Examen, ouvert à la presse, de la proposition de loi de M. Olivier Audibert Troin instituant une carte de famille de blessé de guerre (n° 3606) (M. Olivier Audibert Troin, rapporteur) — Information relative à la commission

Commission de la défense nationale et des forces armées

Mercredi 1er juin 2016

Séance de 10 heures 45

Compte rendu n° 56

Présidence de Mme Patricia Adam, présidente

— Examen, ouvert à la presse, de la proposition de loi de M. Olivier Audibert Troin instituant une carte de famille de blessé de guerre (n° 3606) (M. Olivier Audibert Troin, rapporteur)

— Information relative à la commission

La séance est ouverte à neuf heures trente.

M. Olivier Audibert Troin, rapporteur. C’est avec plaisir que je vous présente ce matin une proposition de loi instituant une carte de famille de blessé de guerre.

Comme vous le savez, j’ai eu l’honneur, avec notre collègue Émilienne Poumirol, d’être chargé par la commission en 2014 d’un rapport sur la prise en charge des blessés qui se trouvait être, nous l’avons découvert ensemble, le premier jamais rédigé sur ce thème. Au cours des nombreuses auditions que nous avons conduites et des visites sur le terrain que nous avons faites, j’ai eu le privilège de pouvoir recueillir de nombreux témoignages. Ils étaient tous bouleversants parce qu’ils ne cessaient de rappeler, à l’homme et à l’élu que je suis, que notre armée est avant tout faite de la chair et du sang de ses hommes. L’extrême sophistication des matériels ne doit en effet pas faire oublier que la guerre était et est toujours l’affaire d’hommes mis en présence ; et lorsque les choses se passent mal, des hommes perdent la vie ou une partie de leur intégrité physique. C’est cette réalité brutale dans sa simplicité et cruelle dans son évidence à laquelle je me suis trouvé confronté encore et encore. Et c’est pour cette raison, pour cette hypothèque sur leur vie librement consentie, que la Nation tout entière doit aux soldats qui ont souffert pour elle une reconnaissance dont la manifestation ressort autant du symbole que d’actions concrètes.

Et ce que la Nation doit aux blessés, elle le doit également à leur famille qui souffre en quelque sorte du second impact de la blessure. Comment oublier le récit de cet ancien militaire souffrant de syndrome post-traumatique racontant comment son petit garçon venait presque chaque nuit le rechercher dans la cuisine alors qu’il se terrait, recroquevillé sur le sol dans le noir à côté du réfrigérateur ? Ou celui de cet autre, sujet à des crises de panique telles qu’il ne pouvait sortir de chez lui qu’accompagné par son épouse contrainte de trouver quelqu’un pour la remplacer quand elle avait des obligations auxquelles elle ne pouvait se soustraire ? Je suis en mesure de vous dire que l’on ne sort pas indemne de ces auditions qui étaient toutes plus bouleversantes les unes que les autres.

Des parents, des conjoints, des enfants ne reconnaissent plus l’homme ou la femme qui leur est rendu. Rendu, ce verbe peut surprendre mais il reflète bien la réalité du retour du blessé dans son environnement familial. La famille retrouve un être différent de celui qui est parti et s’adapte avec plus ou moins de difficulté à cette situation nouvelle. Le blessé s’adapte aussi et un nouveau lien se fait autour de la blessure entre le blessé et sa famille. Il arrive que cela ne fonctionne pas de part et d’autre et que la famille se désintègre. Or la famille, les médecins le disent, joue un rôle central dans la guérison du blessé.

Il serait néanmoins tout à fait erroné de penser que les familles sont totalement oubliées aujourd’hui dans le dispositif de soutien mis en place par le ministère pour les soldats en général et les blessés en particulier. Certains volets s’adressent aux familles préalablement au départ en opérations extérieures : il s’agit notamment d’un guide en ligne très complet disponible sur le site de la Caisse nationale militaire d’assurance maladie et de réunions d’information collectives organisées par la sous-direction de l’action sociale avant le départ en OPEX. En cas de blessure, la famille peut compter sur le soutien immédiat des cellules d’aide aux blessés de chaque armée, qui sont une source d’information précieuse et un guide dans le « tsunami administratif » qui s’abat sur le blessé et sa famille.

Une maison du blessé de l’hôpital Percy a été inaugurée en avril 2015 – nous étions très nombreux autour de Jean-Yves Le Drian – et propose aux blessés en suite de soins et aux familles six studios, cinq appartements et des lieux de vie communs. En dehors de cette maison, l’action sociale finance pendant 21 jours un hébergement hôtelier pour permettre à deux membres de la famille de rester auprès du blessé hospitalisé. Une fois ces 21 jours écoulés, des associations peuvent prendre le relais en cas de nécessité. L’IGeSA offre également un séjour d’une semaine de vacances au blessé et à sa famille. Différentes aides de garde d’enfant et ménagères sont disponibles ainsi que le recours à des aides sociales personnalisées gérées par l’action sociale ou l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre (ONAC-VG) en fonction de la situation de chaque famille.

Ce soutien matériel est un socle essentiel qui assure une sécurité mais il est loin d’être suffisant. Le besoin de parler, d’être entendu, de trouver des réponses à des questions parfois lancinantes est énorme et va de pair avec celui d’être reconnu. Au besoin de parole répond le dispositif Écoute défense, un numéro vert accessible sept jours sur sept et 24 heures sur 24 mettant en relation avec des psychologues du service de santé des armées qui peuvent, en cas de besoin, orienter vers les soins de proximité adéquats.

Mais le besoin de reconnaissance, dont la vocation thérapeutique n’est contestée par personne, est bien celui qui m’est apparu le plus souvent évoqué au cours des travaux préparatoires à notre rapport sur les blessés. Il semble aussi le moins bien satisfait. Les blessés victimes d’une blessure de guerre homologuée peuvent recevoir l’insigne des blessés que les armées ont fini par décerner aujourd’hui sans état d’âme à leurs blessés, tant physiques que psychiques, après des atermoiements et des années de pratiques divergentes. L’article 6.1 du rapport annexé à la loi de programmation militaire pour les années 2014 à 2019 entend d’ailleurs bien clarifier cette situation par la détermination des modalités du port de cet insigne grâce à un décret pris après avis du Conseil d’État. Selon la procédure habituelle un avis consultatif a donc été pris par le ministre de la Défense auprès du Grand chancelier de la Légion d’honneur qui, au bout d’une année de réflexion, a apporté une réponse arrivée en début de semaine. D’après les informations qui me sont parvenues, cet avis ne serait pas totalement positif. Je ne doute pas que le décret que proposera le ministre de la Défense mettra un terme positif et définitif à ce débat.

Puisqu’il est, au regard des vicissitudes de l’insigne des blessés, déjà complexe d’honorer les blessés de guerre, il n’est guère étonnant que les familles ne l’aient pas encore été alors que cette demande est exprimée avec force, notamment par les conjoints. C’est pourquoi, ma proposition de loi est de nature à combler cette lacune et à matérialiser la reconnaissance de la Nation pour les souffrances induites et les sacrifices consentis par la famille.

La carte de famille de blessé de guerre se place délibérément dans le registre du symbole, dont une des vertus est d’ordre thérapeutique.

Par ailleurs, il se peut qu’ici ou là des collectivités ou des associations de commerçants, comme cela se pratique parfois déjà pour les militaires dans certaines communes, et c’est le cas à Draguignan, décident de consentir des avantages économiques aux porteurs de cette carte. Mais il s’agira d’initiatives privées qui, si elles ne sont pas le but initial de cette proposition, contribueront bien évidemment au lien armée-Nation.

C’est à dessein que ma proposition n’entre pas dans le détail des modalités d’application afin que le ministère ait toute latitude pour mettre en place le dispositif le plus léger possible. Mais je tiens toutefois à formuler quelques recommandations.

Il me semble que les cartes devraient être délivrées par la direction des ressources humaines de chaque armée, chargée de l’homologation de la blessure de guerre, afin que le lien soit établi de façon indubitable entre la blessure de guerre et la carte de famille de blessé de guerre.

L’enfer est, comme on le sait, pavé de bonnes intentions. Ainsi mon attention a-t-elle été attirée par le service de santé des armées sur la nécessité de considérer chaque cas isolément et de ne pas remettre la carte de façon systématique une fois la blessure de guerre homologuée. C’est pourquoi j’ai précisé dans le texte de la proposition de loi que cette carte sera attribuée seulement sur demande. Mais au-delà, la demande devrait être formulée par le blessé lui-même qui souhaite en disposer pour sa famille et non directement par la famille. En effet, certains blessés, physiques dont le handicap appareillé ne se voit pas ou psychiques dont le mal est par nature invisible, peuvent ne pas souhaiter se définir en tant que blessés et s’afficher en tant que tels. La délivrance d’une carte non souhaitée irait alors à l’encontre du but recherché.

La carte pourrait être remise à la famille en même temps que l’insigne des blessés. Cette recommandation, soutenue par la cellule d’aide aux blessés de l’armée de terre (CABAT), permettrait d’associer pleinement la famille en lui témoignant avec solennité la considération qu’elle mérite. La valeur de reconnaissance portée par la carte s’en trouverait accrue.

Enfin, les consultations que j’ai menées dans le cadre de cette proposition de loi, le service de santé des armées, l’ONAC-VG et la cellule d’aide aux blessés de l’armée de terre notamment, me conduisent à penser qu’elle est accueillie favorablement par les personnes en charge des blessés et qu’elle correspond à une véritable demande.

Il me semble également que son objet est consensuel – je ne crois pas trop m’avancer en pensant que ma co-rapporteure Émilienne Poumirol l’aurait très certainement approuvé, tellement elle a, comme moi, été touchée par ce que nous avons vu et les auditions que nous avons menées – aussi je vous remercie mes chers collègues de l’accueil favorable que vous voudrez bien réserver à ce texte.

Je terminerai en citant une phrase de George Clemenceau que nous avons utilisée dans notre rapport sur les blessés et qui a une résonance particulière en cette commémoration du premier conflit mondial : « Ces Français que nous fûmes contraints de jeter dans la bataille, ils ont des droits sur nous. » J’ajouterai très modestement et à la place qui est la mienne : leur famille aussi.

M. Philippe Nauche. Il paraît difficile de s’opposer aux objectifs poursuivis par cette proposition de loi. L’affirmation d’une reconnaissance envers les familles des blessés nous rassemble tous. Toutefois, à la lecture du texte, je reste dubitatif quant à sa concrétisation. Je crains en effet que cette initiative ne reste lettre morte, faute de capacités à la mettre en œuvre. Il s’agit d’un dispositif symbolique, ce qui est important, mais il n’est que symbolique. Or, il ne manquera vraisemblablement pas de susciter des revendications plus concrètes à l’avenir de la part des personnes intéressées qui peuvent se trouver en difficulté, ce que l’on peut comprendre au demeurant.

C’est pourquoi à ce stade, très courageusement, je ne saurais donc dire si je soutiens cette proposition de loi, même si l’idée me semble intéressante. À titre personnel, je serais donc plutôt favorable à un vote d’abstention sur ce texte. Le débat doit être posé et il est important qu’il ait lieu dans l’hémicycle. Je suis désolé de ne pas être plus explicite en tant que responsable du groupe Socialiste, écologiste et républicain.

M. Philippe Folliot. L’exposé des motifs de cette proposition de loi et l’intervention de notre rapporteur, tant sur le fond que sur la forme, sont particulièrement forts. On sent le « vécu » et l’implication de notre collègue. Il est vrai que cette proposition de loi est assez symptomatique de l’évolution de notre société. Il y a un siècle, on comptait des milliers de blessés et donc de familles concernées par jour. J’ai encore en mémoire mon grand-père paternel blessé et laissé pour mort au fort de Vaux où il a perdu un genou et un œil et qui était resté plusieurs semaines dans le coma. Sa pudeur l’a empêché toute sa vie d’évoquer le traumatisme qu’il avait subi, même si cette expérience était particulièrement visible en raison de la nature de ses blessures.

Mais les époques se suivent et ne se ressemblent pas forcément. Pour ma part, et je pense qu’il en sera de même pour le groupe UDI dans son ensemble, j’approuve pleinement et entièrement cette démarche. Nous avons aussi besoin de symboles. Il s’agit d’un élément essentiel dans notre société où tout est « marchandisé ». Le fait d’apporter une reconnaissance d’ordre moral me semble important. Nous constatons tous à quel point ce qu’a exprimé notre rapporteur est vrai et juste, notamment ceux dont la circonscription abrite des régiments – ce qui est mon cas avec le 8erégiment de parachutistes d’infanterie de marine qui est souvent en première ligne et qui a été particulièrement touché, en Afghanistan et ailleurs. C’est donc sans état d’âme que je voterai cette proposition de loi, et je pense que mon groupe la soutiendra également.

M. Christophe Guilloteau. Je crois que nous ne pouvons qu’exprimer des positions individuelles et non une position au nom de tout un groupe politique car le sujet n’est pas simple. Je constate en effet que cette proposition de loi est portée par un certain nombre de membres du groupe auquel j’appartiens, mais qu’elle n’a pas été signée par la totalité de ses membres. C’est donc à la lumière de ses convictions personnelles et de sa propre philosophie que l’on peut soutenir une telle démarche, qui est une démarche louable mais qui pose des difficultés d’application. Même si l’initiative est belle et noble, elle reste du domaine du virtuel.

J’ai cosigné cette proposition de loi, je ne suis donc pas suspect. Mais je m’interroge malgré tout sur son application, si le processus devait aller jusqu’au bout. J’ai bien compris que l’auteur laissait l’application du texte à la libre appréciation du ministre de la Défense ; je lui souhaite dès lors bon courage pour en suivre la mise en œuvre concrète ! La règle est de soutenir ses collègues : j’ai cosigné cette proposition et je la soutiendrai donc jusqu’au bout, mais je m’interroge. La mariée n’est-elle pas trop belle ? Ne voulons-nous pas en faire trop ? La reconnaissance de la Nation vis-à-vis des blessés existe grâce à tout un système, dont l’attribution la carte du combattant. Faisons attention à ne pas tomber dans « l’effet kermesse ».

Mme la Présidente Patricia Adam. La parole est à Charles de La Verpillière qui, lui, ne l’a pas signée…

M. Christophe Guilloteau. Mais qui est peut-être pris de repentance !

M. Charles de La Verpillière. N’étant pas un adepte de la repentance, loin s’en faut, évoquer ce terme à mon sujet ne me fait pas très plaisir…

M. Christophe Guilloteau. Le pardon des pêchés alors ?

M. Philippe Nauche. L’absolution !

M. Charles de La Verpillière. Ceci étant dit, je souhaiterais soutenir cette proposition de loi avec un peu plus d’enthousiasme que Christophe Guilloteau. (Sourires)

M. le rapporteur. Ce ne sera pas difficile !

M. Charles de La Verpillière. Notre rapporteur a eu tout à fait raison de rappeler que la crainte qu’éprouvent les blessés est le manque de reconnaissance, indépendamment de ce qu’ils endurent eux-mêmes et de ce qu’endurent leurs familles. N’oublions pas que nous sommes aujourd’hui dans le cadre d’une armée professionnelle, avec des femmes et des hommes – officiers, sous-officiers, militaires du rang – qui vivent dans un milieu assez clos, ce qui n’était pas le cas du temps de l’armée de conscription où tout ce qui arrivait à un conscrit se répercutait dans la population de son village, voire de sa ville. Il y a donc un effort à faire en termes de reconnaissance. La proposition de loi de notre collègue Olivier Audibert Troin va dans le bon sens, je la soutiens et je lui demande de me considérer comme en étant également cosignataire.

M. Jean-François Lamour. Je vais également tenter d’apporter un soutien plus ferme à l’initiative de notre collègue et rejoindre Charles de La Verpillière lorsqu’il exprime son intérêt marqué pour cette proposition de loi. Comme l’a très bien dit notre rapporteur, je ressens une sorte de désespérance des familles lorsqu’elles « récupèrent » ou qu’il leur est « rendu » – car ce sont les termes qu’elles emploient – leur père ou leur mère blessé, notamment suite à une opération extérieure. Cette désespérance se double d’une certaine incapacité à agir, non pas parce que rien n’existe – les différents dispositifs ont été rappelés – mais parce qu’il y a une forme d’isolement suite au retour du blessé dans sa famille. Le reconnaître de manière symbolique grâce à la carte dont il est proposé la création est donc déjà très important. L’autre point positif de cette initiative est qu’elle ouvrira un débat en séance publique sur un modèle de reconnaissance laissé à l’appréciation du ministre de la Défense, ce qui est une très bonne chose. Je crois même qu’il faut aller au-delà. Il y a des « trous dans la raquette » dans cette reconnaissance et dans la prise en charge, et c’est à nous parlementaires de faire avancer le débat et, le cas échéant, de faire évoluer les dispositifs de prise en charge. À ces deux titres – une forte charge symbolique et la perspective d’un débat approfondi en séance publique – j’estime qu’il faut soutenir et voter cette proposition de loi.

M. Jean-David Ciot. Cette proposition de loi a le mérite de poser la question de la reconnaissance de la Nation vis-à-vis des familles de nos blessés de guerre. Au-delà de l’aspect symbolique, il y a l’accompagnement des familles en difficulté. Ce texte pose un certain nombre de problèmes dans l’absolu. Notamment, ouvre-t-il des droits attachés ? Il faut être extrêmement prudent par rapport à d’éventuelles revendications. Un certain nombre de dispositifs d’accompagnement existent qui prennent en compte la situation de ces familles, parfois avec des difficultés, notamment d’ordre budgétaire. Par ailleurs, se pose la question du périmètre de la famille : quelle est la définition de la famille et, par conséquent, quels sont ceux qui prennent en charge les blessés à ce titre ?

À titre personnel, je suis plutôt favorable à cette proposition de loi. Nous devrons toutefois débattre de la question des droits attachés, mais ce débat ne peut pas être ouvert à l’occasion d’un tel texte, certes utile, mais symbolique. Je suis néanmoins favorable à la reconnaissance de familles qui sont touchées au retour des blessés. Ce n’est pas l’émotion qui doit conduire à l’adoption de lois, mais une véritable reconnaissance est à trouver.

M. Jacques Lamblin. Je souhaite à mon tour apporter mon soutien à cette proposition de loi que je n’ai pas signée, mais uniquement pas distraction (Sourires). Ce qui est essentiel, c’est de souligner l’importance du socle familial et d’affirmer que lorsqu’un blessé grave retrouve sa famille, la souffrance est partagée mais, souvent, la guérison l’est également. L’environnement familial participe à la récupération psychologique et sans doute physique du blessé. Par ailleurs, il me semble important que la proposition de loi reste une proposition de loi désintéressée. Si des droits attachés doivent être ouverts, ils doivent être évalués en fonction de la gravité des blessures qu’aura subies le militaire, à l’image du travail effectué par les tribunaux civils en cas d’accident, avec notamment la notion de pretium doloris. L’attribution de la carte de famille de blessé de guerre ne doit pas entraîner en tant que telle l’ouverture de droits attachés. Le dispositif doit rester désintéressé. À mes yeux, c’est ce qui fait sa force et c’est ce qui m’amène à le soutenir.

Mme la présidente. La question des droits attachés à la carte est une question importante. Je tiens à souligner que le code de la défense prévoit déjà des dispositions en faveur des « ayants droit » des militaires, notion plus précise à mes yeux que celle de « famille ». Le mot « famille » est flou ; où s’arrête la famille et de qui s’agit-il : des ascendants, des descendants, des collatéraux, des conjoints ? C’est là un problème juridique que l’on a déjà rencontré dans le droit de la condition militaire. Quid des familles qui se seraient désintéressées de la prise en charge des blessés ? C’est la prise en charge effective et non le lien familial qui compte.

M. Philippe Nauche. C’est à ces questions que je faisais allusion en parlant de la complexité qu’il y aurait à mettre en œuvre le dispositif proposé par un texte simple. Certes, notre collègue Olivier Audibert Troin propose que l’octroi de la carte soit demandé par le blessé lui-même, et non pas directement par les membres de sa famille : mais qu’en est-il en cas de blessure affectant le discernement du blessé et sa capacité à exprimer un consentement éclairé ? Les intentions des auteurs sont assurément excellentes, et la souffrance des blessés et de leurs familles existe bien ; mais ne mettons pas en place une usine à gaz.

M. le rapporteur. Le débat est intéressant mais se focalise sur les applications concrètes de ma proposition de loi et, après tout, c’est bien normal. Néanmoins, l’objet de cette proposition de loi se situe en réalité dans le registre du symbole, celui de l’humain, un registre que nous avons longuement évoqué avec notre collègue Émilienne Poumirol au cours de notre mission ; je peux comprendre les réserves formulées mais je crois qu’il faut avoir vu, et écouté, les blessés et leurs familles pour prendre la mesure de leur besoin de reconnaissance. Aucune des familles que nous avons rencontrées ne nous a présenté de demandes d’aide matérielle : c’est de la reconnaissance de la Nation qu’elles ont besoin. C’est d’ailleurs pour cela que ma collègue Émilienne Poumirol et moi-même avons intitulé notre rapport d’information : « La prise en charge des soldats blessés : un devoir de soutien et de reconnaissance de la Nation ».

La prise en charge des blessés représente aujourd’hui, pour eux et leurs familles, un véritable parcours du combattant. Lorsque nous avons rédigé notre rapport, il fallait en moyenne 380 jours pour l’obtention d’une pension militaire d’invalidité ; ce délai approche aujourd’hui 500 jours ! Mais, pour imparfaites que soient leurs modalités de mise en œuvre, il existe déjà des dispositifs d’accompagnement économique des blessés et de leurs familles ; l’objet de cette proposition de loi est de répondre à un besoin de reconnaissance, ce qui est d’un autre ordre.

Certains se demandent peut-être si ce n’est pas par facilité que le texte que nous présentons renvoie à un décret le soin de fixer ses conditions d’application. Il n’en est rien et je rappelle que j’ai formulé des recommandations. Cette disposition participe simplement de notre volonté de procéder de façon consensuelle et justement de ne pas « monter une usine à gaz », pour reprendre un terme employé. Ainsi il pourra être laissé le soin à chaque état-major, responsable de l’homologation de la blessure de guerre, de délivrer cette carte et, par exemple, de la remettre aux familles en même temps que l’insigne des blessés. Je rappelle également qu’aucun droit n’est attaché à cette carte.

Certains d’entre vous se demandent quel droit appliquer aux blessés qui n’ont plus l’entière possession des facultés intellectuelles requises pour exprimer leur volonté et faire la demande de la carte. Certes, de tels cas peuvent exister, mais ils ne représentent en tout état de cause qu’un nombre très limité de personnes ; comme dans tous les domaines, on peut évoquer certains cas particuliers pour justifier le refus de la mesure proposée. Mais en l’espèce, la probabilité est trop faible pour devoir nous arrêter. D’ailleurs, si les facultés intellectuelles d’un blessé sont gravement affectées, demander une carte pour sa famille relève par nature des actes de la tutelle ou de la curatelle.

Nos armées ont par ailleurs tout à y gagner, si l’on considère l’état de leurs effectifs de façon pragmatique. Le service de santé des armées, ainsi que tous les acteurs de la prise en charge des blessés, le disent bien : le soutien des familles est un facteur de réussite dans la guérison des blessés. Un blessé entouré par sa famille guérit plus vite. Notre proposition vise à contribuer à impliquer encore davantage les familles dans ce processus.

Enfin, à mes yeux, le courage aujourd’hui consiste à prendre conscience de l’effet dévastateur qu’aurait sur nos militaires le refus par l’Assemblée nationale d’une reconnaissance symbolique de nos blessés et de leurs familles. Il s’agit d’humain avec un grand H et cela mérite que l’on dépasse les clivages traditionnels sur les bancs de notre Assemblée. Laissons de côté la petite politique politicienne, que nous pratiquons tous, et rassemblons-nous autour de cette mesure symbolique. Peut-être le texte doit-il être retravaillé. Mais la représentation nationale, un siècle après Verdun, se grandirait en faisant bloc avec les familles de nos blessés dans le cadre de la reconnaissance de la Nation.

M. Philippe Nauche. Je comprends votre passion et j’étais presque prêt à voter pour ce texte, mais je n’accepte pas ce type d’argument, consistant à dire que si nous ne le votons pas, c’est que nous faisons de la politique politicienne ou que nous n’avons pas de cœur. Il est certes important de discuter de ces sujets, et d’en discuter en séance avec le Gouvernement. Mais je persiste à penser que le texte n’est pas mature, et à titre personnel, je penche pour l’abstention. La reconnaissance que la Nation doit bien entendu aux blessés passe par d’autres voies qu’une carte dont on ne sait pas à qui elle bénéficie – le terme de « famille » est bien vague.

Mme la présidente. Tous les points de vue sont entendus, et la commission n’est saisie d’aucun amendement.

La commission en vient à l’examen de l’article unique de la proposition de loi.

La commission adopte l’article unique.

En conséquence, elle adopte l’ensemble de la proposition de loi.

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Informations relatives à la commission

La commission a désigné M. Olivier Audibert Troin, rapporteur de la proposition de loi instituant une carte de famille de blessé de guerre (n° 3606).

La séance est levée à onze heures quinze.

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Membres présents ou excusés

Présents. – Mme Patricia Adam, Mme Sylvie Andrieux, M. Olivier Audibert Troin, M. Malek Boutih, Mme Isabelle Bruneau, Mme Nathalie Chabanne, M. Guy Chambefort, M. Jean-David Ciot, Mme Carole Delga, M. Philippe Folliot, M. Yves Foulon, M. Claude de Ganay, Mme Edith Gueugneau, M. Christophe Guilloteau, M. Francis Hillmeyer, M. Jacques Lamblin, M. Jean-François Lamour, M. Charles de La Verpillière, M. Philippe Meunier, M. Philippe Nauche, Mme Nathalie Nieson, M. Jean-Claude Perez, M. Gwendal Rouillard

Excusés. – M. Claude Bartolone, M. Philippe Briand, M. Jean-Jacques Candelier, M. Laurent Cathala, M. David Comet, Mme Catherine Coutelle, M. Lucien Degauchy, M. Guy Delcourt, Mme Geneviève Fioraso, Mme Geneviève Gosselin-Fleury, M. Serge Grouard, M. Éric Jalton, M. Gilbert Le Bris, M. Jean-Yves Le Déaut, M. Frédéric Lefebvre, M. Christophe Léonard, M. Bruno Le Roux, M. Maurice Leroy, Mme Lucette Lousteau, M. Alain Marty, M. Damien Meslot, M. Alain Rousset, M. Jean-Michel Villaumé, M. Michel Voisin

Source: Assemblée nationale

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