LE TEMPS DE TRAVAIL DES GENDARMES ET POLICIERS DANS LE VISEUR DE LA COUR DES COMPTES (Par Soufïa HENNI, Avocat collaborateur et Aïda MOUMNI, Avocat associé)

La Cour des Comptes a publié, le 21 juin dernier, le référé du 13 mars 2018 adressé par le Premier Président Didier MIGAUD au Premier Ministre Edouard PHILIPPE quant aux rémunérations et temps de travail dans la police et la gendarmerie nationales.

La Cour des Comptes s’inquiète ainsi du coût de la mise en conformité du temps de travail de ces personnels aux textes européens.

Le Premier Président rappelle, en effet, qu’en 2013, la France avait été mise en demeure de se conformer aux directives européennes sur le temps de travail pour l’organisation du travail des policiers et gendarmes, risquant de ce fait l’ouverture d’une procédure d’infraction par la Commission européenne.

Pour rappel, la directive européenne 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail prévoit ainsi des garanties minimales dans l’organisation du temps de travail telles qu’une durée de travail n’excédant pas 48 heures ou encore un repos hebdomadaire de 24 heures sans interruption pour chaque période de 7 jours.

Or, concernant l’organisation du travail de la police nationale, la Cour des Comptes estime que les conséquences d’une telle transposition de ces directives n’ont pas été anticipées.

Cette transposition est ainsi intervenue par décret du 30 janvier 2017, permettant aux policiers de bénéficier des garanties minimales de temps de travail, et de repos hebdomadaire et journalier.

Il est toutefois à noter que ce décret a fait l’objet d’un recours du Syndicat des cadres de la sécurité intérieure devant le Conseil d’Etat lequel a décidé le 4 avril 2018 de transmettre une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne sur la question de savoir « si les dispositions de ces articles (du décret attaqué) doivent être interprétées comme imposant une période de référence définie de manière glissante ou comme laissant aux Etats membres le choix de lui conférer un caractère glissant ou fixe » (CE, 4 avril 2018, n°409340).

A notre connaissance, la Cour de justice de l’Union européenne n’y a pas encore répondu.

Aussi, dans son rapport, la Juridiction financière relève que le cycle de travail instauré par l’instruction générale sur l’organisation du travail (IGOT) est plus « consommateur d’effectifs », étant précisé que le stock d’heures récupérables pour ces personnels s’élevait à la fin de l’année 2016 à 20 millions d’heures…

Pour les gendarmes, rappelons que le 18 octobre 2017, le Président de la République Emmanuel MACRON a déclaré qu’il était déterminé à ne pas voir appliquer la directive européenne sur le temps de travail à la gendarmerie nationale et aux armées.

Or, dès janvier 2006, la Cour des Comptes relève que des contentieux ont nécessité la transposition d’une partie de la directive aux militaires, l’organisation actuelle étant censée être transitoire.

La Juridiction s’inquiète ainsi de la capacité de la gendarmerie nationale à respecter la durée maximale hebdomadaire de 48 heures sur six mois consécutifs prévue par la directive européenne.

Des discussions seraient en cours avec la Commission européenne dont on ne connaît toutefois pas l’avancée.

Cependant, pour la Cour des Comptes, l’absence de transposition intégrale de la directive européenne expose la France à des risques pour ses finances publiques, et à notre sens, notamment en cas de multiplication de contentieux aux fins d’indemnisation.

Rappelons tout de même que la Cour de justice de l’Union européenne a considéré dans un arrêt du 12 janvier 2006 que dans le cadre des missions effectuées dans des conditions habituelles, les forces armées, la police et la protection civile bénéficient des garanties prévues par la directive européenne sur le temps de travail.

En sus, comme nous l’indiquions dans un récent article, du 13 avril 2018, la Cour de justice de l’Union européenne a rappelé cette même jurisprudence pour les sapeurs-pompiers volontaires belges dans un arrêt du 21 février 2018 n°C-518/15.

Gageons que l’organisation du temps de travail pour la police nationale et la gendarmerie nationale, tout comme les armées, n’a pas fini de faire couler l’encre.

© MDMH – Publié le 20 juillet 2018

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