Emmanuel Macron-Pierre de Villiers : les 5 actes d’un bras de fer

Après une démonstration d’autorité d’Emmanuel Macron, le général Pierre de Villiers a démissionné mercredi de son poste de chef d’état-major des armées. Retour sur une semaine de vives tensions au sommet de l’Etat.

Arrivé au pouvoir, Emmanuel Macron a immédiatement montré son respect pour les militaires en multipliant les déplacements sur le terrain. Deux mois et demi plus tard, il doit gérer la démission fracassante, mercredi, du chef d’état-major des armées Pierre de Villiers. Jamais, sous la Ve République, le plus haut gradé de la Défense nationale n’avait pris une telle décision. En revanche, le motif de la colère n’est pas nouveau. Deux généraux, l’amiral André Patou responsable de la Marine nationale en 1970 et le général Jean Delaunay à la tête de l’Armée de terre en 1983, avaient démissionné pour la même raison que Pierre de Villiers : la restriction du budget des armées. Et comme sous Georges Pompidou et François Mitterrand, cette situation résulte d’une crise larvée de plusieurs jours.

Acte 1 : l’héritage budgétaire des années Hollande

Depuis l’engagement de l’armée française au Mali, en janvier 2013, l’Etat, pourtant soumis à la diète budgétaire depuis la crise de 2008-2010, a décidé de préserver le budget de la Défense. Un principe de solidarité budgétaire gouvernementale a été inscrit dans la loi de finances 2014 à cet effet. L’idée est simple : le budget du ministère de la Défense n’étant pas extensible, les crédits alloués au nom des « opérations extérieures » (l’opération Sentinelle, les interventions au Mali, en Centrafrique ou au Moyen-Orient contre l’Etat islamique) sont répartis sur les budgets des autres ministères. Ainsi, pour l’année 2017, les opérations extérieures ont coûté 1,3 milliard d’euros, répartis entre 450 millions sur le budget de la Défense et 850 millions sur le reste du gouvernement. Obligé par Emmanuel Macron de trouver des économies, Bercy a donc demandé de mettre fin à ce mécanisme de solidarité interministérielle, baissant in fine le budget de l’armée de ces 850 millions de crédits alloués pour 2017.

Acte 2 : l’arbitrage incompris par les militaires

Entre Bercy et l’Hôtel de Brienne, où se trouve le ministère des Armées, il y a toujours eu une guerre de tranchées. Sous Hollande, Jean-Yves Le Drian, alors en charge de la Défense, l’a toujours emporté. Sous Macron, c’est bien Bercy qui semble avoir l’avantage. Gérald Darmanin, chargé de l’Action et des comptes publics – le ministre des Finances en fait -, annonce lui-même la couleur en confirmant avoir obtenu gain de cause, dans Le Parisien du mardi 11 juillet. En poste depuis à peine trois semaines et inconnue des militaires, la ministre des Armées Florence Parly doit annuler aussitôt ses déplacements pour défendre sa cause auprès du Premier ministre Edouard Philippe. En vain. L’arbitrage, venu de l’Elysée, est définitif.

Acte 3 : la sortie du général

Au lendemain de ce rebondissement, mercredi dernier, les militaires se décident à réagir. Hasard du calendrier, le premier d’entre eux, le chef d’état-major des armées Pierre de Villiers, est auditionné par les députés de la commission de la Défense. Un grand oral à huis clos, comme toujours car les dossiers traités sont parfois classés secret-défense. L’homme, dont tout le monde loue les compétences et sa capacité d’écoute, est aussi connu pour ses coups de sang. En mai 2014, il avait déjà menacé de démissionner pour dénoncer les coupes budgétaires… aussitôt annulées. Deux ans plus tard, fin 2016, il avait réclamé plus de moyens dans une tribune aux Echos – une prise de parole publique rare pour un haut gradé. Cette fois, il n’hésite pas en lançant à des députés sidérés : « Je ne vais pas me faire baiser comme ça [par Bercy]. » Les propos, tenus à huis clos, ne tardent pas à sortir dans les journaux.

Acte 4 : le recadrage public du Président

Jeudi 13 juillet, veille du défilé militaire de la Fête nationale. Le grand public découvre les tensions entre l’Elysée et les militaires. Emmanuel Macron est au centre de l’attention médiatique : il ne va pas décevoir. Pierre de Villiers ayant remis en cause sa décision devant les députés de sa majorité, le chef de l’Etat remet en cause le général devant ses troupes. Dans la soirée, à l’occasion du traditionnel discours du Président aux participants du défilé du 14-Juillet, Emmanuel Macron lance ainsi : « Je considère qu’il n’est pas digne d’étaler certains débats sur la place publique. J’ai pris des engagements. Je suis votre chef. » Un recadrage inédit et diffusé en boucle sur toutes les chaines d’informations.

Acte 5 : la décision irrémédiable

Le 14 juillet, l’ambiance est glaciale entre les deux hommes. A l’écran, devant les téléspectateurs qui regardent le défilé militaire, ils n’échangent qu’une poignée de main, glaciale, et pas un mot de plus. Deux jours plus tard, dans les colonnes du JDD, Emmanuel Macron enfonce le clou : « La République ne marche pas comme cela. Si quelque chose oppose le chef d’état-major des armées au président de la République, le chef d’état-major des armées change. » Le message est clair : soit Pierre de Villiers accepte l’arbitrage budgétaire, soit il démissionne.

Le général choisit la seconde option en présentant sa démission mercredi à l’occasion d’un Conseil de défense restreint. Dans un post publié sur Facebook, le gradé revient sur sa décision : « Sortir de sa zone de confort, c’est s’exposer, mais c’est aussi se révéler ; à soi-même, pour commencer. ‘Je vaux ce que je veux!' » François Lecointre, chef du cabinet militaire du Premier ministre à Matignon depuis Manuel Valls, le remplace. Ce successeur aura la lourde tâche d’apaiser les tensions entre l’Elysée et l’armée. L’épisode laissera des traces dans la communauté militaire.

Source: http://www.lejdd.fr

 

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