Grâce au web, la Grande Muette ne l’est plus tout à fait

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Le président de l’Association de défense des droits des militaires a damé le pion à sa hiérarchie.

Michel Bavoil, militaire en retraite, est fondateur de l’Adefdromil, l’Association de défense des droits des militaires. Il est en passe de gagner son bras de fer contre le ministère de la Défense, qui voulait faire fermer son site.

A quoi sert le site de l’Adefdromil ?
L’Adefdromil est une association loi 1901, qui a pour objet l’étude et la défense des droits des militaires en service. Nous les informons et veillons à leurs intérêts professionnels, matériels et moraux. Cette initiative n’aurait pu voir le jour sans internet. Car, par les voies traditionnelles, il était impossible pour nous de toucher les militaires. Les seuls supports papier qui peuvent entrer à l’intérieur des casernes sont les grands quotidiens. Toute autre forme de journal, document écrit ou tract y est formellement interdite, à l’exception des prospectus d’amicales. Il est clair qu’internet a été une révolution et nous a permis de prendre de court la haute hiérarchie des armées. Il y a deux ans, à notre création, nous comptabilisions 3000 visites par mois, nous en sommes aujourd’hui à 16 500 et 2000 internautes sont abonnés à notre newsletter. Tout cela grâce au bouche-à-oreille et à la presse, sans aucun prosélytisme. Aujourd’hui, certains gradés disent même de moi que je suis « l’homme le plus connu de l’armée française » ! (rires.)

Que viennent chercher les militaires sur votre site ?
D’abord des informations qui ne circulent pas ou mal au sein des armées : textes publiés dans le bulletin officiel des armées, arrêts du conseil d’Etat concernant les militaires et autres jugements ou jurisprudences. Nous pouvons aussi apporter un soutien juridique. Les dossiers sont alors transmis à trois cabinets d’avocats parisiens spécialisés dans les affaires militaires. Les problèmes de harcèlement moral ou sexuel constituent le gros des dossiers, et cela ne va pas en s’arrangeant, avec l’arrivée de nombreuses jeunes femmes dans une armée déprimée par les réformes. En revanche, des affaires qui étaient hier étouffées par des pressions ou des mutations ne peuvent plus l’être aujourd’hui. L’an passé, nous nous sommes même « fait » un général dans une affaire à l’île de La Réunion.

Ce qui vous fait dire que ‘La Grande Muette ne l’est plus tout à fait’ depuis que votre association existe sur le net…
La simple publication d’une information sur notre site, avant même qu’elle ne soit divulguée par la presse, permet de faire bouger les choses. Un exemple récent : à Saumur, des lieutenants avaient organisé un repas bien arrosé pendant lequel des photos ont été prises puis publiées sur le site officiel de l’école militaire de la ville. On y voyait un colonel se laisser aller avec une jeune fille de l’école. Plusieurs femmes de sous-officiers, choquées, m’ont envoyé un mail pour me signaler ces photos.
J’ai simplement dénoncé l’affaire en titrant « Chacun doit rester à sa place « , pour mettre en garde contre les risques de harcèlement sexuel. En l’espace de deux jours, le colonel a été convoqué et les photos retirées. Preuve que notre site est régulièrement visité par la haute hiérarchie.
Autre exemple de pression efficace, les rapports de la Commission des recours des affaires militaires, qui peut être saisie en cas de litige. Ces rapports sont soi-disant oraux et informels, selon les dires du président de la commission. Or nous avons apporté la preuve qu’ils sont bien rédigés par un rapporteur. Depuis fin février donc, tous ceux qui en font la demande peuvent en obtenir une copie.

Vous faites de la médiation, en somme.
Le site joue un rôle tampon. Pendant la révolte des gendarmes en décembre 2001, nous avons reçu de très nombreux mails de militaires actifs qui souhaitaient témoigner de leur situation. Nous avons servi de relais pour la presse. Ils ont ainsi pu faire entendre leur voix tout en respectant leur devoir de réserve.

Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, a tenté de se débarrasser de votre association, en considérant qu’il s’agissait d’un embryon de syndicat. Etes-vous sous pression ?
Effectivement. Les experts juridiques du ministère ont clairement indiqué à la ministre qu’il n’y a aucun moyen légal de faire taire l’Adefdromil. On a donc fait pression sur les adhérents de l’association, en les menaçant de « sanctions disciplinaires lourdes ». Effet limité, puisque seuls 9 adhérents sur 500 sont partis. Le Dr Claude Debeir, médecin chef militaire en activité, qui avait participé à l’émission « Ripostes » sur France 5, a certes été poussé à quitter ses fonctions de vice-président de l’association.
Mais nous ne déposons pas les armes. Un recours a été déposé devant le Conseil d’Etat pour faire reconnaître le droit d’association dans les armées, ce qui est le cas au niveau européen. Le ministère est même allé jusqu’à agrafer, en février dernier, une note spéciale au bulletin de solde des militaires leur précisant qu’il est interdit d’adhérer à l’Adefdromil. En fait, cela nous a fait une publicité formidable, car beaucoup ne connaissaient pas encore l’existence de notre association.

Vous craignez des poursuites judiciaires ?
Les seules poursuites que nous risquons, ce sont celles pour injures ou diffamation. Aussi, nous avons décidé de ne pas ouvrir de forums sur le site de l’Adefdromil, pour éviter tout dérapage. C’est à cause de certains propos tenus sur ses forums que le site « Gendarmes en colère » a par exemple été attaqué en justice par la direction de la gendarmerie et a dû migrer à l’étranger.

Vous sentez-vous surveillé ?
La DPSD (Direction de la protection et de la sécurité de la défense) vient régulièrement nous rendre visite. C’est de bonne guerre. Notre webmaster, opérationnel à 100% et un brin paranoïaque (forcément !), est certain qu’un cheval de Troie a été placé dans mon ordinateur et je suis très probablement sur écoute téléphonique. Qu’importe ! Les Renseignements généraux aussi sont venus nous voir. Nous les avons tout de suite mis à l’aise en leur disant : « Les gars, pas la peine de vous planquer dans le caniveau, chez nous, tout est clair. » Je pense que maintenant on va enfin nous foutre une paix royale.

Le site de l’Adefdromil:
https://www.adefdromil.org/

L’Adefdromil est membre d’Euromil, organisation européenne d’associations militaires:
http://www.euromil.org/

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