Affaire Sangaris (Général (2S) Philippe BENY Conseiller militaire du Chef d’Etat à Bangui – RCA)

J’ai un petit avantage sur ceux qui écrivent ou pérorent sans trop rien connaître de la réalité de cette affaire : je suis à Bangui depuis longtemps, je connais le contexte général, les lieux et nombre des acteurs en cause. Je suis en outre ce qu’on pourrait appeler un « vieux soldat » qui en a pas mal vu, notamment en Afrique, et je pense être capable de poser un regard un peu plus discursif que d’autres sur tout cela.

Pour aider à se faire une idée sur cette affaire, je vais articuler mon propos entre l’exposé de quelques faits objectifs, celui de quelques interrogations liées à ma connaissance du sujet RCA,  et enfin celui de mon avis – par nature subjectif – sur certains points.

Des faits

Le camp de Mpoko, proche de l’aéroport, est situé à un endroit où par la géographie des lieux plusieurs forces internationales ont pu avoir contact avec les occupants : avec beaucoup de soldats africains ce sont la MISCA (force interafricaine) puis la MINUSCA (force ONU) ; avec beaucoup de soldats français et/ou européens ce sont SANGARIS (force française) et EUFOR (force européenne).

Il faut alors très précisément s’intéresser aux dates des faits, parfois à 24 heures près, car ces forces avaient ou pas mandat d’être là en protection, parfois proches les unes des autres, parfois au fil des relèves, parfois sur un mode différent entre le jour et la nuit, parfois en renforcement temporaire l’une l’autre, etc… tout cela au profit d’une sécurité toujours précaire à assurer avec des effectifs toujours contraints. Tout cela pour dire que savoir exactement qui était à tel endroit à telle période est bien difficile, surtout quand la période avancée ici et là court de décembre 2013 à juin 2014 selon les sources.

Le commandement SANGARIS et donc l’Etat-major des armées à Paris ont connaissance des allégations le 29 juillet 2014. Ils réagissent aussitôt, conformément aux lois et usages (enquête de la Gendarmerie Prévôtale, enquête de commandement, action de Justice). Mais considérons bien qu’à ce moment-là, les acteurs qui restent 4 mois en RCA ont déjà pu être relevés 2 fois sur la durée évoquée : pas facile de les trouver quand un flou total règne sur les dates de commission des faits.

En RCA, si l’on veut bien admettre qu’un mineur en grande difficulté dans un camp de déplacés est prêt à accepter un acte sexuel contre une boîte de ration, ce qui est sans doute très malheureusement vrai, on voudra aussi bien admettre que le même est prêt à dire ou témoigner de n’importe quoi contre une somme dérisoire remise par celui qui aurait besoin ou intérêt à la production d’un tel témoignage.

Des interrogations

Pourquoi une ONG ayant connaissance de ce type de comportement n’en réfère pas immédiatement au commandement de la force en cause ? Il existe des modalités de contact très rodées et connues de tous les humanitaires entre les forces et les ONG (cluster humanitaire), cela aux fins de partager l’information et d’assurer une nécessaire coordination des actions. Etrange de préférer « faire des rapports et des entrevues d’enfants » plutôt que de communiquer cela le plus rapidement possible aux autorités locales (alors notoirement déficientes, hélas !) ou, plus sûrement, au commandement de l’une ou l’autre des forces en cause.

Pourquoi cette affaire de nature à fragiliser le rôle de la France en RCA sort-elle via un média anglo-saxon juste avant l’ouverture du « Forum de Bangui », une étape clé de la gestion de la crise en RCA ? Car il faut savoir que le rôle et les options françaises rencontrent des oppositions politiques, c’est bien naturel, et qu’un récent « processus de Nairobi » a été refusé par la France et la RCA au grand dam d’acteurs internationaux parlant généralement anglais…

Des avis

Il y a sans doute eu quelque chose de bien sordide, hélas ! aux abords de ce camp. Mais qui et quand ? Celui qui dirait de façon péremptoire, selon les cas,  que jamais un soldat français, ou européen, ou onusien ne saurait commettre de tels actes n’aurait pas mis les pieds sur le terrain depuis bien longtemps… C’est malheureusement possible. Nature humaine…

Admettons donc une réalité des faits allégués. Maintenant, quand l’heure de la punition arrive, il faut frapper. Il faut certes frapper fort, mais surtout juste. Or quid des preuves ou des éléments scientifiques tangibles ? Peut-on imaginer ce qu’est le camp de Mpoko à la période considérée ? Une zone de non droit, d’insécurité et de misère humaine absolue. En plus, livrée à de fortes manipulations politiques de par des groupes ethniques rivaux, parfois hostiles à la position politique française.

Je m’amuse ainsi, si je puis dire, de voir depuis quelques jours les « témoins oculaires » complaisamment produits par RFI ou France 24. C’est à pleurer de voir ces faux témoins notoirement stipendiés par des groupes armés courir, en superbe polo et casquette hip-hop totalement incongrus à Mpoko, face aux micros et caméras pour dire n’importe quoi.

Car c’est ainsi en RCA, on crée le chaos, les gens crèvent dans les camps, mais on continue la politicaillerie et les manipulations, et cela aux frais de ces braves internationaux, civils et militaires, français en tête, assez gentils pour venir assurer un minimum vital et sécuritaire. Venir dans ce barnum faire une enquête façon « Les experts » avec combinaison blanche immaculée, pipettes et jolie tresses marquées « police » est une simple vue de l’esprit. Cela continue d’être, je le suppose, la difficulté de ceux en charge du dossier, juge comme gendarmes OPJ : quelle matérialité ? Quelles preuves ? Quelles traces ADN ?

Pourquoi avoir « caché » l’affaire depuis juillet 2014 ? Mais alors là, pardon de penser avec les Antiques et les juristes que « nul n’est censé faire état de sa turpitude »… Quand on a si peu à communiquer, il n’est pas choquant du point de vue militaire français de la fermer, surtout que rester discret ne veut absolument pas dire de rien faire, cette affaire me semble emblématique à ce sujet.

Au total

Près de 10 000 soldats français sont passés en RCA depuis décembre 2013.

14 à 16 seraient impliqués dans une affaire sordide par ailleurs immédiatement traitée par le commandement de SANGARIS, par l’Etat-major des armées et par la justice française dès qu’ils en ont eu vent.

Une fois les faits avérés et l’enquête terminée, s’il y a des coupables, nul doute que viendra le temps des sanctions qui seront judiciaires, mais aussi statutaires et disciplinaires pour ainsi punir à trois titres ces militaires, c’est à dire bien plus que ne le serait un civil. C’est ainsi.

14 à 16 salopards (encore potentiels) sur 10 000 hommes. Total 0,14 à 0,16% de comportements inadmissibles… C’est évidemment encore trop, mais :

·     à rapprocher des milliers de vies centrafricaines sauvées par SANGARIS partout en RCA ;

·     à rapprocher des 3 morts et 120 blessés de SANGARIS tombés pour ce faire ;

·    à rapprocher de ce que vient de montrer l’Education Nationale qui semble simplement changer de classe ses pédophiles pourtant avérés…

Voilà ce que je voulais apporter à ceux qui me liront, pour les convaincre que cette triste affaire n’échappe pas à la règle de l’arbre qui cache, hélas ! souvent la forêt. En l’occurrence, ces 14 à 16 salopards, s’ils existent, auront pollué l’image des 10 000 autres dont l’action en RCA est unanimement reconnue comme ayant été des plus positives.

Vous pouvez, si vous le souhaitez, diffuser et retransmettre ce billet d’humeur…

Général (2S) Philippe BENY

Cet article a 3 commentaires

  1. Anonyme

    Bonjour,

    Je ne suis pas membre de votre association mais je tiens à assurer le Général BENY de mon entier soutien sur sa vision de la situation en RCA et je dis pourquoi.
    Je ne me prononce pas sur l’affaire elle-même « des militaires », que j’ignore mais sur l’état d’esprit qui
    hélas, pour des raisons économiques règne sur ce magnifique pays. Je ne souhaite apporter qu’un témoignage d’il y a une quinzaine d’années.
    A cet époque, diplomate en poste à Bangui j’ai été amené à connaître des faits tristes sur la situation des jeunes abandonnés et livrés à eux-mêmes « par leurs parents » , « par l’Etat » et cela faute de moyens.

    «  » » Ainsi il arrivait couramment que certains jeunes de 10 à 15 ans, » se jettent » sous les roues d’une voiture, conduite par des européens (les seuls à avoir une assurance) dans le but d’être blessé au niveau d’un membre et d’obtenir par la suite un dédommagement voire une indemnité – des informations obtenues : la somme était partagée avec l »adulte » qui avait incité le jeune à passer à l’acte. » » »

    Cela fait ressortir la détresse des personnes dont la seule raison était la « survie ».
    Roger ABENSOUR

  2. Anonyme

    Bonjour,

    Mon soutien entier au Général BENY sur son analyse de ce qui peut se passer et se passe en R.C.A. au moment de certaines crises(coup d’état,mutinerie de l’armée centrafricaine ,etc…°
    Entièrement d’accord avec le fait relaté par Monsieur ABENSOUR,car j’ai moi-même vécu à BANGUI du 1er octobre 1996 au 30 novembre 2001 ,en tant que directeur d’agence d’une grande société internationale et vu ce qui se passait au cours de ces événements(pillages,agressions et autres)
    L’Armée Française fait un sacré beau travail en RCA et au MALI;l’Armée Française a sauvé des centaines de personnes grâce à son intervention et il faut remercier ces militaires qui vont jusqu’au bout de leur mission quitte à y laisser leur vie.
    Bien sûr,si les faits s’avèrent exactes,alors la punition doit être EXEMPLAIRE.

    E.W.

  3. Anonyme

    Bonjour à tous,

    Je suis tout à fait d’accord avec toutes ces analyses évoquées précédemment; il est en vrai que la situation politique de la RCA a toujours été très compliquée depuis le règne de BOKASSA à nos jours. Ce pays n’a pratiquement jamais connu une stabilité politique depuis son indépendance dans les années 60. Pour avoir été à plusieurs reprises en OPEX dans ce pays en 1993 et 1996, les militaires français ont effectué leur mission avec dignité et exemplarité au péril parfois même de leur vie afin de sauver des vies humaines et d’éviter des conflits interethniques. Si les faits évoqués sont avérés, les auteurs doivent être sanctionnés très sévèrement car il n’est pas question de salir l’image de cette armée qui a tant fait et continue tant bien que mal à maintenir la paix dans ce pays dans des conditions très difficiles voire quelquefois hostiles.

    J.I.

Les commentaires sont fermés.

À lire également