ENQUÊTE. Lycée Saint-Cyr: une machine à broyer les femmes (Par Guillaume Lecaplain et Anaïs Moran)

«Libération» a enquêté sur le sexisme érigé en système au sein des classes préparatoires militaires par un puissant groupe d’élèves : les «tradis». Entre humiliations et harcèlement moral, tout est fait pour saper les ambitions des étudiantes.

C’est une lettre, rédigée avec rage et remplie de rancœur, qui a sonné l’heure de la rébellion au lycée militaire de Saint-Cyr-l’Ecole (Yvelines). Celle de Mathilde (1), 20 ans, élève de deuxième année de classe préparatoire dans l’établissement, envoyée au président Macron, le samedi 2 décembre 2017. Avec ces mots, reflets d’une plaie à vif : «J’avais jusqu’à présent le projet d’intégrer l’Ecole spéciale militaire (ESM) de Saint-Cyr. […] J’ai honte d’avoir voulu aller dans une armée qui n’est pas prête à recevoir des femmes. J’ai appris que porter un vagin ruine une carrière, une vocation, une vie.» Mathilde rêvait d’être officière de l’armée de terre. Ces deux années de prépa au lycée de Saint-Cyr, réputées être le meilleur tremplin pour atteindre cet objectif, ont fracassé son rêve.

Harcèlement moral, intimidations, insultes, humiliations, marginalisation, coups bas : depuis son arrivée, en septembre 2016, Mathilde se sent «persécutée» par un groupe de garçons «prêts à tout»pour la voir abandonner le concours d’entrée à l’ESM (lire encadré).

«Réactionnaire»

Ils se nomment communément les «tradis» et ont réussi leur pari : la jeune femme souhaite retourner dans le civil à la fin de l’année, écœurée par le monde militaire et sa misogynie corrosive. Ce n’est malheureusement pas la seule. Dans la «corniche» de Saint-Cyr (l’ensemble des classes préparatoires du lycée), ce sexisme psychologiquement virulent, orchestré par une minorité puissante (environ 60 élèves sur 230), est subi de manière quotidienne par une large majorité d’étudiantes. «Sans que le commandement ne bouge d’un orteil», s’insurge Mathilde.

La lettre adressée à Emmanuel Macron était porteuse d’espoir, d’un balbutiement de révolte. Elle a fait pschitt. Quelques tables rondes ont été organisées au lycée… Mais aucune mesure n’a été annoncée après. Alors, face à cette «passivité», Mathilde a choisi de contacter Libération pour alerter sur ce «vase clos réactionnaire et paternaliste». Au fil des jours, une quinzaine d’autres personnes ont, elles aussi, spontanément souhaité libérer la parole. Leurs témoignages couvrent une période allant de 2013 à aujourd’hui. Filles (très majoritairement) et garçons, ex-étudiants, élèves actuels anciens membres de l’encadrement : tous décrivent à Libé le sexisme systémique des classes préparatoires au lycée militaire de Saint-Cyr. Ou comment sévit depuis des générations le clan des tradis pour évincer leurs camarades féminines et broyer leurs ambitions. En quasi toute impunité.

«Youle»

Mercredi 29 novembre 2017, trois jours avant l’envoi de la lettre. Comme tous les ans à cette même date, c’est jour de fête au lycée militaire de Saint-Cyr : l’établissement hanté par le souvenir napoléonien célèbre la fameuse bataille d’Austerlitz en organisant la soirée du «2S» lors de laquelle les élèves proposent des «sketchs». Ce soir-là, une dizaine d’élèves (que des garçons) arrivent torse nu pour danser sur scène. Sur la peau, ils ont peint le symbole µ. Prononcé «mu», c’est un nom de code signifiant «misogyne», nous explique Agathe, une ancienne élève d’hypokhâgne du lycée. «Il est tagué dans la cour, il est gravé sur les tables de classe. Bref, il est partout», assure-t-elle. Quelques minutes de show plus tard, une jeune fille, volontaire, entre en scène afin de se faire «faussement» scalper par les jeunes hommes. Qui la mènent ensuite à leur chef en criant : «Youlez les…» avant d’entendre une partie du public masculin répondre d’une seule voix : «…grosses !»

«Youlez les grosses» signifie …..

Lire la suite sur le site http://www.liberation.fr/france en cliquant [ICI]

 

Lire également

Lycée Saint-Cyr: une machine à broyer les femmes 

«J’étais un bourreau» : la confession d’un tradi repenti

«La question du maintien des classes prépa militaires se pose»

L’enquête de «Libé» sème le désordre dans les rangs

Saint-Cyr : les terribles témoignages des jeunes filles victimes de harcèlement

Filles harcelées en prépa Saint-Cyr : « Nous ne tolérerons pas qu’une minorité maltraite des …

Tolérance zéro dans les établissements militaires pour le harcèlement

Les Six lycées militaires – Libération

Au lycée militaire de Saint-Cyr, un groupe d’élèves harcèle les étudiantes

Harcèlement des jeunes filles en prépa Saint-Cyr: « inacceptable » pour Parly

Harcèlement moral de jeunes filles au lycée militaire de Saint-Cyr : l’enquête édifiante de …

Système

 

Cet article a 5 commentaires

  1. MB

    Excellente enquête! Dès 2001 j’avais dénoncé dans une lettre au Président de la République Jacques Chirac, le harcèlement dans les armées et l’influence démesurée de tous ces traditionalistes qui se croient propriétaires de l’armée. Ils règnent sur les armées de père en fils et à les entendre ils sont les seuls à aimer la France et à être en mesure de la défendre ! Eux seuls ont des valeurs! Ils ont pour mission première de parvenir à tous les postes de pouvoir au sein de l’armée. C’est ainsi qu’avec l’armée de métier seul le recrutement Cyr permet l’accès aux plus hauts grades. Les I.A accèdent de moins en moins aux grades de généraux, ils doivent se contenter de celui de colonel! Et tout au long de la carrière des barrières sont mises pour limiter la progression des autres recrutements. Pour une majorité de ces officiers là, les femmes n’ont rien à faire dans l’armée! La femme est faite pour rester à la maison et procréer! c’est une réalité. Il suffit de voir le nombre d’enfants qu’ils ont (9;10; 11 et plus). Certes, c’est leur droit. Mais lorsque l’on tombe sous les ordres de ces tradis, il ne faut pas compter les heures de présence au bureau le soir! Le bruit à la maison dérange et il est plus agréable de rentrer lorsque tout le monde est couché! Bref, le président Macron a été élu pour mettre un grand coup de balai dans la maison France! Il doit cesser de composer avec les militaires et trancher dans le vif comme il l’a fait à juste titre avec le général de Villiers. Il faut éradiquer tous ces tradis qui sont un frein au progrès et à l’émergence d’une armée nouvelle, moderne et efficace. Tout n’est pas une question de gros sous! loin s’en faut!!!!! Les femmes, dont une grande majorité réussit mieux que les hommes, ont leur place dans les armées. Pour mettre un terme à tout ce fiasco, il faut que la Ministre des armées sanctionne sans faiblesse tous les dérapages dans les Lycées militaires et les écoles militaires et n’hésite pas à virer le commandant de l’établissement lorsque celui-ci fait preuve de laxisme ou de tolérance. Par ailleurs, le défenseur des droits doit pouvoir régulièrement intervenir dans ces lieux de mixité où règne encore la misogynie.

  2. papynuc

    Lamentable comportement de ces futurs chefs. Au fait il en pense quoi l’ex commandant de la compagnie de transit du 5ème RMP sis au camp d’Arue et actuellement président de l’amicale des ex de Saint-Cyr.

  3. Anonyme

    Belle enquête effectivement, au moins, c’est « fort et clair ! ». Et l’on ressort plus instruit, plus avertit du danger qui nous guette éventuellement – lorsque l’on s’engage ou que l’on est scolarisé dans ces établissements. On retrouve aussi cette minorité chez les sous-officiers. Ensuite en poste dans les unités, on imagine… Heureusement la majorité se comporte correctement. « Ce qui m’effraie, ce n’est pas l’oppression des méchants ; c’est l’indifférence des bons » (Marthin Martin Luther King). « Les bons » et la presse commencent à signaler… cette minorité, cela semble bouger… affaire à suivre…

  4. Anonyme

    Cela sincèrement me fait froid dans le dos ! Ces graves dysfonctionnements (minoritaires) « polluent » une magnifique profession ! Objectivement, je vous assure que les étudiantes et les étudiants des universités (hors armée) n’ont pas mis longtemps à découvrir les articles de presse de « Libé » ! Je suis d’ailleurs curieux de savoir combien de fois leurs pages ont été vues sur le net. Sans aucune instrumentalisation et c’est véridique, pour l’anecdote à une amie étudiante lors d’une conversation, j’ai dit : « tu as vu l’article de Libé sur St-Cyr ? » Réponse : ouais punaise c’est une honte… [je préfère me taire pour la suite…]. Franchement tout est dit, je suis écœuré !

  5. Anonyme

    Bonjour, si le problème des lycées de défense a été soulevé, qu’en est il pour les comportements inacceptables qui sont également monnaie courante à l’école spéciale militaire de Saint Cyr. Cette école forment les futurs officiers de l’armée de terre qui commanderont demain des hommes et des femmes. Est ce que l’éthique de l’officier aborde le problème de ce qui est appelé très correctement l »indifférence courtoise », courtoisie qui a amené certains élèves officiers masculins à déféquer dans les chaussettes de leurs camarades féminines de leur promotion ! Est qu’agir ainsi fait appelle aux valeurs de cohésion, de camaraderie, d’esprit de promotion ? Est ce l’éducation que certaines bonnes familles dispensent à leurs enfants ? Est ce que l’éthique impose de refuser d’aider un membre de sa promotion, quelque soit son sexe ? Est ce que les « tradis » traitent leurs mères, leurs sœurs de « grosses », de « PAC » (inutile de développer l’acronyme) ?
    De jeunes femmes sont en souffrance, une partie du commandement valide ses comportements, il n’est qu’à se renseigner sur les fameuses notes de « geule » qu’obtiennent les élèves officiers à Saint Cyr. Une autre partie essaye de lutter, mais difficile quand le système comporte des officiers dont des officiers généraux ont une vision toute personnelle de la place de la femme dans notre société, et que cela l’emporte sur la raison.
    L’actualité tragique de ces derniers jours fera malheureusement vite oublier la souffrance de ces jeunes femmes et la désillusion qui les minera. Elles ont le droit de servir notre pays, de défendre notre patrie comme bon nombre de femmes avant elles.Est ce que les « tradis » auraient reproché à Jeanne d’Arc d’agir comme aucun homme n’avait osé le faire avant elle ?

Les commentaires sont fermés.

À lire également