CONTRIBUTION DES POLICES MUNICIPALES AU RENSEIGNEMENT TERRITORIAL (Jean-Christophe QUINTAL)

Jean-Christophe QUINTAL, ancien officier de Gendarmerie, aujourd’hui reconverti en tant que directeur de la sécurité de la commune de Villeneuve-sur-Lot, auteur du livre « l’élu responsable, guide de la sécurité à l’usage des élus », s’est penché sur la contribution que les polices municipales pourraient apporter au renseignement territorial.

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Le double meurtre du 13 juin 2016 à Magnanville, l’attentat du 14 juillet 2016 à Nice, de l’église de Saint-Étienne-du-Rouvray, l’attaque contre des militaires au Carrousel du Louvre, celle du 18 mars 2017 à Orly, l’attentat du 20 avril 2017 sur l’avenue des Champs-Élysées à Paris, celui contre des militaires à Levallois-Perret, l’attaque par arme blanche à la gare Saint-Charles de Marseille, celle du 23 mars 2018 à Carcassonne et à Trèbes sont les éléments factuels qui ont malheureusement confirmé la volonté des islamistes djihadistes de perpétrer des attentats partout sur le sol Français et européen, par tous les moyens possibles.

Avec Saint-Étienne-du-Rouvray et Trèbes, une étape symbolique a (encore) été franchie. Les villes petites et moyennes, qui ne sont pas des capitales ou des sites nationaux stratégiques, sont aussi devenues des objectifs…

Les attentats commis en Europe, au Royaume-Uni, en Allemagne, en Espagne confirment également la volonté de ces terroristes « d’innover » dans le mode opératoire afin de déjouer les mesures de sécurité mises en place par les autorités locales.

La multiplicité des cibles, des modes opératoires et du type d’armement utilisé, démontre de manière évidente la volonté de tuer des civils sans défense pour créer un climat de terreur nationale sur des sites de province.

C’est le principe du terrorisme : Créer de la terreur.

A ce stade là, le renseignement territorial, local, joue un rôle fondamental puisqu’il peut, en amont, permettre aux forces de sécurité de l’Etat de déjouer des actions terroristes à condition bien sûr que sa transmission puisse être fluide, rapide, complète et efficace…

En France, aujourd’hui, le renseignement intérieur est organisé principalement par la Police Nationale (DGSI et SDRT) et la Gendarmerie Nationale. Pour cela, ces deux forces articulent leurs efforts autour du recueil local et de l’exploitation du renseignement.

Une troisième force est également présente sur l’ensemble du territoire national et agit dans la pénombre : La Police Municipale (PM).

Troisième force de sécurité nationale avec ses 22 000 personnels (1/5ème des forces d’active de Gendarmerie), la Police Municipale est, de plus en plus, un acteur incontournable de la sécurité publique, notamment dans le cadre du recueil du renseignement de proximité.

Police de proximité par excellence, les agents de PM sillonnent au quotidien les rues, les quartiers, leurs secteurs au contact immédiat des citoyens, grâce le plus souvent aux patrouilles pédestres qui permettent d’obtenir un maximum de renseignements locaux.

A leur retour de mission, les agents de PM remplissent un bulletin de fin de service (BS), le plus souvent informatisé, afin de rendre compte de l’ensemble des événements qui ont ponctué leur journée de service.

Ils y enregistrent les personnes rencontrées, les véhicules contrôlés et toute information intéressant l’ordre et la sécurité publics.

A l’heure actuelle aucun lien formel ne relie de manière directe les bulletins de service de PM aux unités de gendarmerie ou de police nationales. Les polices municipales ne sont pas non plus « connectées » entre elles. Le renseignement de proximité restant « bien au chaud » au poste de PM…

C’est une perte d’informations considérable car certaines personnes rencontrées ou véhicules contrôlés, impliqués dans la grande délinquance ou le terrorisme, pourraient avoir échappé à la vigilance des forces de Police ou de Gendarmerie Nationales.

Aujourd’hui, si un policier municipal souhaite accéder aux fichiers « FOVeS » (Fichier des objets et véhicules signalés), comme le prévoit le code de la sécurité intérieure, il doit le demander dans une Gendarmerie ou un commissariat. Cette demande aboutit rarement en raison du dérangement occasionné.

Le policier municipal doit en effet faire appel à un fonctionnaire de police ou un militaire de gendarmerie qui n’a pas forcément le temps de s’occuper tout de suite de la demande du policier municipal.

Dans les faits, les policiers municipaux abandonnent bien souvent la consultation des fichiers qui leur sont pourtant autorisés par la loi…

Les échanges d’informations sont très peu formalisés entre les services de PM et ceux de la GN et/ou PN, hormis ceux évoqués (le plus souvent de manière verbale) dans le cadre de groupes de travail des CLSPD ou CISPD…

Afin de renforcer le renseignement territorial, il s’agirait donc de permettre un accès direct des PM aux fichiers informatiques (déjà) autorisés par le code de la sécurité intérieure (FOVes).

Cet accès direct se réaliserait par la mise en place d’une carte professionnelle sécurisé de police municipale (en remplacement de la carte papier actuelle), à l’instar des cartes professionnelles de Police et gendarmerie Nationales.

L’agent utiliserait cette carte sécurisée pour accéder aux applications auxquelles il a normalement accès (Arrêté du 7 juillet 2017 portant autorisation d’un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé « Fichier des objets et des véhicules signalés » (FOVeS) et « dans la limite du besoin d’en connaître ».

L’ensemble des données sur lesquelles s’appuierait cette carte proviendrait essentiellement des systèmes d’information des ressources utilisés au sein du ministère de l’intérieur et toujours « dans la limite du besoin d’en connaître » …

Quand les médias nous annoncent parfois que le ou les auteurs de tel ou tel attentats n’étaient pas connus des services de police, ou avaient évolué « sous les radars », il serait intéressant de se demander si ces individus étaient connus des services de police municipale…

Le renseignement territorial mériterait amplement que les 22 000 policiers municipaux puissent compléter et alimenter une base de données informatiques pilotée et exploitée par le ministère de l’intérieur.

Le travail quotidien des policiers municipaux, axé principalement sur la police de proximité et dont le renseignement peut être lui même qualifié de « renseignement de proximité », permettrait ainsi d’optimiser avantageusement le dispositif déjà existant.

Une plaque d’immatriculation contrôlée dans le Vaucluse par un policier municipal, un contrôle routier effectué par une équipe de police municipale dans le Lot, un bulletin de service journalier rédigé par un policier municipal dans le Jura, pourraient ainsi alimenter une base de données nationale et peut être permettre de croiser utilement ces données informatiques sensibles sur des individus déjà recherchés ou surveillés dans d’autres départements ou dont le statut les place parmi les personnes fichées « S ».

La technologie est en capacité aujourd’hui de créer des « alarmes informatiques » sur ces types de menaces.

Dans la période sensible que nous vivons aujourd’hui, il s’agirait de nous demander si nous avons encore le luxe de nous passer des ressources inexploitées en matière d’échanges de renseignement provenant des 22 000 policiers municipaux.

Si la sécurité intérieure a un prix, le renforcement et l’interaction des ressources de sécurité pouvant y contribuer apparaissent plus que jamais urgents !

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