Les militaires ont-ils le droit de se syndiquer?

La Constitution est censée garantir au citoyen français le droit de défendre ses intérêts par le biais de l’adhésion et de l’action syndicales. Mais les militaires constituent une encore exception.

La «grande muette» a longtemps été privée de droit syndical. L’article 4121-4 du code de la défense, dans sa première version, était ainsi très clair (et restrictif). «L’existence de groupements professionnels militaires à caractère syndical ainsi que […] l’adhésion des militaires à des groupements professionnels sont incompatibles avec les règles de la discipline militaire.»

Ce n’est que récemment que cet extrait a été enrichi d’une dernière phrase : «Les militaires peuvent librement créer une association professionnelle nationale de militaires régie par le chapitre VI du présent titre, y adhérer et y exercer des responsabilités.» On doit cette avancée à Jean-Hugues Matelly, exerçant dans la gendarmerie. Le lieutenant-colonel avait fait valoir ce droit, inscrit dans la Constitution, devant la Cour européenne des droits de l’homme. Les juges avaient alors condamné la France en 2014 sur le fondement de l’article 11 de la convention, stipulant que «toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association, y compris le droit de fonder avec d’autres des syndicats et de s’affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts». En bref, rien de moins que ce qu’instaure le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946.

Les pouvoirs publics réticents

Fondée en 2001, l’Association de défense des droits des militaires (Adefdromil) n’avait pas attendu cette décision, se basant sur la résolution 903, adoptée en 1988 par la Commission parlementaire du Conseil de l’Europe. Le texte invite tous les Etats membres à accorder «dans des circonstances normales aux membres professionnels des forces armées de tous grades, le droit de créer des associations spécifiques formées pour protéger leurs intérêts professionnels dans le cadre des institutions démocratiques, d’y adhérer et d’y jouer un rôle actif». L’Etat n’avait pas vu d’un bon œil la création de l’Adefdromil par le capitaine Michel Bavoil. A tel point que le directeur de cabinet du ministère de la Défense de l’époque, Philippe Marland, avait adressé un courrier aux cadres afin d’informer «les militaires en activité de service relevant de leur autorité qu’ils ne peuvent adhérer à l’Adefdromil sous peine de sanctions disciplinaires.»

En réalité, si les militaires français peuvent effectivement se constituer en associations professionnelles, les syndicats leur sont encore interdits, limitant ainsi leur champ d’action. On attribue en effet aux syndicats tous les droits reconnus à une partie civile, dès lors qu’ils défendent l’intérêt collectif de la profession, tandis qu’une association ne peut, quant à elle, pas exiger réparation suite à un préjudice. Le syndicat a la compétence pour aller aux prud’hommes ou devant le tribunal des affaires sociales.

D’après le service des affaires étrangères du Sénatd’autres pays en Europe ont ouvert ce droit fondamental à leurs troupes.«En Allemagne, en Belgique et aux Pays-Bas, les personnels militaires peuvent librement adhérer à n’importe quel syndicat, qu’il s’agisse d’une organisation strictement professionnelle ou affiliée à une centrale civile.»

Si elle n’envisage pas de remettre en question l’interdiction aux militaires de faire grève, l’Adefdromil, espère que le syndicalisme s’ouvrira un jour pour les militaires, ce qu’elle qualifie de «tabou». En 2001, dans une lettre adressée au président de la République – Jacques Chirac à l’époque – Michel Bavoildemandait à l’exécutif d’engager une réflexion. «Il paraît indispensable au soussigné, que monsieur le Président de la République, chef des armées, prenne clairement position sur la nécessité d’adapter le statut général des militaires aux exigences et évolutions d’une armée démocratique au sein d’un monde moderne.» Une demande, restée jusqu’ici au point mort, à laquelle il y a peu de chance qu’Emmanuel Macron accède.

SourceLibération

 

Edit du 14/09/17

Suite à la publication de cet article, Michel Bavoil, vice-président de l’Adefdromil, nous a fait parvenir les précisions suivantes :

La modification apportée à l’article 4121-4 du code de la défense n’est absolument pas due exclusivement à Jean-Hugues Matelly, exerçant dans la gendarmerie. En effet, il se trouve que l’Adefdromil dont j’étais le Président en exercice a déposé en 2009, une requête devant la CEDH pour violation  de l’article 11 de la Convention, c’est à dire un an avant la saisine de la CEDH par Monsieur Matelly. Les deux requêtes ayant  le même objet à juger, la CEDH a examiné en même temps ces deux dossiers et a rendu non pas un seul arrêt en octobre 2014 mais deux arrêts: Adefdromil/c France et Matelly c France.

Par ailleurs, il est écrit dans l’article: «L’Adefdromil espère que le syndicalisme s’ouvrira un jour pour les militaire». Tenant compte des différents événements qui se sont passés depuis sa création en 2001 (mouvement des femmes de gendarmes, descente des gendarmes dans la rue, arrêts CEDH , création des APNM, scandale louvois etc) la ligne politique de l’Adefdromil a notablement évolué. En effet, nous condamnons toute initiative qui consisterait à vouloir créer des syndicats traditionnels au sein des armées, par contre nous approuvons la création des APNM et nous demandons une évolution notable de leur statut de manière à ce qu’une véritable concertation de «type syndicale» s’instaure dans la discipline et le respect des autorités hiérarchiques.

 

 

 

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