Audition de l’ingénieur général Jean-Charles Ferré, directeur central du service des essences des armées

Commission de la défense nationale et des forces armées

Mercredi 28 novembre 2018

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 19

Présidence de M. Jean-Jacques Bridey, président

— Audition de l’ingénieur général Jean-Charles Ferré, directeur central du service des essences des armées

La séance est ouverte à neuf heures trente.

M. le président Jean-Jacques Bridey. Je suis heureux d’accueillir aujourd’hui l’ingénieur général Jean-Charles Ferré, directeur central du service des essences des armées (SEA). La commission de la Défense a auditionné son prédécesseur en 2014. Nous avons l’occasion aujourd’hui de faire le point sur l’activité et les défis du SEA, dont Claude de Ganay a souligné l’importance dans son avis budgétaire.

Mais avant de laisser la parole au général, j’ai été saisi d’une demande de déclaration liminaire de la part du groupe Les Républicains. La parole est donc, pour commencer, à M. Patrice Verchère.

M. Patrice Verchère. Je vous remercie, Monsieur le président. Mes chers collègues, au regard d’un certain nombre d’événements et d’annonces récentes, nous demandons solennellement au président de notre commission de demander, d’ici la mi-décembre, à Mme la ministre des Armées de venir devant notre commission afin que nous puissions l’auditionner sur des sujets majeurs liés à notre défense nationale.

Comme me le rappelait il y a quelques instants Charles de la Verpillière, puisque je n’étais pas moi-même membre de la commission à l’époque, M. Le Drian, lorsqu’il était ministre de la Défense, participait beaucoup plus souvent aux séances de la commission que Mme Parly, qui nous avait indiqué être prête à venir devant nous chaque fois qu’elle y serait invitée.

La première raison qui nous pousse à demander l’audition de la ministre est que la majorité vient de voter, alors qu’à aucun moment la commission de la défense n’a été réunie pour en discuter, l’annulation de près de 330 millions d’euros sur les crédits d’équipement de la défense pour financer les opérations militaires extérieures (OPEX) à hauteur de 402 millions d’euros, et ce contrairement à ce qui avait été inscrit dans l’article 4 de la loi de programmation militaire (LPM), laquelle prévoyait d’assurer ce financement par un redéploiement de crédits interministériels.

Par cette décision, le Gouvernement et la majorité reviennent donc sur les engagements pris il y a à peine cinq mois devant le Parlement par la ministre des Armées, qui prenait des engagements fermes en la matière.

Il est sincèrement regrettable, Monsieur le président, que notre commission n’ait pas été saisie en amont. Nous aurions pu, ensemble, aider la ministre des Armées à gagner son rapport de force avec Bercy. Avec ce projet de loi de finances rectificative, une fois de plus Bercy est à la manœuvre, une fois de plus Bercy s’assoit allègrement sur le vote du Parlement intervenu il y a quelques mois. De manière irresponsable, Bercy affaiblit notre défense nationale.

Cette décision du Gouvernement, acceptée par la majorité, soulève donc un problème politique, celui de la confiance en la parole publique. Les militaires apprécieront.

Elle démontre que le groupe Les Républicains a eu raison de s’abstenir lors du vote de la LPM, en rappelant que cette abstention était une abstention vigilante.

Monsieur le président, avec cette nouvelle entaille de 400 millions d’euros, tout l’édifice de la LPM est fragilisé dans son ensemble et sur la durée.

Sans polémique, mais avec détermination, car nos militaires nous regardent, nous voulons donc dire que nous sommes inquiets car, comme l’a souligné le rapporteur général du budget, membre de la majorité, les annulations de crédits du programme 146 pour financer les OPEX « donneront lieu à un report des commandes prévues sur le prochain exercice ».

De report en report, nos armées subiront mécaniquement une dégradation de leurs capacités d’engagement.

La deuxième raison qui nous pousse à demander l’audition de la ministre est que nous souhaiterions, au-delà des coupes déjà annoncées, savoir comment se présente la fin de gestion.

Chers collègues, vous conviendrez que notre demande d’auditionner la ministre, exprimée avec force, n’est pas sans fondement.

Nous comptons sur vous, Monsieur le président. Il serait dommage que notre collègue Cornut-Gentille soit dans l’obligation d’user de son pouvoir de rapporteur spécial des crédits de la Défense en procédant à un contrôle sur pièces et sur place.

M. le président. Je vous remercie, cher collègue, de cette déclaration liminaire. Je transmettrai votre demande à la ministre, mais je ne sais pas si nous pourrons l’auditionner d’ici à la fin de l’année.

J’aimerais par ailleurs formuler trois remarques en réaction à votre déclaration liminaire. La première concerne la réponse que j’ai reçue du Premier ministre et que je vous ai transmise sur vos messageries électroniques. Je n’ai en effet attendu pour agir ni François Cornut-Gentille, ni votre déclaration liminaire. Comme mon homologue du Sénat, Christian Cambon, j’ai saisi directement le Premier ministre, qui nous a reçus le 11 novembre dernier. La réponse qu’il nous a fait parvenir après cette visite est celle que vous avez reçue.

J’ai par ailleurs écrit à Mme la ministre des Armées pour l’interroger, comme vous le souhaitez, sur la fin de gestion de l’exercice 2018. En fonction de sa réponse, je verrai s’il y a lieu de l’auditionner, avant la fin de l’année ou au début de 2019.

J’aimerais souligner enfin que le coût des OPEX est en diminution par rapport à 2017. Ce coût n’est pas connu précisément puisqu’elles vont se poursuivre pendant encore un mois. Néanmoins, nous sommes dans une trajectoire de dépenses inférieure d’environ 100 millions d’euros à celle de 2017.

En outre, et je l’ai dit publiquement lors d’une réunion du groupement des industries françaises de défense et de sécurité terrestres et aéroterrestres (GICAT) la semaine dernière, il y a, en 2018, une sous-exécution de certains postes du budget, principalement du titre 2, avec plus de 150 millions d’euros.

Quand le Premier ministre a pris la décision que vous évoquez au milieu du mois d’octobre, comme il le rappelle d’ailleurs dans la lettre qu’il m’a écrite, il a considéré, au vu de cette sous-exécution, que le budget du ministère des Armées pouvait financer sans incidence – cela devra bien sûr être vérifié, j’attends sur ce point la réponse de la ministre – le surcoût des OPEX.

Il rappelle, dans cette réponse écrite, que le budget du ministère des Armées prendra en charge intégralement le surcoût des OPEX, parce qu’il est en mesure de le faire et qu’il n’aura pas, de ce fait, à contribuer à la solidarité interministérielle concernant les dépenses imprévues du budget, évaluées aux alentours de 2 milliards d’euros. Or, 19 % de 2 milliards d’euros font presque 400 millions d’euros, soit une mesure budgétaire quasiment équilibrée pour le ministère des Armées.

J’ajoute que dès le lendemain de cette décision, le Premier ministre a dégelé les 272 millions d’euros restants sur les 3 % gelés au titre de la réserve de précaution.

Je rappelle que depuis le budget 2018, chaque ministère se voit geler 3 %, contre 8 % auparavant. Ces 3 % correspondent à des gels hors titre 2, soit 676 millions d’euros. Le budget du ministère des Armées voit donc dégelés ces 3 %, d’une part pour contribuer au financement des OPEX, à hauteur de 404 millions d’euros, et d’autre part pour assurer l’équilibre du budget, avec les 272 millions d’euros restants.

Cette précision étant apportée, je transmettrai à Mme la ministre votre demande et nous verrons dans quelles conditions elle peut y répondre. Mais ne comparez pas M. Le Drian et Mme Parly : elle vous a dit elle-même qu’elle serait honorée de venir devant la commission de la Défense chaque fois que nous l’inviterions.

Notre programme d’auditions à venir est cependant chargé. Je vous rappelle que nous ne pouvons pas siéger la semaine prochaine parce qu’une délégation de la commission doit se rendre en Égypte et que notre prochaine réunion sera consacrée à l’examen du rapport, dans le cadre de notre coopération franco-britannique, de M. de la Verpillière et de Mme Pouzyreff sur la prochaine génération de missiles antinavires. Nous verrons si nous pourrons auditionner Mme la ministre avant le 21 décembre.

Voilà, mes chers collègues, les éléments de réponse que je pouvais apporter à cette déclaration liminaire.

Mon général, vous avez la parole.

M. l’ingénieur général Jean-Charles Ferré, directeur central du service des essences des armées (SEA). Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, permettez-moi tout d’abord de vous exprimer ma fierté et mon émotion d’être invité aujourd’hui à venir vous parler du service que j’ai l’honneur de commander, le SEA.

Avant de développer mon propos, je tenais également à souligner l’importance que revêt cette audition, non seulement pour le directeur que je suis, mais également pour l’ensemble du personnel du service, qui mesure bien les enjeux pesant sur les ambitions que l’on veut donner aux forces de demain et l’impact plus que probable de cette dynamique sur les moyens logistiques associés.

Comme tout bon ingénieur, je développerai mon propos en trois parties, en commençant par vous présenter le service des essences au travers de son histoire, de ses missions et de ses structures. Puis j’aborderai sa transformation dans le cadre de l’ambition opérationnelle 2030. Enfin, je conclurai par quelques réflexions sur l’avenir de la mobilité des forces dans un cadre économique et environnemental en forte évolution.

Mais avant d’entrer dans le vif du sujet, je vous propose de regarder un petit film de deux minutes, qui illustre le caractère éminemment opérationnel de la mission du SEA. Ce film date un peu, puisqu’il a été réalisé en 2016, mais il reste néanmoins d’actualité.

(Un film sur le soutien pétrolier en opération est projeté aux membres de la commission.)

Après ces images quelque peu « africaines » du service, j’aborderai donc la première partie de ma présentation, consacrée à l’organisation du soutien pétrolier du ministère en général et des forces armées en particulier.

Le périmètre du SEA est le résultat d’une maturation de près d’un siècle, qui s’inscrit dans l’évolution des besoins des forces. La mission de soutien pétrolier est née, comme vous vous en doutez, avec le XXe siècle et la mécanisation du théâtre des opérations. Concrètement, on peut se demander quelle aurait été l’issue de la Première Guerre mondiale sans les taxis de la Marne et ce nouveau mode de mobilité quelque peu atypique pour l’époque. Cette prise de conscience fera dire au président du conseil Georges Clemenceau qu’il est indispensable que la France détienne l’essence, « aussi nécessaire que le sang dans les batailles de demain ».

Plus tardivement, et sous un vocable plus brutal, le général Patton signifiera au haut commandement que si ses hommes peuvent toujours manger leur ceinturon, ses chars, eux, ont besoin d’essence.

La France, pour sa part, attendra la fin de la Seconde Guerre mondiale pour structurer son soutien pétrolier autour d’un service unique. Au début, la mutualisation du soutien pétrolier des forces s’est exercée sur la logistique terrestre, aéronautique et sur l’amont de la chaîne – achats, stockage massif et expertise. Elle s’est ensuite progressivement étendue vers l’aval jusqu’à la distribution des produits. Avant la guerre du Golfe, le SEA s’appuyait sur un large réseau de dépôts d’infrastructure, hérité d’une mission de soutien dans un effort de mouvement vers l’est. L’effectif était principalement composé de personnels civils complété par des compagnies des essences de l’armée de terre.

Avec les années 1990, s’est accentué le constat d’une carence en projection et imposée une réflexion sur des objectifs nouveaux. Les différentes transformations ont alors conduit à l’agrégation de nouvelles missions, avec l’intégration des groupements des essences de l’armée de terre, puis le soutien pétrolier de l’aviation légère de l’armée de terre (ALAT). Finalement, la logistique et l’expertise marine ont été intégrées en 2010 à l’occasion de la fusion des commissariats.

Pour conclure sur ce processus d’intégration continu, je dirais que ce double mouvement en verticalité sur les missions et en horizontalité sur les clients, a fait du service des essences une organisation très rationalisée couvrant l’ensemble du spectre pétrolier militaire.

Le SEA est donc un service interarmées, qui a pour vocation de maîtriser l’ensemble des composantes de la fonction pétrolière militaire. Cette organisation est spécifique à la France et elle assure à ses armées un soutien à la fois intégré, réactif et à moindre coût.

Du point de vue légal, les attributions du service des essences des armées sont fixées par les articles R. 3232-15 à R. 3232-20 du code de la défense.

Ses attributions recouvrent trois domaines complémentaires qui permettent de donner un maximum de cohérence au soutien interarmées opérationnel.

Il s’agit tout d’abord de la conception de la logistique opérationnelle, avec en point d’orgue la participation à l’élaboration de la manœuvre de soutien des forces, quel qu’en soit le scénario. À ce titre, des officiers de liaison sont présents chez tous nos grands clients et bien entendu au centre de planification et de conduite des opérations (CPCO).

Le deuxième volet, le plus important, est la mise en œuvre du ravitaillement des forces, mission qui balaie la totalité du spectre professionnel en partant de la recherche de la ressource jusqu’à sa distribution.

Il est question ici de subvenir aux besoins des forces pour tous types d’engagement. Cela va de la prestation toute simple d’accompagnement sur une plate-forme aéroportuaire de type Roissy jusqu’à la mise en œuvre d’une chaîne logistique complète et complexe, allant de la recherche de la ressource, son achat, le contrôle de sa qualité, son transport, son stockage, jusqu’à sa distribution. C’est typiquement le type de mission que nous réalisons sur les théâtres d’opération africains actuellement.

À cela, il faut ajouter les conditions particulières de mise en place dans un scénario d’entrée en premier, où la situation de chaos est parfois telle qu’il faut déborder du théâtre pour isoler la ressource. C’est typiquement le cas de la bande sahélo-saharienne : le carburant utilisé au Mali provient du Tchad, de la Côte-d’Ivoire et du Sénégal, soit 1 000 à 1 500 kilomètres entre la source et le lieu de consommation. Pour compléter ce tableau, il faut souligner des conditions de combat quelquefois de haute intensité, qui nécessitent l’emploi de matériels blindés.

Après la conception de la manœuvre et la réalisation de l’approvisionnement, vient enfin le troisième volet, l’expertise technique relative aux produits, qu’elle traite des carburants ou des ingrédients – huiles, graisses, etc. –, mais également l’expertise technique sur les équipements pétroliers – véhicules, matériels mobiles de stockage –, sans oublier les infrastructures pétrolières, qui sont souvent des installations classées pour l’environnement.

Quant aux clients du SEA, ce sont prioritairement et en majorité les forces armées françaises et l’ensemble des organismes du ministère des Armées. Cependant, le service est en mesure d’intervenir au profit d’organismes publics français ou étrangers et, dans certaines circonstances d’intérêt général, au profit d’organismes privés, sans toutefois évidemment porter atteinte à la concurrence du secteur pétrolier civil local.

À ce titre, le ministère de l’Intérieur – gendarmerie, police, sécurité civile – et le ministère en charge des Finances, pour le service des douanes, sont des clients bénéficiaires des services délivrés par le SEA.

Pour soutenir son activité, l’organisation du service est articulée autour de trois pôles de compétence sous la tutelle d’une direction centrale : un pôle de production, avec la direction de l’exploitation et de la logistique pétrolières interarmées (DELPIA) de Nancy, qui est en charge de la réalisation des infrastructures pétrolières, des équipements pétroliers et qui exploite le réseau de dépôts pétroliers en métropole ; un pôle de formation spécialisée et de préparation opérationnelle des personnels, qui est assuré par la base pétrolière interarmées (BPIA) de Chalon-sur-Saône ; enfin, un pôle d’expertise assuré par le centre d’expertise pétrolière interarmées (CEPIA), qui couvre les missions de spécification et d’homologation des produits et de certains équipements.

Par les moyens qu’il regroupe, le SEA est une structure légère dont le coût pèse moins de 0,7 % du budget de la mission « Défense » et qui représente moins de 0,8 % des effectifs du ministère.

À ce propos, le SEA est une ressource humaine qui compte environ 2 000 personnes sur son domaine fonctionnel, dont les deux tiers sont des militaires. C’est donc avec à peu près 1 400 militaires seulement que le service des essences des armées assure la couverture de projection pour l’ensemble de l’armée française, où qu’elle se trouve sur la planète. Sur une carrière de vingt ans, le soldat du pétrole va cumuler en moyenne entre sept à dix opérations extérieures.

Le SEA est ensuite une ressource financière construite selon un dispositif unique et atypique, avec un compte de commerce intitulé « approvisionnement de l’État et des forces armées en produits pétroliers, biens et services complémentaires ». Ce compte spécial du Trésor permet de disposer de la réactivité et de la souplesse nécessaires en matière d’achat de produits pétroliers. Il couvre également les besoins en fonctionnement et investissement du service, à l’exception des soldes qui figurent au titre 2 et des investissements sur l’infrastructure pétrolière et l’immobilier.

Le SEA, ce sont enfin des moyens logistiques rationalisés : une trentaine de dépôts pétroliers en métropole et onze dépôts outre-mer ou à l’étranger, sans parler des OPEX ; 235 véhicules de transport de carburant et 240 véhicules avitailleurs, auxquels il faut ajouter 132 wagons-réservoirs pour les transports massifs.

Au total, le SEA présente une capacité interne ou externe de stockage fixe de plus de 620 000 mètres cubes et une capacité de stockage de théâtre, sous forme de réservoirs souples, pour un volume de 48 000 mètres cubes.

Pour résumer l’activité 2017 du SEA en quelques chiffres, je citerai les 800 000 mètres cubes de produits distribués, dont 90 % au seul profit des forces armées françaises. Plus de 120 000 mètres cubes sont délivrés dans le cadre d’opérations extérieures, ce qui correspond à une livraison de plus de 260 tonnes quotidiennement sur l’ensemble des théâtres d’opération. Ces chiffres font du SEA le service numéro un de la livraison aux forces en opération.

La valorisation de ces dépenses représente près de 600 millions d’euros chaque année sur le compte de commerce du service, répartis sur plus de 400 marchés passés ou suivis annuellement.

Les coûts d’investissement sur les opérations immobilières s’élèveront à 255 millions d’euros pour la durée de la LPM, tandis que les besoins en fonctionnement, intégrés aux coûts du compte de commerce, représentent environ 25 millions d’euros annuels. Enfin, la masse salariale du service atteint les 90 millions d’euros.

À la fin du mois d’octobre, les stocks en carburéacteur, le produit multi-usages dans le domaine des carburants aériens et terrestres, s’élevaient à 278 000 mètres cubes, couvrant ainsi les besoins en stocks de résilience, qui sont d’environ 212 000 mètres cubes aujourd’hui.

Pour ce qui est des opérations, le service des essences accompagne les forces où qu’elles soient et se doit d’être au rendez-vous de la mobilité terrestre, aérienne ou maritime. Chaque opération est l’occasion de récrire un scénario complet, car la caractéristique du soutien pétrolier est qu’il ne peut envisager l’importation du produit venant de métropole, étant donné les volumes délivrés. Il est donc indispensable, obligatoire, inéluctable, de trouver la ressource sur le théâtre lui-même.

Cette contrainte justifie que le service maintienne un ensemble de savoir-faire nécessaires à l’écriture du scénario de déploiement. Ils passent par la connaissance des réseaux pétroliers locaux de production, de distribution et de transport, par la connaissance des produits distribués et leur compatibilité avec les moyens déployés, par la capacité d’acheter et de contrôler la qualité, par des capacités de transport et d’avitaillement adaptées aux conditions de manœuvre locales – tout terrain et blindage – et enfin par des moyens de stockage intermédiaires dans des conditions climatiques souvent hors norme.

À l’heure où je vous parle, le SEA déploie près de 100 militaires sur les théâtres d’opération, relevés tous les quatre mois. C’est donc un tiers de la population militaire du service qui est déployé en OPEX chaque année, si l’on prend en référence le personnel disponible pour la projection. Il s’agit du plus fort taux d’absentéisme rencontré dans les armées. Pour autant, et malgré cette tension, aucune défaillance d’approvisionnement n’a été rencontrée à ce jour.

Je terminerai cette partie en rappelant que, de par sa capacité à agréger l’ensemble des savoir-faire du domaine pétrolier militaire, le service bénéficie d’une reconnaissance internationale notable, qui en fait un leader du domaine. Son agilité à manœuvrer dans des situations complexes fait régulièrement l’objet de remarques appuyées de la part de nos alliés et en particulier des États-Unis. Pour illustrer mon propos, je rappelle que le SEA a assuré le soutien de la Force pour le Kosovo (KFOR), soit plus de 40 000 hommes, dans les années 2000, exercice inédit pour une seule nation.

Par ailleurs, et dans une dynamique d’optimisation des moyens et de collaboration internationale, le SEA est à l’origine d’un concept d’emploi multinational novateur, qui permet de fédérer les moyens alliés pour une soutenabilité accrue lors des opérations. Il s’agit de centraliser l’ensemble des moyens de toutes les nations sur un seul pôle de distribution et de stockage pétrolier en opération. Ce concept innovant tend à devenir la norme lors des déploiements opérationnels multinationaux. Ce fut le cas lors des deux derniers exercices Trident Juncture, en 2016 en Espagne et récemment en Norvège.

Je souhaiterais aborder maintenant le second volet de ma présentation, consacré à la transformation du service, qui poursuit trois objectifs : répondre à l’ambition opérationnelle tout d’abord, mais également poursuivre la modernisation de la fonction pétrolière tout en continuant de valoriser notre mission d’expert.

Je voudrais tout d’abord rappeler que le SEA n’a cessé de se transformer depuis vingt-cinq ans. Ses emprises, c’est-à-dire ses dépôts, ont diminué de deux tiers, sa ressource humaine s’est contractée et son périmètre d’action s’est étendu, d’abord sur l’ensemble des forces, puis vers les administrations de l’État.

Conséquence de ces restructurations et de leurs objectifs essentiellement comptables, le service va entrer en LPM 2019-2025 fragilisé par une insuffisance importante de ressources humaines, dont les effets sont perceptibles sur l’ensemble de la chaîne pétrolière.

En particulier, la sous-dotation en effectifs va impacter notablement le niveau de réalisation du contrat opérationnel, mais aussi le maintien en condition des matériels et infrastructures, et enfin notre capacité à nous entraîner de par l’externalisation de la maintenance et du volet transport. Sur les théâtres d’opération, 85 % des transports sont aujourd’hui externalisés, le SEA se réservant la partie aval, c’est-à-dire le nord du Mali, pour ses propres transports. Cette situation devrait s’améliorer durant la prochaine LPM grâce aux effets de la modernisation du service, mais sans atteindre un niveau que j’estime satisfaisant.

Quels sont les enjeux de la transformation pour le service ? Il s’agit prioritairement, pour le SEA, de maintenir sa capacité à soutenir les forces, en métropole et en OPEX. Mon ambition est donc d’optimiser la ressource au profit de la disponibilité opérationnelle.

Pour cela, j’active un certain nombre de leviers à ma disposition. J’adapte tout d’abord mon organisation pour mieux répondre aux besoins des forces, s’agissant notamment de la manœuvre sur le réseau des établissements pétroliers, puisque certains dépôts, comme ceux de Tours, devraient fermer avec le transfert de l’école de chasse à Cognac. Je peux compter également sur la modernisation des équipements, avec l’arrivée de nouveaux véhicules de transport et d’avitaillement dans un proche avenir, ainsi que sur la modernisation de l’infrastructure, avec par exemple le grand chantier que nous menons actuellement sur les structures pétrolières du port de Toulon.

Pour compléter cette partie organisationnelle, il faut préciser que le service a entrepris voici deux ans le projet de développer son mode de management par la qualité. Pour cela, un chantier de grande ampleur a été initié afin d’organiser le service selon un ensemble de processus dont l’objectif est la satisfaction du client. Les éléments structurels de ce type de management ont été mis en place au travers d’une nouvelle organisation interne, une cartographie des risques, des indicateurs de performance et des modes de réponse adaptés. L’aboutissement de ces efforts d’organisation devrait conduire, je l’espère, à l’obtention du label ISO 9001 pour notre cœur de métier, avant la fin de cette année. Nous accueillons cette semaine encore dans nos murs l’organisme de certification.

Autre action soutenant la transformation, l’optimisation par la digitalisation de la fonction pétrolière se poursuit grâce à la mise en place d’un nouveau système d’information baptisé SCALP – acronyme de « système centralisé d’appui à la logistique pétrolière ». Ce nouveau système d’information va permettre la mise sous contrôle de l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement des forces, depuis la commande du client jusqu’à sa livraison en passant par le paiement, au travers du logiciel Chorus.

Cet effort, qui correspond à une véritable révolution dans l’organisation de la chaîne d’approvisionnement, va permettre de remplacer une myriade de logiciels dont la soutenabilité n’est plus assurée au-delà de 2020. J’attends également de ce nouveau système un accroissement de notre efficacité dans le processus de distribution, ce qui libérera de nouveaux moyens pour améliorer la réponse opérationnelle.

Le troisième levier de la transformation du service concerne notre capacité à tenir un rôle plus large au niveau de l’État. En effet, le service est aujourd’hui référencé comme un acheteur responsable en matière de produits pétroliers et services annexes. Son action auprès des autres administrations, comme par exemple l’achat de cartes accréditives, pourra être renforcée. Il s’agit de progresser dans l’approvisionnement des soutes à carburant de services publics comme la police, la gendarmerie ou la sécurité civile.

Je pourrais également souligner ici la capacité du service à jouer un rôle de conseil dans la résilience de l’État en cas de crise énergétique. La présence d’officiers du SEA au sein de la direction générale de l’énergie et du climat (DGEC) est un gage de notre capacité à accompagner l’action de l’État.

Pour terminer, je voudrais rappeler l’importance du rôle que le service est en mesure de jouer dans le cadre international. En effet, l’organisation atypique du service, par sa couverture globale, conforte notre position de leader du domaine dans tout débat tourné vers la mobilité des forces. Le service participe aux instances internationales de normalisation – l’Association internationale du transport aérien (IATA) ou l’American society for testing and materials (ASTM) – dans de nombreux domaines touchant les carburants. Il est également à l’initiative du Comité français de coordination du carburéacteur (CFCC), qui regroupe les acteurs français du domaine. Un officier général du service est l’exploitant de la partie française des oléoducs de l’OTAN, et c’est également un officier du service qui siège, comme commissaire du Gouvernement, aux conseils d’administration de la Société anonyme de gestion de stocks de sécurité (SAGESS). Enfin, l’ONU est également un organe qui sollicite régulièrement le SEA pour l’envoi en détachement d’un officier à New York.

Il me semble que ce capital de renommée dans les instances nationales et internationales méritait d’être souligné aujourd’hui.

Ma troisième partie, en guise de conclusion, se veut une sorte de panorama des problématiques de mobilité susceptibles d’impacter les forces dans un avenir que j’imagine assez proche.

Voilà un peu plus d’un siècle, le monde a abandonné la traction animale sur terre et la navigation au vent sur les mers. Depuis, notre mobilité s’appuie sur le triptyque suivant : moteur thermique, carburant fossile, réseau de production-distribution. Ce procédé est aujourd’hui remis en cause pour des raisons tant économiques que climatiques.

J’éviterai de vous dresser ici le bilan des évolutions en cours, mais il est évident que dans la décennie à venir, les ajustements capacitaires devront intégrer tout ou partie d’une transition énergétique qui imposera de vrais changements structurels dans le domaine de la mobilité.

Autre facteur aggravant pour les forces, le poids logistique que représente l’approvisionnement en énergie. Si l’on compare les 6 litres de carburant que consommait quotidiennement un soldat lors de la Seconde Guerre mondiale aux 100 litres nécessaires au soldat américain pendant la guerre du Golfe, on peut aisément comprendre à la fois l’ampleur des moyens à mettre en œuvre en matière de transport et de projection, mais également la fragilité de cette dépendance. Celle-ci peut parfois devenir un objectif militaire : il s’agit alors d’entraver l’accessibilité de l’ennemi à sa ressource énergétique.

Il est donc nécessaire que les orientations qui seront prises au regard de notre dépendance aux énergies soient compatibles avec le maintien de notre capacité militaire à soutenir notre mobilité. Nos efforts devront se tourner vers une plus grande sobriété, mais aussi vers l’assurance que nos matériels seront compatibles avec les nouveaux modes de déplacement et les réseaux de distribution qui viendront inévitablement se structurer dans une logique économique locale.

Dans ce cadre, les forces devront maintenir une capacité d’intervention sur l’ensemble des théâtres potentiels d’opération, en particulier là où les évolutions économiques plus lentes n’auront pas atteint un niveau d’excellence. Par conséquent, les matériels tactiques devront être compatibles sur tous les territoires, ce qui fera d’eux des modèles en marge des concepts les plus avancés. Ils devront également se contenter de réseaux de distribution de moins en moins adaptés à leur mobilité.

J’en conclus qu’à terme, des problématiques de cohérence entre les matériels et les énergies vont voir le jour, posant des questions de soutenabilité et engendrant un impact logistique non négligeable. La préparation de l’avenir nécessite la mise en cohérence des concepts d’emploi avec les ressources disponibles localement, qu’elles soient fossiles ou non, et les réseaux de distribution encore exploitables. Ces problématiques font actuellement l’objet d’études et le SEA, référent énergie de l’état-major des armées (EMA), participe activement à leur dynamique.

Monsieur le président, j’en ai terminé et je suis prêt à répondre à vos questions.

M. le président. J’ai déjà pris note de seize demandes de parole, mais je vous prie tout d’abord, Mon général, de bien vouloir excuser celles et ceux qui ont dû nous quitter en raison d’une réunion de la commission spéciale sur les conséquences du Brexit.

La parole est à M. Claude de Ganay, rapporteur pour avis des crédits de soutien et de logistique interarmées pour le PLF 2019.

M. Claude de Ganay. Je suis heureux de vous revoir, Mon général, et je profite de cette occasion pour vous remercier de l’accueil que vous nous avez réservé lors de notre visite. Nous avons rencontré au SEA des hommes motivés et compétents. Cela fait plaisir ! Le SEA est une source de fierté pour la France. Nous avons découvert ce service avec intérêt et nous avons voulu le valoriser.

Le SEA n’est pas suffisamment connu, or son importance est grande. Il constitue, en outre, un service d’avenir. D’un service aux armées, il est en train de devenir un service à vocation interministérielle. Il était autrefois centré sur les essences et pourrait se consacrer désormais à l’énergie dans son sens le plus large. De nombreuses réflexions sont en cours, y compris au niveau de l’OTAN et de l’Union européenne.

Je ne suis pas sûr que vous disposiez de ressources suffisantes, mais vous pourrez sans doute nous éclairer sur ce point.

Un sujet, vous en conviendrez, est important : celui de la transition énergétique. Dans mon rapport, j’ai indiqué que les énergies renouvelables constituaient tout autant une opportunité qu’un défi pour le SEA. Depuis 1990, la France applique la politique du carburant unique utilisée par l’OTAN. Le carburéacteur diesel est utilisé pour les aéronefs et pour les matériels terrestres. Toute tentative de modifier brutalement cette situation par des normes environnementales trop draconiennes mettrait à mal le fonctionnement des matériels et des véhicules, en OPEX comme en opérations intérieures (OPINT). Votre adjoint l’a souligné lors de notre visite. C’est pourquoi, me semble-t-il, les forces armées doivent continuer d’être exonérées d’un certain nombre de réglementations environnementales.

J’en viens à la question sur laquelle je souhaite vous interroger. À vos yeux, quelles opportunités représentent aujourd’hui les énergies renouvelables ?

M. Mounir Belhamiti. Vous avez abordé la transition numérique et ses conséquences sur l’amélioration des processus d’approvisionnement. La transition énergétique vient à l’instant d’être évoquée. J’aimerais quant à moi vous interroger sur la commande publique de votre service.

On sait aujourd’hui que nombre d’innovations technologiques du domaine civil, notamment les smartphones, sont issues d’innovations d’origine militaire. Or la question de la dépendance aux énergies fossiles rend nécessaire l’émergence de nouvelles solutions en matière de transport et de bâti.

Êtes-vous engagés dans des projets de recherche sur la question de la sobriété énergétique dans les transports et les bâtiments ?

M. Olivier Becht. Je vous remercie, Mon général, pour cette présentation exhaustive de vos activités et de vos missions. Vous l’avez démontré, l’accès aux ressources énergétiques a été, au cours de l’Histoire, une condition primordiale pour mener des opérations. Cet accès a d’ailleurs légitimé, pendant la Seconde Guerre mondiale, un certain nombre de mouvements stratégiques visant à assurer une autosuffisance de l’approvisionnement militaire.

Comment considérez-vous aujourd’hui l’alimentation stratégique de la France ? Si nous étions confrontés à une pénurie des approvisionnements, nos stocks stratégiques nous permettraient-ils de continuer à combattre, et si oui pour quelle durée ?

J’aimerais vous interroger également sur nos stations portatives d’avitaillement. Il y a quelques mois, nous nous sommes rendus à Saint-Dizier avec le président de la commission et nous avons rencontré le chef d’état-major de l’armée de l’air. Le général Lanata a attiré notre attention sur le fait que nous avions seulement deux stations portatives d’avitaillement à déployer sur les théâtres d’opération, stations qui ne sont plus de toute première jeunesse.

L’augmentation du nombre de ces stations, ainsi que leur renouvellement, sont-ils à l’ordre du jour ? Elles sont impératives dans la mesure où nous n’avons qu’un seul porte-avions. Notre capacité à nous déployer sur des théâtres extérieurs dépend en grande partie de notre capacité à nous assurer de la bonne purification de nos essences et carburants.

M. Jean-Pierre Cubertafon. Au cours des prochaines années, les énergies renouvelables devront prendre une place plus importante dans notre consommation d’énergie. Au-delà des problèmes écologiques auxquels nous sommes confrontés, il y va de l’indépendance énergétique de la France. Ainsi la base d’Istres a-t-elle installé des panneaux photovoltaïques pour couvrir des besoins en électricité. Au niveau national, l’armée de l’air s’est engagée à travailler sur la piste du carburant synthétique.

Selon vous, quelle sera la place des énergies renouvelables dans l’armée de demain, et à quel rythme seront-elles intégrées ?

M. Bastien Lachaud. Je tiens à saluer l’efficacité du SEA, dont j’ai pu voir le travail en OPEX et constaté l’engagement du personnel.

J’aimerais aborder à mon tour la question des énergies renouvelables et du diesel. Le Gouvernement affiche sa volonté de sortir de cette énergie en augmentant les taxes sur le carburant, mais le diesel, on le sait, est un impératif de l’OTAN. Quant au président Trump, il nie le réchauffement climatique et vient encore de réaffirmer sa position au sein de l’OTAN.

Compte tenu de cette négation du réchauffement climatique par notre principal allié, comment pouvons-nous avancer vers une modification de notre carburant, voire envisager la sortie d’une énergie carbonée ? Tous les programmes que nous lançons, notamment le programme Scorpion, sont motorisés en diesel, ce qui nous engage pour des décennies, alors même qu’il pourrait ne plus y avoir de pétrole avant la fin de vie de ces équipements.

M. Olivier Becht. Voudriez-vous, Monsieur Lachaud, des chars électriques dans le désert du Sahel ?

Mme Séverine Gipson. Les énergies renouvelables prendront une place de plus en plus importante à l’avenir. Cependant, nous avons tous en tête que la durée de vie de nos équipements est longue et se prolongera au-delà de la diffusion de nouvelles innovations.

Pensez-vous, Mon général, que le SEA sera capable de mener à la fois sa mission initiale et sa transition vers les nouvelles énergies ?

M. l’ingénieur général Jean-Charles Ferré. Je constate que toutes vos questions concernent la problématique des énergies de demain, ce qui est tout à fait compréhensible.

Monsieur de Ganay, le SEA tente en effet de se structurer pour acquérir la connaissance des nouvelles énergies. J’ai l’intention de mettre sur pied très rapidement une cellule regroupant des compétences de haut niveau et dédiée à l’ensemble de ces problématiques. Je dois dire que, pour l’heure, nous ne les maîtrisons pas entièrement. Certaines initiatives que nous observons pourraient être de nature à fixer des orientations extrêmement fortes en termes de mobilité, qu’il s’agisse de l’électricité, du gaz ou de l’hydrogène. Le SEA a conscience que des innovations existent ; il en est le spectateur attentif.

Ce dont, toutefois, il faut être persuadé, c’est que les armées ne seront pas le moteur des évolutions, mais l’économie. En revanche, les armées ont une obsession, celle de pouvoir être mobiles sur l’ensemble des théâtres sur lesquels elles se déplacent. La montée en gamme des matériels doit s’accompagner de celle des modes de propulsion et de la qualité des produits consommés. Or les industries et les sociétés présentes sur les théâtres d’opération ne sont pas du tout au fait de ces évolutions.

Je prendrai un exemple tout simple. Les moteurs les plus récents de nos véhicules sont des moteurs Euro 6, dont les limitations en termes de qualité produit sont extrêmement drastiques. Le carburant avec lequel ils fonctionnent ne doit pas aller au-delà de quelques particules par million (ppm) de soufre, au risque de détruire la chaîne d’échappement. En Afrique, le gazole que l’on trouve dans les raffineries contient 5 000 ppm de soufre. Il est donc inutilisable dans les moteurs Euro 6, sauf à provoquer immédiatement une panne.

Le premier impératif auquel doivent répondre les armées est celui de leur capacité à se déployer, et non à reproduire ce qui se fait uniquement sur le territoire national. Nous devons, avant toute chose, exercer nos prérogatives de mobilité, qu’elles soient françaises ou étrangères.

Pour ce qui est des carburants, le carburéacteur est le principal produit acheté par le SEA, pour 70 % de ses capacités. Ce secteur est engagé de manière particulièrement active dans la réduction des produits fossiles, par l’intégration de produits bio ou de fuel synthétique dans les carburéacteurs. Le SEA étant soumis à la normalisation très stricte de l’ASTM sur les carburants aéronautiques, il ne participe pas à cette dynamique, qu’il observe en revanche très attentivement. L’Europe a des velléités d’utiliser des carburants bios dans les carburéacteurs à hauteur de 50 % dans les années à venir. Nous suivons l’évolution des produits, mais nos constructeurs devront être en mesure de les prendre en compte, soit un défi important.

Pour les carburants terrestres, le SEA n’a pas non plus vocation à générer des projets de recherche sur les produits. Il est simplement un acteur qui achète ce qui existe sur le territoire et suit la réglementation. Notre objectif n’est pas de mener des recherches en amont.

En ce qui concerne les stocks stratégiques demandés au SEA, ils correspondent à des directives de l’EMA qui nous imposent un certain nombre de mois d’autonomie. Aujourd’hui, nous avons 200 000 mètres cubes de stocks stratégiques pour les carburéacteurs. Nous sommes à peu près à quatre ou cinq mois de capacité de stockage. Bien entendu, les nouveaux matériels, notamment Scorpion, vont consommer beaucoup plus que nos anciens véhicules de l’avant blindés (VAB), sans climatisation, plus légers et plus rustiques. Les nouveaux matériels sont plus lourds et nécessitent une logistique beaucoup plus importante. Lorsqu’on passe d’un avion de combat à un réacteur à un avion de combat à deux réacteurs, on augmente nécessairement la consommation de carburant.

Toutes ces évolutions nous conduisent à prévoir, pour les années à venir, une augmentation de l’ordre de 20 % des consommations, qui passeront d’environ 800 000 à un million de mètres cubes par an. Cette augmentation s’accompagnera de celle des taxes. Je rappelle que le SEA, comme toute organisation, paie la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) et la TVA sur les produits pétroliers.

Actuellement, nos stocks stratégiques sont centrés sur deux produits : le carburéacteur pour les avions et le gazole marine pour les bateaux. Demain, on nous demandera probablement de stocker de l’essence puisque nous avons un parc de véhicules, notamment de la gamme commerciale, de plus en plus orienté vers des motorisations essence. Ce sont évidemment des véhicules que je ne souhaite pas voir projetés sur les théâtres d’opération, l’essence étant de très mauvaise qualité ailleurs qu’en Europe. L’évolution de la réglementation et la volonté du Gouvernement de voir le gazole en partie abandonné, vont sans doute nous obliger à stocker bientôt de l’essence, ce qui ne se faisait plus depuis une cinquantaine d’années mais nous permettra d’être résilients en cas de crise économique.

M. le président. Je vous propose de passer à une deuxième série de questions.

La parole est à M. Gassilloud, notre rapporteur pour avis des crédits de l’armée de terre.

M. Thomas Gassilloud. Monsieur l’ingénieur général, nous avons travaillé, avec mon collègue Olivier Becht, sur les enjeux de la numérisation et nous partageons les mêmes inquiétudes quant à la résilience globale du pays.

Avec 200 000 mètres cubes de stocks stratégiques pour les carburéacteurs et 800 000 mètres cubes de consommation annuelle, nous avons un trimestre devant nous – à périmètre inchangé. En cas de crise, on peut imaginer que nous aurions davantage de besoins militaires et que les forces de sécurité intérieure et de secours seraient également demandeuses de carburant, sans parler de l’augmentation de la consommation de 20 % que vous venez d’évoquer.

Je n’insisterai pas sur le niveau des stocks, que chacun appréciera, mais j’aimerais solliciter votre avis sur deux pistes de réflexion.

Tout d’abord, ne pourrait-on travailler avec des acteurs pétroliers, dans le cadre de partenariats public-privé, pour mutualiser des stocks ? J’étais lundi dernier avec des responsables de Sanofi Pasteur qui m’ont expliqué qu’il y avait en France, pour les vaccins, un stock militaire et un stock civil, alors que les Anglo-Saxons, de manière beaucoup plus pragmatique, constituent des stocks communs.

Ensuite, comme vous le savez, nous avons voté une loi interdisant la production d’hydrocarbures d’ici 2040 en France. Notre pays produit chaque année environ 1 million de tonnes de pétrole, ce qui correspond à 1 % de nos importations, mais aussi à 100 % de nos besoins militaires. Ce stock, que nous avons sous les pieds, ne pourrait-il pas constituer un stock stratégique ultime ?

M. Jean-Jacques Ferrara. Mon général, vous avez évoqué tout à l’heure le niveau d’engagement de vos personnels, que j’ai pu constater lors d’un déplacement sur notre base aérienne projetée en Jordanie, puis au Sahel.

Le taux de projection du SEA se situe autour de 30 %. Quel est l’impact de ce déploiement sur les familles ? Avez-vous constaté davantage de divorces et de séparations ? Le moral du personnel est-il bon ?

Pensez-vous, par ailleurs, que les nouvelles mesures annoncées dans le cadre du plan famille vont dans le bon sens ? Sont-elles suffisantes ou devrons-nous les compléter ?

Mme Frédérique Lardet. Comme vous le voyez, général, nous sommes préoccupés par les questions environnementales et par notre dépendance au pétrole.

Dans le cadre de l’aviation civile, vous avez animé le CFCC et cherché à anticiper les évolutions du secteur et leur impact éventuel sur nos armées. Il n’y a pas, pour l’heure, au sein du ministère des Armées et du SEA, de crédits affectés à une activité de recherche sur ces sujets. Selon vous, une ligne budgétaire serait-elle appropriée ?

Par ailleurs, l’Agence de l’innovation de défense (AID) a été créée le 1er septembre dernier. Avez-vous rencontré son directeur, Emmanuel Chiva, et lui avez-vous transmis une feuille de route sur les différentes problématiques auxquelles vous faites face, en particulier la dépendance au pétrole ?

Mme Aude Bono-Vandorme. Nous pilotons le projet « fonction opérationnelle énergie » dans le cadre de la coopération structurée permanente (CSP) de l’Union européenne. Le principe de camps militaires déployables et énergétiquement efficaces a d’ores et déjà été validé. Travaillez-vous sur d’autres démarches qui pourraient faire l’objet d’un financement du Fonds européen de la défense (FED) ?

M. Laurent Furst. Vous avez mentionné le carburéacteur. J’aimerais savoir combien de carburants différents sont utilisés dans les armées et quelles sont leurs parts respectives. Je voudrais connaître également – j’aime les chiffres ! – le montant de nos achats d’essence. À qui achetons-nous, et qui raffine ? Une question taquine, au passage : quel est le montant des taxes payées par l’armée à Bercy sur les essences ?

Quelle est, pour finir, l’évolution du budget des essences ? Nous sommes, il me semble, aux alentours de 450 millions d’euros actuellement. Nous avons déjà atteint, dans le passé, les 700 millions d’euros. Comment l’armée absorbe-t-elle la variation de ce budget ?

M. Louis Aliot. Je veux souligner la pertinence de la question posée par mon collègue sur la production française en vue de constituer des stocks stratégiques. Quelle est la vision de l’armée sur ces stocks ?

Vous avez parlé tout à l’heure des véhicules d’avitaillement et de ravitaillement, mais vous n’avez pas mentionné les navires pétroliers ravitailleurs. Font-ils partie du lot ? Certains pétroliers, enfin, sont désormais âgés. Avez-vous des indications particulières sur le ravitaillement de la marine ?

M. l’ingénieur général Jean-Charles Ferré. Je commencerai par la première question, sur la résilience des services publics. En effet, le SEA réalise des stockages stratégiques au bénéfice exclusif des forces armées. Lorsque nous accompagnons les services publics pour leur approvisionnement, il s’agit de marchés de cartes accréditives pour les véhicules ou de recomplètement pour les stations-service, par l’intermédiaire de contrats avec des entreprises privées Les stocks militaires ne sont absolument pas prévus pour ravitailler les services publics en cas de crise. Ils sont réservés aux forces armées. Le Gouvernement peut bien sûr faire ce qu’il veut, mais aujourd’hui, les calculs de stockages stratégiques sont effectués au profit des forces armées exclusivement.

En ce qui concerne les partenariats public-privé, il faut savoir que les stockages nécessaires pour l’économie française sont parfaitement réglementés au niveau français et européen. Ils doivent correspondre à environ 90 jours de fonctionnement de l’économie française. Ces besoins de stockages obligatoires et réglementaires sont satisfaits au travers d’une société anonyme, la SAGESS, qui stocke, au bénéfice des pétroliers et d’autres partenaires, les volumes référencés pour l’économie française.

Nous avons des liens particulièrement étroits avec la SAGESS puisque, jusqu’à encore récemment, un officier du SEA y était détaché. Nous travaillons donc en collaboration, mais chacun poursuit ses objectifs propres. Les stocks militaires sont pour les armées ; les stocks de la SAGESS sont pour l’économie. En revanche, rien n’empêche le Gouvernement de solliciter la SAGESS pour qu’elle délivre auprès des armées, si nécessaire, une partie de ses stocks.

La production française représente, en effet, environ 1 million de tonnes de produits bruts, ce qui n’équivaut évidemment pas à 1 million de tonnes de carburéacteur. Dans une raffinerie, sur 1 tonne de pétrole brut, seuls 8 % sortent en carburéacteur. Le reste est du diesel, de l’essence, du gaz et du bitume, sans rapport donc avec le besoin des armées.

Sur l’avenir de la filière pétrolière et sur ce que le Gouvernement pourrait décider d’autoriser ou non, je ne peux évidemment pas me prononcer.

S’agissant de l’impact des opérations extérieures, je dirai tout d’abord qu’il est négatif sur les personnels eux-mêmes. Compte tenu de la répétition des projections, 30 % d’entre eux – parfois plus : 40 % pour les mécaniciens pétroliers – partent à un rythme extrêmement soutenu sur des théâtres d’opérations extérieures, pratiquement tous les ans. Évidemment, les familles ressentent difficilement ce rythme effréné. Nous essayons de déployer des solutions innovantes, notamment en employant sur le territoire national la manne des réservistes, qui nous permet d’alléger le rythme de travail. Nous n’avons pas encore franchi le pas qui consisterait à envoyer des réservistes sur les théâtres d’opération, mais nous y réfléchissons.

Sur le moral des personnels, j’étais encore assez pessimiste il y a quelque temps. D’après nos évaluations, il était noté à 60, soit un résultat plutôt mauvais, les armées se situant autour de 75. Aujourd’hui, le moral du SEA remonte et nous sommes plus proches des 70. Les solutions palliatives que nous avons mises en œuvre, ainsi que les premières actions du plan famille, ont un véritable effet sur le moral des personnels.

Une question a été posée sur la recherche. Comme je l’ai dit, le SEA ne se place pas en amont des problématiques liées au carburant. Il est un acteur qui participe à un certain nombre d’institutions internationales. Il n’est pas engagé dans un autre projet que celui des camps déployables.

Le SEA se trouve au cœur de la mobilité des forces : son domaine est celui des carburants et de leur action sur les matériels mobiles. Le déploiement de camps, en revanche, ainsi que l’utilisation de l’électricité et les infrastructures, dépendent du Service d’infrastructure de la défense (SID). Nous nous sommes donc partagé le fardeau : au SEA la mobilité, au SID la recherche sur le stationnement, les économies d’énergie et les camps déployables.

Nous n’avons pas de projet de recherche au SEA, mais nous allons bientôt mettre en place notre cellule dédiée aux nouvelles énergies et engager la réflexion. L’EMA a par ailleurs mis en œuvre un groupe de travail, à travers le groupe d’orientation de la stratégie militaire (GOSM), qui doit présenter des propositions début 2019.

J’éviterai de vous faire un cours trop long sur les différents types de carburant. Il y a donc le carburéacteur, produit unique au monde, qui sert à propulser les avions. Le gazole est destiné, quant à lui, à la propulsion des véhicules terrestres dotés de moteurs à autoallumage. Il faut noter, cependant, que les armées sont en mesure d’utiliser le carburéacteur à la place du gazole dans les véhicules terrestres. On y ajoute alors un additif particulier, qui est un améliorant en termes de lubrification et d’indice de cétane. Cette possibilité simplifie considérablement la logistique pétrolière en évitant deux chaînes d’approvisionnement séparées. Nous pouvons ainsi utiliser un seul carburant pour tout ce qui roule, tout ce qui bouge et tout ce qui vole. Je ne parle évidemment pas ici des bateaux.

Autre avantage, le carburéacteur bénéficie d’une norme internationale. Que vous atterrissiez à Niamey ou à New York, le plein de l’avion est fait avec le même produit, répondant aux mêmes normes et spécifications. Tous les carburéacteurs du monde possèdent donc la même qualité. Lorsque l’on se déploie sur un théâtre d’opération, on peut recourir facilement à cette ressource, centralisée dans les aéroports. En revanche, la qualité des gazoles est parfois très mauvaise dans les pays où nous nous projetons.

Nous avons aussi un carburéacteur spécial pour l’aviation embarquée. Sur le porte-avions, les hélicoptères comme les avions utilisent un carburéacteur premium, qui a la caractéristique d’être moins inflammable, ou inflammable à des températures plus élevées. Il y a donc une différenciation entre le carburéacteur terrestre et le carburéacteur embarqué.

Enfin, le carburant de la marine, le gazole marine F-76, est un gazole également premium, différent du gazole utilisé par la marine marchande. Toutefois, le gazole standard peut également être utilisé dans les soutes de la marine nationale.

En ce qui concerne les taxes, je ne saurais vous dire ce qu’elles représentent en euros pour le SEA, si ce n’est qu’elles sont exactement en regard des taxes payées dans l’économie. Les mêmes taxes, TVA et TICPE, s’appliquent sur le litre de gazole payé par un Français et sur le litre de gazole payé par le ministère des Armées. Il n’y a aucune différence.

En revanche, vous savez sans doute que les taxes sur le carburéacteur sont beaucoup plus légères, puisque la TICPE ne s’applique pas. Le prix du carburéacteur est aujourd’hui autour de 60 centimes d’euro le litre alors qu’au mois d’octobre, celui du gazole délivré par le SEA était de 1,44 euro. Les prix sont mensuels et n’évoluent pas aussi vite que les prix à la pompe.

Quant à nos achats pétroliers, ils font l’objet d’une stratégie variable en fonction des produits et du type de délivrance. Les achats massifs sont réalisés auprès de compagnies capables de nous délivrer, par mois, des volumes oscillant entre 11 000 et 12 000 mètres cubes, sur des entrées à Lavéra ou au Havre. De manière ponctuelle, certains achats massifs peuvent atteindre 60 000 mètres cubes. Pour effectuer ces achats, nous lançons des appels d’offres sur des accords-cadres. En général, les grandes compagnies pétrolières se présentent et nous font des propositions. Nous choisissons évidemment la moins-disante. Nous n’avons pas d’attente particulière quant à l’origine des produits, qui peuvent venir du Moyen-Orient, de Russie, de mer du Nord ou d’Afrique. En revanche, nous disposons d’un panel suffisamment large de modes d’achat pour nous prémunir contre une unicité de source.

La situation est similaire pour les avions ravitailleurs de l’armée de l’air. Dès lors que le carburant est vendu et délivré sur un pétrolier de la marine ou sur un tanker de l’armée de l’air, le produit n’est plus à nous. Il appartient à la marine ou à l’armée de l’air, qui le gèrent avec leurs propres moyens. Nous nous situons en amont du développement pétrolier de la marine et de l’armée de l’air.

J’ai naturellement rencontré Emmanuel Chiva récemment. Nous nous sommes promis de nous voir, mais il a un agenda chargé. En tout état de cause, nous nous accordons sur le fait que les évolutions énergétiques constituent un vrai enjeu pour les armées.

Enfin, le budget du SEA. Vous aurez sans doute compris, d’après ma présentation, qu’il est désormais intégré à un compte de commerce. Celui-ci achète les produits pétroliers, dont un pourcentage de la vente revient au budget de fonctionnement du SEA, qui s’élève à 25 millions d’euros. Les achats de produits pétroliers représentent environ 600 millions d’euros. Ce matin, à 7 heures 30, le prix du baril était à 61,10 euros, soit 25 % de moins qu’au mois d’octobre. Cette baisse aura un impact à long terme car le prix que nous payons aujourd’hui n’est pas le prix actuel de la délivrance. Seront pris en compte l’ensemble des stockages, les fameux 200 000 mètres cubes, qui viendront atténuer les prix comme un amortisseur. Nous ressentons l’augmentation ou la diminution du prix du pétrole sur une dizaine de mois.

M. le président. Nous passons aux sept dernières questions.

M. Jean-Michel Jacques. J’aborderai un aspect plus opérationnel. Il y a quelques semaines, dans le cadre de l’OTAN, s’est déroulé l’exercice Trident Juncture. À cette occasion, le SEA a pris le commandement des unités multinationales de soutien pétrolier.

Quel est le retour d’expérience de cet exercice ? Avez-vous identifié des points d’amélioration, qu’il s’agisse du matériel ou des procédures interalliées ?

M. Christophe Lejeune. Mon général, vous avez évoqué l’augmentation annoncée de la consommation de carburant avec l’arrivée de nouveaux matériels dans les armées.

Avez-vous déjà quantifié et valorisé vos propres besoins pour répondre à ces nouvelles exigences ?

M. Thibault Bazin. Compte tenu des incertitudes de l’avenir pétrolier, ne conviendrait-il pas de renommer le SEA « service des énergies des armées » ?

Ma deuxième question porte sur le périmètre de l’approche énergétique de l’armée. Outre les déplacements à l’extérieur, il y a les bases sur notre territoire, qui ont également des besoins en électricité.

Enfin, ne pourrait-on pas imaginer que votre périmètre adopte une approche énergétique globale pour l’ensemble des sites ?

M. Jean-Philippe Ardouin. « Prendre en compte les contraintes environnementales aujourd’hui, c’est éviter les problèmes opérationnels de demain. » C’est en ces termes que Xavier Grison, ingénieur en chef de l’armement au département éco-conception des matériels de défense, définissait le lien entre environnement et armement au début des années 2010.

Depuis quelques années, les réglementations européennes ont un poids croissant et les critères environnementaux sont de plus en plus présents dans la conception des matériels militaires. La direction générale des relations internationales et de la stratégie a publié en 2018 un dossier « Défense et climat », qui indique que notre pays entend concilier protection de l’environnement et garantie des performances opérationnelles. Dans la marine, le choix de la propulsion électrique et de l’architecture hybride au profit de frégates multi-missions a permis d’optimiser la consommation de carburant et les rejets de gaz d’échappement, tout en maintenant une capacité d’action sur toutes les mers du globe.

Comment conciliez-vous l’adaptation du service dans sa mission d’approvisionnement et la prise en compte des questions environnementales, avec le souci évident du maintien de la performance opérationnelle ?

M. Jean-Marie Fiévet. Nous savons que les armées françaises sont actuellement engagées sur les points les plus sensibles de la planète. Vous nous avez dit tout à l’heure que les armées se ravitaillaient au plus près des théâtres d’opération. Les belligérants que nous combattons vendent eux-mêmes des hydrocarbures issus de la spoliation des puits de pétrole locaux.

Dès lors, comment assurez-vous un ravitaillement efficace en termes de qualité et de quantité tout en garantissant que les produits n’ont pas été achetés à nos ennemis ?

M. Jean-Louis Thiériot. Je vous remercie, Mon général, pour cette présentation du service des essences des armées, que l’on connaît mal. Ma question concerne le continuum entre la sécurité intérieure et la sécurité extérieure, mais vous y avez déjà quelque peu répondu en abordant la résilience des services publics.

On sait aujourd’hui que l’une des modalités d’action en matière de conflit social est le blocage des dépôts pétroliers et de l’approvisionnement, avec tous les problèmes que cela pose pour la continuité du service public.

Le SEA mène-t-il aujourd’hui une réflexion sur ce sujet ? En cas de crise majeure qui aboutirait à l’état d’urgence, une planification opérationnelle est-elle prévue ? Pourrait-il y avoir une mission de conseil pour assurer cette continuité nécessaire à nos services publics ?

M. Philippe Michel-Kleisbauer. Mon général, vous nous avez dit tout à l’heure que vous choisissiez le moins-disant lors des appels d’offres. Ne faudrait-il pas plutôt choisir le mieux-disant sur la qualité et la provenance ?

M. l’ingénieur général Jean-Charles Ferré. Je répondrai tout d’abord à cette dernière question. À partir du moment où il s’agit de carburéacteur et où la qualité du produit respecte la norme internationale ASTM, il n’est pas question de « mieux-disant ». Nous choisissons nécessairement le moins-disant, sans nous soucier non plus de la provenance du produit.

En ce qui concerne Trident Juncture, j’ai eu la chance de passer quelques jours en Norvège pour assister au déploiement de cette opération, dans laquelle le SEA a joué le rôle de leader pour le soutien pétrolier aux forces déployées. Dans le cadre de l’installation de deux dépôts de stockage, l’un au Sud et l’autre au Nord, nous avons réussi à mettre en place la fameuse MCPU, acronyme de modular combined petroleum unit, qui nous permet d’agréger les compétences et les moyens des différentes nations alliées, de ne former qu’un seul dépôt et de renforcer notre efficacité tout en réduisant nos coûts, dans l’intérêt de tous.

Pour le SEA, l’opération Trident Juncture a constitué un succès complet. Ce ne sont pas moins de huit nations qui sont intervenues auprès de nous et qui ont fait ensuite assaut de louanges sur notre organisation. Les autorités engagées dans l’opération et les représentants de l’OTAN sont venus visiter notre dépôt, dont je dois souligner le caractère tout à fait exceptionnel. Un fonctionnement multinational comme nous le proposons est relativement rare à l’OTAN. Nous réussissons à faire travailler conjointement des matériels de différents pays, selon les mêmes processus, pour une efficacité accrue.

Le SEA et l’international, cela marche donc, et nous en sommes très fiers. Seul petit bémol, nous sommes leaders de la logistique, mais nous aimerions bien que d’autres nations nous épaulent. Il n’y aura pas de nouvel exercice Trident Juncture prochainement, mais des exercices logistiques vont être déployés à l’avenir, notamment en Pologne l’année prochaine. Nous apprécierions qu’un autre pays en assume le leadership, afin de nous laisser un peu souffler, et mette en place un système multinational avec une tête de chaîne différente de la France.

M. Jean-Michel Jacques. Les Américains sauraient-ils le faire ?

M. Jean-Charles Ferré. Sans doute, mais le veulent-ils ? Il y a peu de volontaires aujourd’hui pour prendre la tête de ce type d’exercice. L’Allemagne, je l’espère, va se présenter. La France se sent parfois un peu seule dans sa position de leader…

Quant à un changement de nom du SEA, nous y avons déjà pensé, évidemment, mais il faut rester prudent. Les principales énergies restent aujourd’hui les carburants liquides. Les autres sont à l’étude et peu développées dans les armées. Si des moyens hybrides peuvent être utilisés dans certains projets terrestres ou maritimes, le carburant, qu’il soit fossile ou non, reste l’essentiel de l’approvisionnement des forces.

La dichotomie entre le SEA et le SID est porteuse d’une véritable logique en termes d’efficacité. Vous m’avez posé la question de savoir s’il ne serait pas plus efficace de regrouper l’ensemble des consommations énergétiques sous la coupe du SEA. Ce n’est pas l’approche qui a été choisie. Aujourd’hui, l’efficience du fonctionnement de l’infrastructure prend le pas sur les économies d’énergie. Lorsqu’il effectue ses achats d’électricité, de gaz ou de toute autre énergie, le SID s’inscrit dans une perspective de développement des infrastructures, avec des réseaux d’infrastructures fixes qui répondent à leur propre logique. Les armées ont fait le choix de séparer la mobilité et les infrastructures. Nous ne reviendrons pas dessus.

La question qui a été posée sur d’éventuels achats à l’ennemi concerne de toute évidence une zone géographique particulière, mais, sur le théâtre du Proche-Orient, nous soutenons uniquement les forces aériennes de l’armée française sur une base de Jordanie. Nous sommes en lien avec les fournisseurs de cette base et la question de savoir si nos approvisionnements viendraient de lieux interdits ne se pose pas. Elle pourrait se poser pour des déploiements de moyens terrestres, mais il n’y en pas aujourd’hui. Une réflexion sur l’origine des produits ne paraît donc pas nécessaire.

Comme je l’ai dit, le carburant utilisé dans la bande sahélo-saharienne vient de très loin, du Tchad, de la Côte d’Ivoire ou du Sénégal. Pour vous donner un ordre d’idée, c’est comme si, pour approvisionner Prague, nous partions de Brest ou de Kiev. Les distances que nous parcourons pour alimenter Gao et les zones environnantes sont très grandes, dans des conditions climatiques et d’infrastructures routières compliquées. Le SEA réussit, dans cette région, un véritable tour de force, reconnu par tous, y compris par nos camarades américains.

S’agissant du continuum entre sécurité extérieure et sécurité intérieure, le SEA a vocation à réaliser le soutien des forces armées françaises, mais lorsque d’éventuels blocages ou problématiques économiques surviennent, ses moyens sont aux ordres du Gouvernement. Il s’agit essentiellement d’équipages et de véhicules disponibles pour transporter des produits d’un point A à un point B. Nous tenons à jour les effectifs et les capacités disponibles sur le territoire national.

Avec le renouvellement des matériels de l’armée de terre, nous voyons en effet arriver des matériels nouveaux, beaucoup plus sensibles aux consommations et qui ont des rayons d’action beaucoup plus importants. Ils nécessitent une refonte de nos logiques de soutien logistique et constitueront sans doute une occasion de revoir nos capacités de transport en liaison avec l’armée de terre. Nous sommes très proches de l’armée de terre, car la logistique pétrolière terrestre est la plus compliquée à mettre en place pour le SEA. Il serait donc effectivement opportun de revoir les volumes de matériels que nous mettons en ligne. Sans doute faudrait-il des moyens supplémentaires, mais ceux-ci doivent être analysés au regard des matériels également déployés par l’armée de terre, puisqu’elle dispose de sa propre logistique pétrolière. Le directeur adjoint du SEA participait hier à une réunion bilatérale avec l’armée de terre. Ce point est à l’ordre du jour de nos discussions.

M. Olivier Becht. Mon général, vous n’avez pas répondu à la question qui concernait les stations d’avitaillement de théâtres d’opération.

M. l’ingénieur général Jean-Charles Ferré. Ces stations ne sont pas très nombreuses, comme vous l’avez indiqué, et leur développement ne fait pas partie de notre projet de fonctionnement. Sur les théâtres d’opération, nous déployons des moyens de stockage et d’avitaillement qui nous sont propres. En général, ces moyens d’avitaillement sont de faible capacité et nécessitent des opérateurs spécialisés.

M. Olivier Becht. Faisons-nous confiance à nos alliés pour la purification des carburants ? Je pense à ces cellules qui, sur les stations de théâtre, permettent de vérifier la pureté des kérosènes et la qualité des produits.

M. l’ingénieur général Jean-Charles Ferré. Nous avons nous-mêmes des moyens de laboratoire, bien que de faible ampleur. Comme vous l’avez dit, l’un de nos deux laboratoires mobiles est en mauvais état. Nous avons donc lancé un projet de rénovation. Il est essentiel d’être en mesure de garantir la qualité du produit.

Malgré tout, si nous ne sommes pas présents quelque part, d’autres nations peuvent l’être, comme vous le soulignez également. Or, pour garantir la qualité du carburéacteur, nous suivons les mêmes processus de contrôle que nos alliés, à qui nous pouvons donc faire entière confiance.

M. le président. Je vous remercie, Mon général, d’avoir répondu de manière complète et détaillée à toutes les questions qui vous ont été posées.

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La séance est levée à onze heures dix.

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Membres présents ou excusés

Présents. – M. Louis Aliot, M. Jean-Philippe Ardouin, M. Stéphane Baudu, M. Thibault Bazin, M. Olivier Becht, M. Mounir Belhamiti, M. Christophe Blanchet, Mme Aude Bono-Vandorme, M. Jean-Jacques Bridey, M. Luc Carvounas, M. Philippe Chalumeau, M. André Chassaigne, M. Gilbert Collard, M. Jean-Pierre Cubertafon, M. Yannick Favennec Becot, M. Jean-Jacques Ferrara, M. Jean-Marie Fiévet, Mme Pascale Fontenel-Personne, M. Laurent Furst, M. Claude de Ganay, M. Thomas Gassilloud, Mme Séverine Gipson, M. Fabien Gouttefarde, M. Jean-Michel Jacques, M. Loïc Kervran, Mme Anissa Khedher, M. Bastien Lachaud, Mme Frédérique Lardet, M. Christophe Lejeune, M. Jacques Marilossian, M. Philippe Michel-Kleisbauer, Mme Josy Poueyto, M. Joaquim Pueyo, M. Gwendal Rouillard, M. Thierry Solère, M. Jean-Louis Thiériot, M. Stéphane Travert, Mme Nicole Trisse, M. Patrice Verchère, M. Charles de la Verpillière

Excusés. – M. Damien Abad, M. François André, M. Pieyre-Alexandre Anglade, M. Florian Bachelier, M. Sylvain Brial, Mme Carole Bureau-Bonnard, M. Alexis Corbière, Mme Marianne Dubois, Mme Françoise Dumas, M. Olivier Faure, M. Richard Ferrand, Mme Manuéla Kéclard-Mondésir, M. Jean-Christophe Lagarde, M. Fabien Lainé, M. Guillaume Larrivé, M. Jean-Charles Larsonneur, M. Didier Le Gac, M. Gilles Le Gendre, M. Franck Marlin, Mme Sereine Mauborgne, Mme Natalia Pouzyreff, Mme Sabine Thillaye, Mme Laurence Trastour-Isnart, M. Stéphane Trompille, Mme Alexandra Valetta Ardisson

Source: Assemblée nationale

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