsabilités françaises et marocaines. Malgré quelques avancées, ils continuent de se heurter à différents blocages dues à la raison d’État(s). Malgré la convention judiciaire entre le Maroc et la France, les Commissions rogatoires internationales (CRI) du juge français restent sans réponse depuis plus de 15 ans. En France, le secret défense est largement utilisé dans cette affaire. Au fil du temps, des déclassifications partielles sont intervenues. Elles n’ont apporté aucun élément probant. La dernière a donné lieu à une situation qui pose problème. En 2010, à la demande du juge, une perquisition, qui a duré plusieurs heures sur deux jours, est effectuée au siège de la DGSE. Parmi les 78 dossiers que souhaitait saisir le juge, le président de la Commission consultative du secret de la défense nationale (CCSDN) n’en a reçu que 23. Il a, sur place, effectué un premier tri et a retenu 211 documents (475 pages). Or la CCSDN a donné un avis en contradiction avec l’appréciation de son président : seulement 144 pages sur les 475 sont déclassifiées, les autres étant considérées comme « n’ayant pas de lien avec l’affaire ». Il semble étonnant que le président de la Commission ait pu se tromper à ce point sur les trois-quarts des documents saisis ! C’est pourquoi, en décembre 2017, M. Cyril Paquaux, le dernier juge en charge du dossier, a renouvelé auprès de Mme la ministre une demande de soumettre à nouveau les documents classifiés à la Commission du secret de la défense nationale (CSDN). Après plusieurs mois durant lesquels les services du ministère ont écrit que « des études [étaient] toujours en cours [en son sein] à ce sujet », la partie civile a été informée, par la conseillère juridique du ministère, que Mme la ministre avait décidé de ne pas soumettre la nouvelle demande du juge à la CSDN. Dans de telles affaires, la levée du secret défense ne peut pas relever de la seule administration. Il revient au politique de prendre toute sa part quand la manifestation de la vérité l’impose. Le Président de la République a ainsi eu des gestes et des paroles fortes au Burkina Faso à propos de l’assassinat de Thomas Sankara et à Paris à propos de l’assassinat de Maurice Audin. Il a décidé l’ouverture des archives couvertes par le secret défense. Il a pris la même décision à propos du crash de la caravelle Ajaccio-Nice de 1968. Aujourd’hui, 54 ans après un crime toujours traversé de zones d’ombre, l’affaire Ben Barka doit faire l’objet de mêmes gestes. Il lui demande donc la levée du secret défense sur tous les dossiers concernés et leur libre accès par la justice afin de contribuer à établir les faits concernant l’enlèvement et la disparition de Mehdi Ben Barka. Cela permettrait que toute la lumière soit enfin faite et que sa famille puisse faire son deuil.

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Texte de la réponse

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S’agissant des demandes de déclassification de certains documents ayant trait à l’enlèvement et à l’assassinat de Mehdi Ben Barka formulées par le tribunal de grande instance de Paris, le ministère des armées a toujours pleinement coopéré avec l’autorité judiciaire, tout particulièrement dans ce dossier. Le ministère n’a notamment pas attendu l’entrée en vigueur de la loi du 8 juillet 1998, instituant la procédure actuelle de déclassification, pour déclassifier d’initiative des documents protégés au titre du secret de la défense nationale, puisque plusieurs d’entre-eux ont été communiqués au juge dès 1985. Depuis la mise en place de la commission consultative du secret de la défense nationale, les différents juges d’instruction qui se sont succédés dans ce dossier ont saisi, à onze reprises, le ministère des armées, de requêtes en déclassification. Lorsqu’en exécution de ces demandes, les recherches entreprises ont permis l’identification de documents protégés et présentant un lien avec l’information, la commission en a systématiquement été saisie, conformément aux prescriptions du code de la défense. A chaque fois que cette commission a eu à se prononcer, soit à sept reprises, le ministère des armées a systématiquement suivi les avis rendus. Ainsi, plusieurs centaines de documents ont pu être transmis aux magistrats requérants, et figurent désormais au dossier. Ces documents étant désormais couverts par le secret de l’instruction, le ministère des armées n’entend pas s’exprimer davantage sur leur contenu, pas plus que sur leur valeur probante, qui relève de la seule appréciation de l’autorité judiciaire. Il ne saurait, pour la même raison, évoquer publiquement les requêtes dont il est saisi, ni la teneur des réponses apportées aux magistrats, dans un dossier en cours d’instruction.
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Source: JOAN du 17/12/2019 page : 10950

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