Ne dites rien !

La directive est connue : « Silence dans les rangs et démissionnez de l’ADEFDROMIL ! »

Devoir de réserve, contrôle de la réflexion, respect d’un raisonnement hiérarchisé, maîtrise de la discipline intellectuelle, confiance totale aux organes de concertation officiels :

Garde-à-vous ! ne dites plus rien et de grâce… n’adhérez plus à l’ADEFDROMIL. Ne consultez pas son site internet, ne compulsez pas les informations vérifiées qui s’y trouvent,  ne lisez pas les livres « Pour que l’armée respecte enfin la loi » ou « Le droit de recours des militaires ». Cultivez-vous mais pas trop et surtout, pas dans certaines directions.

Si par un extraordinaire fait du hasard vous êtes témoin au sein de la Défense d’un acte répréhensible, d’une injustice, d’une situation anormale au regard de la loi, de faux en écritures, de directives contraires aux règlements militaires, de dérives graves, d’abus de pouvoir, ne dites rien. Il y a toujours de bonnes raisons à cela. D’abord, il y a la discipline militaire qui veut que l’on ne parle ni avant ni après ses chefs et ensuite, on peut toujours vous répondre, si vous émettez une version différente d’un même fait, « c’est évident, vous en faites une affaire personnelle » ou « cela ne vous regarde pas, vous n’avez pas une vue globale de la situation », « vos remarques sont de nature syndicale et c’est interdit dans notre armée ! ». Ensuite, si vous êtes au courant d’un acte immoral ou d’un délit royalement ignoré, ne dites toujours rien : les chefs sont normalement au courant, Paris sait ! ils gèrent le problème… restez à votre place.

Vous pourrez ainsi passer votre chemin, comme les autres, garder votre tranquillité, comme ceux qui détournent le regard et ne voient jamais rien. Ne vous compliquez surtout pas la vie, cela ne servira à rien : le monde est pourri. On ne vous écoutera pas. D’ailleurs, « Il est même certain que la victime l’a bien cherché » ou bien « au départ,  les choses étaient claires », « c’est une dérive malheureuse », « on m’a désobéi », « on est allé au delà de mes ordres ». Dans la vie, on est victime ou on fait des victimes : c’est une affaire philosophique. Il y a toujours des explications. « Il est fou », « Elle est folle », « Ils étaient au courant », « Elle était d’accord », « La mineure aussi était d’accord… », « on en arrive pas là comme ça », « il y a toujours un responsable ». Et y a t’il des victimes ? Certains disent que non, il n’y a que des coupables ! Oui, pensez à vous même… à votre tranquillité, à votre promotion, aux notations de fin d’année, plaisez à vos chefs car celui ou ceux qui sont en cause dans ces affaires sont souvent puissants : celui-là par exemple, a de puissants appuis. Au contraire, faites vous bien voir de lui. Le système est ainsi. Cela ne s’appelle pas de la lâcheté mais du réalisme ! Le succès appartient à ceux qui savent se débrouiller et qui ne posent jamais de question. C’est connu, une minute de protection vaut mieux que des années de travail, de dévouement, d’honnêteté. D’ailleurs, l’honnêteté, le dévouement, la générosité, le courage, la moralité, la solidarité, la rigueur, le savoir même ; ce ne sont que des mots, des leurres. Dans la vie, c’est à chacun de montrer qu’il est le plus fort. Il y a toujours les forts et les vainqueurs, les faibles et les vaincus. Il est bien naturel que vous soyez aux côtés de ceux qui sont forts, de ceux qui réussissent et que l’on croit toujours. Et puis on ne part pas contre les copains. Non, on ne part jamais contre les amis, jamais. Les copains, la famille c’est sacré : on lave son linge sale en famille, toujours ! la famille c’est soi-même. On est plus cher à sa peau qu’à sa chemise. Et puis, reconnaître ou dénoncer certaines affaires lamentables, c’est un peu reconnaître qu’on s’est trompé et ça, il ne faut pas. C’est pas la peine de réfléchir plus loin, surtout lorsque le chef n’est pas pour.

Voyez donc ce qui se passe dans les plus grandes affaires qui aujourd’hui défrayent la chronique de l’actualité. Les affaires de Belgique, les affaires de moeurs, les affaires financières, celles de corruption, les abus de pouvoir, les versements obscurs, le sang contaminé, la lutte contre le cancer, les ventes d’armes, les marchés tronqués, la vache folle, le nucléaire, les manipulations génétiques, le pétrole, l’argent sale, la drogue, la pollution de l’air et des océans, les génocides : ces crimes et délits étaient le plus souvent connus ! mais cela ne regardait personne. Il ne fallait pas en parler. Ce n’était pas de l’intérêt de ceux qui étaient au courant qu’on en parle. Et puis le monde est ainsi : le monde est pourri. Mieux vaut ne rien dire. Et si on peut en tirer pour soi-même un certain profit, mieux vaut profiter adroitement de la situation plutôt que de s’y opposer : les exemples sont courants.

Je vous le redis, le monde appartient à ceux qui ont compris le système et qui s’y fondent ; qui réussissent socialement ; qui gravissent les échelons. Et puis, il faut bien penser à sa propre réussite. Dans certains cas il y a le Devoir de réserve avec un immense D, l’intérêt de la Famille, celui du Service, la réputation de l’Institution vis-à-vis du public, l’Importance de ceux qui versent les fonds : taisez vous ! vous faites du tord ! … mais le bien, qui le fait ?

Surtout, n’ayez pas peur de virer casaque. Si vous voyez que le rapport de force change – c’est rare mais ça peut arriver – faites comme les héros de derniers moments, criez plus fort que les autres à l’injustice, au scandale, à l’abus de pouvoir, à la pollution, au génocide : videz votre sac, manifestez votre « vive émotion », mettez en avant les erreurs de tout le monde, de tous les services. Ce n’est jamais vous le coupable, vous n’étiez au courant de rien, vous avez été trompé et manipulé. Inventez n’importe quoi. Par exemple que vous n’étiez que témoin impuissant, ou que vous ne faisiez qu’obéir aux ordres : ça c’est bien … c’est toujours valorisant par la suite (l’avancement, pensez à votre carrière, aux lendemains). Dites que vous ne saviez pas, que vous étiez responsable mais pas coupable (ça c’est pas mal), qu’on vous cache la vérité, qu’il faut toujours « gratter » pour savoir, que vous êtes entouré d’incompétents, mais surtout que le système est à revoir entièrement : les politiques, l’administration centrale, l’organisation générale, le commandement, les hommes, les ONG, la justice, les voisins… Vous servez dans l’armée, alors ne prenez pas parti. Ces hommes sont puissants, le système plus encore. Une hiérarchie les couvre, des amis aussi. Ils ont des oreilles pour entendre et n’entendent pas, des yeux pour voir mais ne voient pas. Celui-ci aussi a l’oreille des puissants : il est le chef. Si vous dites quoi que ce soit, vous serez saqué dans vos notes, votre promotion voire davantage. Ne dites plus rien du tout et renoncez à l’ADEFDROMIL. Non seulement vous n’y pouvez rien mais rester dans la mouvance peut vous être utile dans beaucoup de choses… Ainsi, le moment venu, vous pourrez aller quémander. Faites-vous des protecteurs. Aller contre le système ne vous apportera que des ennuis. Vous pourrez même en restant silencieux, tirer profit de tout ceci : avancement ; nominations ; mutations ; décorations ; logements ; stages ; missions ; conditionalat ; article 5 ; pécules ; etc.

Lutter pour le respect des personnes et des
droits élémentaires, contre les dérives au sein d’une association comme l’ADEFDROMIL, revient un peu à jouer le rôle d’abeilles s’attaquant aux pilleurs de ruches : cependant, si ces insectes attaqués ne piquaient douloureusement pas avant de disparaître, combien en resterait-il aujourd’hui ?

Si vous manquez de courage, si vous êtes intéressés par votre carrière, non ! ne dites rien et restez en dehors de cette association légale qui entreprend loyalement, là ou le silence, l’opacité, le renoncement, le contournement juridique, président.

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