Service de santé des armées, chronique d’une mort annoncée.

Nous publions le chapitre  du livre « Servitudes et souffrances militaires dans les armées françaises au XXIème siècle » (L’Harmattan 2017) relatif au Service de Santé.

L’Adefdromil a, hélas, souvent raison. Dommage qu’aucun de ses dirigeants n’ait été consulté depuis la parution de cet ouvrage.

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Tout comme d’autres corps de l’armée, le Service de Santé des Armées (SSA) a sa légende napoléonienne, et ses gloires : Percy, Larrey, Desgenettes, Laveran, etc. Il a aussi son passé colonial et surtout ses dysfonctionnements, ses incompétences et son omnipotence.

Tout cela a un coût, bien sûr budgétaire, mais surtout humain.

A quoi sert le service de santé ?

Le service de santé n’est plus ni moins que la médecine du travail des militaires et des armées. Les médecins servent d’abord l’institution. Les blessés, les malades viennent après.

La médecine militaire est en premier lieu une médecine d’expertise. Les médecins doivent s’assurer de l’aptitude physique et psychique des candidats à l’engagement et du maintien du bon état de santé des militaires pendant leur carrière courte ou longue.

Ils sont ainsi amenés sur la base de textes fixant les normes d’aptitude à déclarer inaptes au service des militaires malades ou blessés.

En second lieu, la médecine militaire a des missions opérationnelles. Elle doit assurer la médecine d’urgence  lors des exercices sur le terrain ou lors des opérations de toutes natures.

L’histoire coloniale notamment a conduit les armées à l’établissement d’hôpitaux militaires. Ce sont eux qui doivent fournir des équipes chirurgicales en cas d’intervention extérieure.

Et puis le service de santé prépare le ravitaillement en médicaments, gère des stocks, se livre à des recherches. Il gère aussi ses hôpitaux et ses personnels.

On comptait au total en 2015 : 15800 personnels dont 1800 médecins, 170 pharmaciens, 70 vétérinaires, 6800 paramédicaux, et 5300 techniciens et personnels administratifs. Le ratio « médecin/population soignée s’établissait donc à 1 médecin pour un peu moins de 190 personnes. Il n’y a pas de désert médical dans les armées (CQFD) !

La particularité du Service de santé, par rapport à d’autres systèmes de soins, notamment civils, c’est que les médecins peuvent devenir comme autrefois, directeurs d’hôpitaux, que d’autres officient comme informaticiens, gestionnaires du personnel, médecins experts à la Caisse de Sécurité sociale militaire… On peut évaluer à au moins 20% du corps les médecins qui, après leurs longues études payées par l’Etat, n’exercent pas dans le domaine pour lequel ils ont été formés : celui de la médecine.

Tout cela conduit à une gestion approximative, à une dispersion et à une mauvaise utilisation des compétences.

Un service mal géré.

La Cour des Comptes a mené des investigations menées de septembre 2008 à juin 2009 auprès du Service de santé des Armées. Un rapport définitif, assorti de recommandations a été finalisé fin 2009 après études des observations produites par le Service. Dix ans après, certaines de ses conclusions restent globalement d’actualité.

Une surcapacité hospitalière.

Le SSA dispose de  8 hôpitaux interarmées (HIA), correspondant au contrat opérationnel qui impose d’avoir des équipes chirurgicales fixes et projetables en nombre suffisant. La Cour des comptes constate une surcapacité hospitalière attestée par un faible taux global d’occupation des HIA à 52%, très inférieur à celui des hôpitaux civils.

Certains services  sont sans rapport avec les missions des armées. Il y a cinq ans, l’hôpital Bégin de Vincennes disposait d’un service de gynécologie-obstétrique avec des obstétriciens et deux pédiatres. Tel autre fait fonctionner un service d’urologie pour soigner sans doute la prostate de nos nombreux généraux.

Le lien de l’activité de tels services avec les missions des armées et les pathologies susceptibles d’être contractées par les militaires, semble quelque peu tenu.

Une sous activité médicale.

Les HIA figurent dans les 10% des centres hospitaliers les moins performants en termes de recettes d’activité par ETP (emploi à temps plein) médical.

Le taux d’occupation des HIA est faible et l’activité hospitalière ou de consultation des médecins et chirurgiens est insuffisante comme l’atteste les ratios d’activité en séjours et de productivité par médecin.

L’activité des blocs opératoires est inférieure à celle des centres hospitaliers.

L’organisation des services de chirurgie ne permet pas d’absorber convenablement les départs en OPEX.

Il existe une sous exploitation du parc d’imagerie médicale.

La répartition des soignants hospitaliers (57% du total des personnels)

et des emplois administratifs ne permet pas d’optimiser la masse salariale et de développer l’activité soignante à effectifs constants.

La sous activité médicale est l’une des causes d’erreurs de diagnostic ou d’erreurs médicales préjudiciables aux militaires.

Un médecin militaire, jeune retraité, qui avait décidé de reprendre une activité de généraliste nous a expliqué qu’il effectuait des stages de remise à niveau, car « cela faisait plus de vingt ans qu’il n’avait pas pratiqué la vraie médecine… ».

Cela n’empêche pas, selon ce qu’on nous a rapporté, des médecins généraux – qui n’ont pas vu de patients depuis de nombreuses années- d’aller faire des piges dans des cliniques privées, après avoir quitté le service. On frémit pour les patients qu’ils consultent.

Il nous revient aussi en mémoire la réponse matinale, à haute voix, dans une salle d’attente peuplée de militaires et de quelques familles, d’un médecin militaire qui venait d’apprendre de la bouche de l’infirmier qu’Untel  « pissait du sang » : « Demandez lui s’il n’a pas mangé des betteraves rouges hier soir ? ».

On trouve dans la jurisprudence quelques décisions relatives à la réparation de fautes médicales survenues dans les hôpitaux militaires. Tel est le cas de cet élève-gendarme blessé lors d’une chute à motocyclette lors du stage de formation à Fontainebleau en 1990. Il est victime, à la suite de l’opération de réduction de sa fracture par ostéosynthèse, à l’hôpital militaire Larrey à Versailles (fermé depuis plusieurs années), d’une infection de la hanche par staphylocoques. S’en suivent d’importantes séquelles, qui, in fine, sont indemnisées dix ans plus tard par le Conseil d’Etat  (CE n°214065 du15/12/2000).

Tel est aussi le cas de cette brancardière de l’hôpital Laveran de Marseille, qui, engagée en 2001 a été opérée en 2005 d’une malformation osseuse des deux pieds – ce qui signifie qu’à l’engagement ce problème n’avait pas été détecté-. Bilan : une invalidité à 85% nécessitant l’assistance d’un tiers avec des « problèmes neurologiques en relation directe et certaine avec les modalités d’utilisation, non conformes aux données acquises de la science et fautives, des garrots au niveau des mollets lors de cette intervention ». Bilan financier pour l’Etat: une rente annuelle de plus de 16 000 euros et une indemnisation s’élevant à 200 000 euros environ (CAA Marseille 11MA 03492 du 13/02/2014).

Un déficit d’exploitation majeur.

La sous-activité médicale et l’insuffisance de valorisation, de toutes les activités régaliennes, dont les OPEX et celles réalisées au profit du service public expliquent en partie un déficit hors normes de 309.9M€. Toutes les prestations « Défense » sont reconnues comme étant mal identifiées et mal valorisées. Elles conduisent à une sous évaluation des recettes (préparation du temps de crise, activité de recherche, enseignement, formation…). La formation des directeurs d’hôpitaux militaires n’est pas adaptée.

Une concertation insuffisante avec les autorités sanitaires.

Le dialogue est jugé très insuffisant avec les instances civiles, telles que  la DHOS (direction des hôpitaux), l’ARHIF (agence régionale des hôpitaux en Ile de France) et les agences régionales de santé (ARS).  

Certes, les HIA n’ont pas les mêmes contraintes que les hôpitaux publics, ni  la même typologie de recettes ni d’activité.

Pour résumer, on peut dire que le SSA ne se préoccupe pas de ce qui se passe ailleurs dans le monde de la santé civile, au nom de sa militarité.

Un léger mieux deux ans plus tard.

Du mieux.

Le coût de la formation des praticiens a été réduit et la part militaire de cette formation a été accrue. Les médecins d’unité participent davantage aux gardes d’urgence. La coopération entre hôpitaux militaires et civils a été améliorée et la contribution budgétaire du ministère de la défense au financement hospitalier a été réduite de 15 % en trois ans, grâce à une amélioration de l’activité et de la productivité des hôpitaux.

Des efforts.

La Cour constate que des efforts sont engagés avec le projet de laisser une plus grande liberté d’action laissée, au niveau local, aux hôpitaux militaires pour développer une plus grande coopération avec les hôpitaux civils.

De même, les médecins d’unité devraient voir leur activité recentrée sur les soins et la pratique des urgences en les faisant participer à l’offre de soins en direction de la population locale non militaire.

Conclusion.

En définitive, la Cour ménage le SSA. Pourtant, est-il acceptable dans la situation budgétaire lourdement déficitaire de notre pays, de maintenir sans réforme en profondeur un service, qui emploie des médecins dans des taches de gestionnaires, de responsables de ressources humaines, d’informaticiens, etc.., dont les hôpitaux restent en sous-activité et dont beaucoup de personnels, médecins et soignants ne pensent qu’à le quitter.

Car, la réalité constatée par l’Adefdromil-Aide aux victimes est affligeante.

De nombreux signalements pour harcèlement.

Nous recevons régulièrement des signalements de médecins, qui se plaignent de harcèlement, par leurs chefs, par leurs collègues. Cela se passe dans les hôpitaux, au sein d’équipes chirurgicales, censées être l’élite du service de santé. Cela se passe aussi dans les centres médicaux des armées, voire à la caisse militaire de sécurité sociale.

Michel Bavoil a même reçu une psychiatre harcelée par son chef de service. Même sans divan à l’Adefdromil, elle a bien voulu raconter ses mésaventures « psychiatrico-hiérarchiques »…

Le Conseil d’Etat l’a déboutée de sa requête demandant l’annulation de sa mutation d’office (Arrêt n°305706 du 5 août 2009).

De nombreuses velléités de départ.

Il faut croire que la propagande pour le recrutement des médecins militaires est bien faite. Le niveau du recrutement à l’Ecole de santé militaire de Lyon est très satisfaisant. Il est vrai aussi que les élèves sont rémunérés pendant toute leur scolarité, ce qui est attractif pour des jeunes issus de familles modestes n’ayant pas la possibilité de financer des études longues et couteuses.

Le revers de la médaille, c’est que beaucoup de jeunes médecins, hommes ou femmes, découvrent en arrivant en unité, l’essence de leur métier. Ils  sont là pour faire de la « bobologie », gérer les dossiers médicaux, les vaccinations et expertiser l’aptitude des militaires, en liaison avec la hiérarchie et l’hôpital de référence, c’est-à-dire sans prendre d’initiative.

Rien de particulièrement exaltant ! Et, rien à voir avec les nombreux téléfilms américains ou français sur l’hôpital, sauf, peut-être Mash !

L’Adefdromil-Aide aux victimes reçoit donc régulièrement les appels de jeunes médecins qui aimeraient quitter le service de santé, en toute légalité. Mais, l’opération est  quasi impossible, car ils ont signé « un lien au service », qui les obligent à servir pendant de nombreuses années, sauf à tomber dans une grave dépression conduisant à la réforme.

D’autres, qui ont compris en cours de scolarité, sabotent leurs résultats. Leur contrat est alors résilié, mais ils doivent rembourser des sommes très importantes, au prorata des années passées comme élève médecin militaire. Ils sont alors endettés pour de nombreuses années. Après plusieurs décennies d’une gestion accommodante de ces dettes, l’Etat exerce désormais son droit de suite avec plus de rigueur. Difficile là encore d’échapper aux conséquences d’une signature.

Un médecin a même tenté de faire constater la nullité du contrat signé par un seul de ses parents alors qu’il était mineur lors de l’engagement. L’argument était excellent, mais il a été écarté d’un revers de la main par le Conseil d’Etat, qui a estimé que la signature d’un seul des parents était suffisante pour souscrire valablement un contrat d’engagement (Arrêt du 7 octobre 2016 n° 392722).

L’Adefdromil-Aide aux victimes reçoit les mêmes demandes de la part des infirmiers, qui appartiennent au corps des MITHA (militaires infirmiers et techniciens des hôpitaux des armées). Initialement contractuels, ces militaires se voient proposer de devenir sous-officier de carrière, voire officier de carrière, au prétexte de leur garantir la stabilité de l’emploi. On ne leur explique pas malheureusement que l’admission au statut de carrière permet à leur hiérarchie de refuser toute démission anticipée avant 17 ans de services pour ceux qui sont assimilés à des sous-officiers et 27 ans de services pour ceux, assimilés à des officiers.

Ces corps de MITHA doivent légalement bénéficier de toutes les avancées statutaires des corps homologues de la fonction publique hospitalière. En fait, les gestionnaires, médecins et vaguement juristes, parviennent difficilement à adapter les statuts des MITHA dans des délais raisonnables, ce qui ouvre la porte à des contentieux et démontre bien l’inanité du statut militaire des personnels soignants des hôpitaux des armées.

Une gestion approximative des spécialités. Exemple : la médecine d’urgence.

Le service de santé des armées a bien créé une filière de médecine d’urgence, pour faire suite à une suggestion de la Cour des comptes.

On serait tenté de dire : Bravo ! Le SSA sait s’adapter. Dans les faits, tout concoure à conduire dans une impasse ceux qui ont choisi cette qualification.

Lorsque les internes civils obtiennent, en 7ème année, le DESC (diplôme d’étude spécialisée complémentaire), le ministère de la santé reconnaît ces médecins comme médecins urgentistes à part entière. Ils travaillent alors à raison de 48h par semaine dans une structure d’urgence. Pour le SSA, ce diplôme ne permet aucune reconnaissance de la spécialité d’urgentiste. Pour être reconnu et espérer travailler au quotidien dans la médecine d’urgence, il faut passer une succession de concours (concours de l’Ecole du Val de Grâce en fin de 9ème année, assistanat après 3 ans minimum d’exercice dans un régiment). Le SSA ne se soucie pas du risque de perdre les compétences acquises pendant les 4 années de formation en ne pratiquant pas au quotidien. « L’institution n’est pas là pour garantir le maintien des compétences », comme a pu le dire un ponte de la médecine militaire. En pratique, pour ceux qui « y croient », il leur appartient de prendre une garde par semaine de 12 voir 24h dans une structure d’urgence civile ou militaire (Service d’urgence ou SAMU) pour tenter de se maintenir à niveau avant de partir en mission extérieure.  Ces gardes se prennent évidemment sur les temps de repos et sans repos de sécurité. Les « urgentistes militaires » (hors praticiens hospitaliers et médecins pompiers qui sont peu nombreux et souvent officiers sous contrat) pratiquent alors au mieux 24h par semaine contre 48H pour les praticiens civils.

A l’issue de son cursus, le médecin « urgentiste », qui nous a contacté, s’est vu proposer par la DRH du service (un gestionnaire médecin chef au minimum), de rejoindre une unité où sa qualification serait utilement mise à profit dans des cours de secourisme..Exaltant après 10 ans d’études !

Ecoeuré, il a alors manifesté son intention de quitter le service. Il lui a été conseillé d’aller consulter un psychiatre. La guerre d’usure entre le médecin et le SSA a alors commencé. C’est à celui qui se lassera le premier. Malgré des absences non justifiées, des arrêts de travail de complaisance, une non-présentation aux journées de formation médico-militaires, etc. notre médecin urgentiste n’avait toujours pas été sanctionné, à son grand étonnement, lorsqu’il nous a contactés.

La déontologie douteuse des psychiatres militaires.

Les psychiatres militaires ne sont que des psychiatres du travail et à ce titre, chargés de défendre avant tout les intérêts de l’institution et beaucoup moins ceux des militaires et patients qui leur sont adressés en consultation. Le métier est donc par définition… un peu schizophrène !

Aujourd’hui, il semble qu’un nouveau pas vient d’être franchi avec des témoignages répétés de tentatives pour porter atteinte aux droits des militaires en souffrance, poussés par les psychiatres à demander leur passage devant une commission de réforme, ou plutôt que de bénéficier de leurs droits à congé de longue durée pour maladie (CLDM).

De la même manière, de nombreuses décisions de placement en CLDM ne mentionnent pas si « l’affection est survenue du fait ou à l’occasion de l’exercice des fonctions », alors que le code de la Défense l’impose. Dans d’autres cas, on renvoie la détermination du lien à la reconnaissance de l’imputabilité des troubles psychiques dans le cadre d’une demande de pension militaire d’invalidité. Or, l’imputabilité et le lien au service de la maladie sont deux notions différentes. Le sursis à statuer que s’octroye l’administration est donc  probablement illégal.

Les psychiatres tentent peut-être ainsi de contribuer à la réduction des dépenses budgétaires au mépris des droits des personnes servant l’Etat sous statut militaire.

Pour parodier la formule de Clémenceau : « la justice militaire est à la justice, ce que la musique militaire est à la musique », on pourrait dire que la psychiatrie militaire est au respect des droits individuels des militaires ce que la psychiatrie soviétique était au respect des droits de l’homme.

La psychiatrie utilisée à des fins de management.

On ne compte plus les interventions des psychiatres visant à résoudre des différends professionnels. Ainsi de ce gradé de la légion envoyé en psychiatrie après un échange de mots doux avec un de ses chefs. Diagnostic du psy : « Il s’agit d’un sujet impulsif présentant quelques traits psychopathiques, mais sans déséquilibre psychique au sens strict.

NB S’est rapidement calmé (aucun traitement supplémentaire n’a été nécessaire et présente son agitation comme réaction à des menaces). »

On a donc adressé au psychiatre un « sujet » sain, qui avait piqué un coup de colère. Dans quel but ? S’agissait-il de lui faire peur, de lui faire prendre conscience que la colère est toujours mauvaise conseillère, s’agissait-il de « psychiatriser » l’incident en vue d’une suite médico-statutaire pour l’énervé, au cas où l’incident se reproduirait ?

Il faut citer également le cas de ce psychiatre faisant pression sur une militaire en souffrance psychologique, placée en CLDM –donc payée-, qui venait d’accoucher, afin de la remettre en activité de service… en vue de son placement, un mois plus tard, en congé parental –non payée.

L’Adefdromil a de même été informée de la mission de ce psychiatre envoyé en Afghanistan pour résoudre un problème de commandement entre un médecin chef et deux de ses adjoints. Le médecin chef a été identifié comme le maillon faible et rapatrié.

La psychiatrie utilisée à des fins d’élimination.

Mais la tâche principale des  psychiatres reste l’élimination des militaires, dont le pronostic d’adaptation est « mauvais ». Lorsque le « sujet » a été ciblé, la logorrhée psychiatrique est redoutable. Elle conduit inéluctablement à la réforme ou au congé de longue durée pour maladie.

On trouve alors dans les dossiers des appréciations qui font froid dans le dos… La balle dans la nuque, c’était sous Staline. Désormais, on assassine avec des mots. Ainsi, le jugement sans appel porté sur un militaire lors d’une expertise: « Discours véhément intarissable qui ne peut être dirigé, ni interrompu, caractérisé par psychorigidité, troubles du jugement, entêtement, conviction délirante du bon droit, d’être incompris et méprisé.. et persécuté. Au total, trouble grave de la personnalité de type paranoïaque. Forme grave à mon avis, peu accessible à un traitement. ». On a sans doute échappé de peu à un massacre. Par mesure de précaution, ne devrait-on pas soumettre à examen psychiatrique tous les militaires en armes participant à des cérémonies officielles ?

L’objectif d’élimination apparait encore plus clairement dans cette demande d’un médecin d’unité, adressée à un médecin chef d’un service de psychiatrie :

« Je vous remercie de recevoir ce (militaire) en totale désadaptation de la vie militaire, intolérant aux frustrations, totalement réfractaire envers l’autorité et qui potentiellement présente un risque hétéro-agressif Il semble que la voie disciplinaire ne règle pas le problème de façon rapide. L’intéressé totalise plus de 45 jours d’arrêts et montre des signes de plus en plus marqués de risque pour l’entourage. Je vous demande de statuer sur son aptitude à poursuivre son contrat (actuellement à 3 ans et 9 mois d’ancienneté. »

Réponse :

« Effectivement, troubles de l’adaptation avec conduites d’opposition et humeur anxieuse chez une personnalité carencée sur le plan affectif, immature. Inapte au service. Absence d’indication de CLDM. A présenter devant la CRM (commission de réforme militaire) pour classement P4. »

Le psychiatre militaire intervient donc en appui du médecin d’unité qui, bien souvent, prend ses instructions chez le chef de corps. Dans le cas présenté ci-dessus, « la voie disciplinaire » ne permet pas de régler le problème de façon rapide. La voie «psychiatrique » doit lui être substituée. Et, il ne faut pas qu’il y ait de dissonance dans le dispositif, au besoin, en s’asseyant sur les droits individuels du militaire.

Parfois, certains parviennent à échapper au sort qui leur était promis. Tel est le cas de ce gendarme abusivement maintenu en congé de longue durée pour maladie et qui souhaitait reprendre le service.  Le rapport de l’expert psychiatre désigné par le tribunal qu’il avait saisi, a finalement démonté l’analyse erronée du psychiatre militaire et contredit le traitement aux psychotropes. Le gendarme a donc repris le service.

Une conception curieuse des droits des militaires patients.

Que faire pour s’opposer aux excès de psychiatres militaires zélés ?

Rappelons, tout d’abord, que tout militaire a le droit de recevoir communication de son dossier médical, à sa demande,  y compris de la partie constituée en secret par les  psychiatres.

Rappelons aussi que les congés de longue durée, comme de longue maladie, sont des droits et que le militaire doit en bénéficier au-delà de 180 jours de congés maladie sur une année « glissée ». Le renouvellement du congé par le psychiatre, tous les 6 mois, n’interrompt pas le congé. Deux sorties sont possibles jusqu’à épuisement des droits : soit la reprise de service, sous réserve de l’aptitude du militaire appréciée par le psychiatre et susceptible d’être contestée en cas de désaccord du militaire, soit la présentation devant une commission de réforme à la seule demande du militaire. L’interruption du CLDM pour renvoyer le militaire devant une commission de réforme violerait ses droits et constituerait une faute entrainant probablement la responsabilité de l’administration.

Rappelons, enfin que bien souvent les psychiatres militaires n’hésitent pas à sortir de leur domaine de compétence pour tenter d’influencer des militaires en souffrance et en situation de faiblesse.

On a vu ainsi un psychiatre dissuader une militaire harcelée sexuellement de contacter l’Adefdromil au motif que l’association n’était pas reconnue. Un autre a pronostiqué l’échec d’une plainte ou d’un recours. Les psychiatres voudraient aussi être juristes !

Tout irait sans doute mieux s’ils relisaient de temps en temps le décret n° 2008-967 du 16 septembre 2008 fixant les règles de déontologie propres aux praticiens des armées et notamment son article 6 : « Le praticien des armées doit à celui ou celle qu’il examine, qu’il soigne ou qu’il conseille une information loyale, claire et appropriée sur son état, les investigations et les soins qu’il lui propose.

Sauf urgence ou impossibilité, il doit rechercher son consentement et respecter sa volonté en cas de refus, après l’avoir averti des conséquences prévisibles de sa décision. » 

 Déjà en 2002, Michel Bavoil, fondateur de l’Adefdromil avait signalé les nombreux cas d’utilisation de la psychiatrie pour éloigner ou éliminer des militaires jugés gênants par leur hiérarchie et de citer notamment :

  • Jacqueline C. secrétaire médicale, indésirable sur son lieu de travail, placée en congé de longue durée pour maladie par le psychiatre ;
  • Christel F., soldat de 1ère classe, harcelée moralement et sexuellement, éliminée de l’armée après classement P4 dans des conditions suspectes par un psychiatre ;

Un ouvrage publié à la même époque, par deux médecins militaires : « Service de santé des armées : la face cachée. Corruption, abus de pouvoir, omerta », (Marc Lemaire, Stéphane Lewden, Dominique Paillé. L’Harmattan)  exposait déjà, à l’époque, une situation peu reluisante.

Réformer en profondeur le Service de Santé des Armées.

L’organisation qui a prévalu autrefois n’est plus pertinente. Elle n’est plus nécessaire au bon fonctionnement des armées, et au soutien médical des opérations extérieures. Une réforme en profondeur, qui va beaucoup plus loin que les molles recommandations de la Cour des Comptes, est indispensable à une saine gestion des deniers publics.

1° Démilitariser les hôpitaux militaires.

Les hôpitaux militaires doivent être totalement insérés dans le système de santé français. Des adaptations sont nécessaires pour tenir compte des besoins des militaires.

2° Dissocier la fonction médicale des fonctions de gestionnaire.

Il s’agit de mettre fin aux médecins généraux, directeurs d’hôpitaux, à ceux qui gèrent –mal- les ressources humaines, qui sont devenus informaticiens…

3° Externaliser la satisfaction des besoins en équipes chirurgicales pour les OPEX.

Il convient de passer des contrats opérationnels attractifs et valorisants  avec des équipes civiles.

4° Mettre fin au concept de la carrière des médecins militaires.

Ceci implique de revoir le recrutement, le financement des études et les possibilités de départ. Cela nécessite d’externaliser certaines fonctions.  Au lieu de pousser les médecins souhaitant quitter le service vers la réforme psychiatrique, on devrait plutôt orienter leur reconversion en direction des déserts médicaux français en contrepartie de leur exemption du remboursement de leurs études.

5° Faire gérer les personnels par de vrais spécialistes en ressources humaines

JB

10 décembre 2018

Cet article a 9 commentaires

  1. Anonyme

    Un peu excessif tout cela. Une grosse reprise du rapport de la CDC. De l’eau a coulé sous les ponts depuis. Tout n’est certainement pas rose. Mais cette présentation est un tantinet infamante. Mais calominez, calomnier il en restera toujours quelque-chose.

  2. Anonyme

    La situation du SSA est réellement critique et je peux personnellement en témoigner !
    Hémorragie des personnels du SSA (pas uniquement médecins d’ailleurs) confrontés à une gestion RH calamiteuse: problèmes continuels de soldes, erreurs grossières des services administratifs, pas de considération ou de reconnaissance, aucune fidélisation, aucune communication…
    Déficit de 160 médecins cette année, contre 90 l’an dernier, vagues de départs chez des praticiens expérimentés lassés des tracas et vicissitudes du SSA, multiples demandes de démissions en école de formation (Bron)…
    A ce stade, audit de la politique RH du SSA par un Controleur Général des Armées qui dispose de multiples témoignages de personnels et d’anciens personnels du SSA…
    Le cabinet de la Ministre des Armées a été alerté, ainsi que le Président de la République lui-même…
    Audition de la Directrice Centrale du SSA par une Commission Parlementaire…
    Un ex Médecin en Chef (COL) du SSA

  3. Anonyme

    Le SSA s’est engagé dans une réforme mortifère il y a 8 à 10 ans dans l’impréparation plus totale. Les résultats ne se sont pas faits attendre…Absence de gestion RH ou plutôt à la petite semaine pour boucher les trous de-ci de-là (je plains sincèrement le camarade qui gère le bureau MPVD), accumulation de tâches hors coeur de métier (incendie, prévention, chancellerie, sécurité, SSI, infra et j’en oublie) sur le dos de médecins et infirmiers d’unités qui ne rêvent que de quitter le service.
    Je ne parle même pas du centre expert d’administration du personnel (CERH SSA à Toulon) dont les dysfonctionnements majeurs et récurrents, connus de tous et notamment de la haute hiérarchie du SSA, sont indignes de l’institution.
    Pour ce qui est de la composante hospitalière, laissons nos camarades hospitaliers en parler, notamment les orthopédistes et viscéraux de presque-feu DESGENETTES, je pense qu’ils seront particulièrement prolixes sur cette grande réussite du SSA…

    Bref, le bateau coule normalement.

  4. Anonyme

    Tout cela est vrai. Mais il n’en demeure pas moins que la situation actuelle, calamiteuse il est vrai, est présentée de façon malhonnête car bien des choses sont positives comme ce qui est fait actuellement en opex. Ce dernier ressort des poncifs bien classiques. J’ai cotoyé nombre de psychiatres miliaires. Ils ne ressemblaient pas vraiment à ceux que décrit l’avis publié. En ce qui concerne les hôpitaux Il confond la conduite de projets médicaux avec celle de l’administration. Leur direction est le fait d’équipes et non d’un homme. Ces derniers ont d’ailleurs plutôt bien répondu à la charge des OPEX. Pour les CMA il est vrai que cela a été une grossière erreur que de chercher à les individualiser des unités supports. La réforme mise en place par le précédent DCSSA a été catastrophique car il a amplifié le mouvement amorcé par ses prédécesseurs. La gestion RH du SSA n’est peut peut être pas bonne mais la même faite à la sauce DRHAT par des professionnels serait certainement bien plus piquante. La gestion de la solde butte comme tout le monde sur celle de Louvois. Plus que le nombre ( car les départs ont toujours existé, la moitié de ma promotion avait quitté le service à 25 ans) ce sont les méthodes utilisées pour obtenir le « dégagement des cadres » notamment envers certaines spécialités hospitalières. Alors réforme mortifère, je suis d’accord mais réforme imposée par la RGPP et ce qui en a suivi. Il est certain qu’il faut cesser d’une part de donner les rênes du SSA à des professionnels des états-majors dont l’expérience opérationnelle est quasi-nulle. D’autre part la réintroduction des assistanats me parait impérative car j’ai toujours trouvé que ce type de parcours était un facteur de cohésion des diverses composantes du SSA. Je pense que le SSA vit un sale moment, que ses dirigeants ne sont pas à la hauteur car confinés dans leur états-majors parisiens. Mais le bateau pour moi ne va pas couler.

  5. Anonyme

    C’est effectivement le rôle d’une bonne association de faire remonter l’information avec des propositions.
    On constate que l’Adefdromil s’implique à améliorer la condition militaire et à soutenir des citoyens militaires très « abîmés » pour diverses raisons. Je dois avouer que j’ai le vertige à la lecture de certains articles (et cela nous renvoie parfois à notre propre histoire).
    En me protégeant du traumatisme vicariant (fatigue par compassion…) : une pensée fraternelle, empathique, pour les citoyens militaires confrontés à certains « abus » pour rester correct.

    « Toutes les doctrines, toutes les écoles, toutes les révoltes, n’ont qu’un temps. » Charles de Gaulle
    Un militaire à la retraite.

  6. Anonyme

    La médecine du travail des militaires… on dirait un mauvais résumé polémique d’un auteur has been et en mal de ne pas avoir été lu par ses confrères trop occupés à soigner des militaires blessés en opération

  7. Anonyme

    Le Baron Percy doit se retourner dans sa tombe…

  8. Anonyme

    Y a t il un pilote dans l avion ? Visiblement non…

    La Directrice Centrale avait pourtant un cursus aéronautique…

  9. Anonyme

    Envie d’illustrer les propos en citant la conclusion d’une intervention d’un Professeur de Psychologie au Travail sur une Université du Grand Est, qui ne m’en voudra certainement pas de le paraphraser ainsi :

    « Le management pourrait se fixer comme objectif d’intégrer au quotidien le bien-être au travail, et donc la santé au travail, dans la définition de la performance en entreprise…

    Rappelons-le :
    « Quand on est mieux, on est meilleur »  »

    Bref, la capacité de gérer des personnels en bonne intelligence, d’assurer un management (au sens large) de qualité et dans tous ses aspects (gestion administrative, rémunération (en tout cas versement sans erreur et sans retard d’une solde, ce qui ferait bondir le moindre salarié du public ou du privé), dialogue social, communication, reconnaissance, formation adaptée…) n’est pas innée et ne fait pas partie du paquetage standard d’un médecin, certes brillant spécialiste hospitalier ou plus « modestement » médecin d’unité …

    Et on pourrait être amené à s’interroger, se remettre en cause devant le constat d’un Service de Santé des Armées qui ne fait plus rêver, voit partir ses personnels (et pas les plus mauvais d’ailleurs sans oser m’inclure moi-même dans les bons !), ferme ses hopitaux l’un après l’autre (plus d’urgences la nuit à Desgenettes avec ce que cela signifie déjà !)…

    Je ne jette pas la pierre à notre camarade bien seul et isolé au bureau Praticiens MPVD qui fait très honnêtement avec les moyens du bord et hérite d’un héritage bien lourd (cadeau empoisonné ?)…

    Départs des praticiens, des infirmiers, qui ne veulent plus entendre pour la plupart parler du SSA (y compris pour la réserve opérationnelle), situations de souffrance réelle des personnels, départs de réservistes lassés de ne pas être correctement payés (frais de déplacement, paiements tardifs de leurs convocations), démissionnaires dès l’école de formation…

    L’ouvrage paru au début des années 2000 « SSA La grande Omerta » coécrit notamment par un brillant Ancien (S. Lewden) est malheureusement toujours d’actualité, et mériterait d’ailleurs quelques tomes supplémentaires, qui pourraient être illustrés de situations pratiques, objectives…

    Bon courage à ceux qui restent !

    Préparez néanmoins l’Avenir qui se fera probablement (certainement ?) sans le SSA… Avec une vraie formation, même payée de votre poche, mais adaptée aussi bien sur le plan pédagogique qu’à vos souhaits d’évolution… On peut avoir d’autres aspirations dans la vie que de finir sous-chef de Bureau à la DCSSA ou à la Direction de la Médecine des Forces… Et n’oubliez jamais d’où vous venez, du soin, avec tout ce que cela implique (empathie peut etre ?)…

    DM

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