Conseil Constitutionnel. M. Pierre T. et autre [Sanctions disciplinaires des militaires – Arrêts simples]. Décision n° 2014-450 QPC du 27 février 2015

Le Conseil constitutionnel a été saisi 18 décembre 2014 par le Conseil d’État (décision n° 384984 et n° 385056 du 17 décembre 2014), dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution, d’une question prioritaire de constitutionnalité posée pour MM. Pierre T. et Michaël G., par Me Élodie Maumont, avocat au barreau de Paris, relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de « l’article L. 4137-2 du code de la défense en tant qu’il prévoit la sanction des arrêts ».

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,

Vu la Constitution ;

Vu l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

Vu le code de la défense ;

Vu le code de justice militaire ;

Vu l’ordonnance n° 2007-465 du 29 mars 2007 relative au personnel militaire, modifiant et complétant la partie législative du code de la défense et le code civil ;

Vu la loi n° 2008-493 du 26 mai 2008 ratifiant l’ordonnance n° 2005-883 du 2 août 2005 relative à la mise en place au sein des institutions de la défense d’un dispositif d’accompagnement à l’insertion sociale et professionnelle des jeunes en difficulté et l’ordonnance n° 2007-465 du 29 mars 2007 relative au personnel militaire, modifiant et complétant la partie législative du code de la défense et le code civil, et portant diverses dispositions relatives à la défense ;

Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;

Vu les observations produites pour le requérant par Me Maumont, enregistrées les 8 et 23 janvier 2015 ;

Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 9 janvier 2015 ;

Vu les pièces produites et jointes au dossier ;

Me Maumont pour les requérants et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, ayant été entendus à l’audience publique du 3 février 2015 ;

Le rapporteur ayant été entendu ;

1. Considérant qu’aux termes de l’article L. 4137-2 du code de la défense, dans sa rédaction résultant de la loi du 26 mai 2008 susvisée : « Les sanctions disciplinaires applicables aux militaires sont réparties en trois groupes :
« 1° Les sanctions du premier groupe sont :
« a) L’avertissement ;
« b) La consigne ;
« c) La réprimande ;
« d) Le blâme ;
« e) Les arrêts ;
« f) Le blâme du ministre ;
« 2° Les sanctions du deuxième groupe sont :
« a) L’exclusion temporaire de fonctions pour une durée maximale de cinq jours privative de toute rémunération ;
« b) L’abaissement temporaire d’échelon ;
« c) La radiation du tableau d’avancement ;
« 3° Les sanctions du troisième groupe sont :
« a) Le retrait d’emploi, défini par les dispositions de l’article 59 ;
« b) La radiation des cadres ou la résiliation du contrat.
« Les sanctions disciplinaires ne peuvent se cumuler entre elles à l’exception des arrêts qui peuvent être appliqués dans l’attente du prononcé de l’une des sanctions des deuxième et troisième groupes qu’il est envisagé d’infliger.
« En cas de nécessité, les arrêts et les consignes sont prononcés avec effet immédiat. Les arrêts avec effet immédiat peuvent être assortis d’une période d’isolement.
« Les conditions d’application du présent article font l’objet d’un décret en Conseil d’Etat » ;

2. Considérant que, selon les requérants, en renvoyant à un décret le soin de préciser les conditions d’exécution de la sanction disciplinaire des arrêts, le législateur a méconnu l’étendue de sa compétence dans des conditions portant atteinte au principe de sauvegarde de la dignité de la personne contre toute forme d’asservissement et de dégradation, ainsi qu’à la liberté d’aller et de venir et à la liberté individuelle ;

3. Considérant que le Conseil d’État, après avoir relevé « que l’article L. 4137-2 du code de la défense mentionne, au nombre des sanctions disciplinaires applicables aux militaires qu’il prévoit, « les arrêts » et renvoie à un décret en Conseil d’État le soin de définir ses conditions d’application », a renvoyé au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité relative aux dispositions de l’article L. 4137-2 du code de la défense « en tant qu’il prévoit la sanction des arrêts » ; que le Conseil constitutionnel n’est ainsi pas saisi des dispositions de l’avant-dernier alinéa de cet article aux termes desquelles les arrêts peuvent être « assortis d’une période d’isolement » ; que, par suite, la question prioritaire de constitutionnalité porte uniquement sur le e) du 1° de l’article L. 4137-2 du code de la défense ;

4. Considérant qu’aux termes du premier alinéa de l’article 61-1 de la Constitution : « Lorsque, à l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d’État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé » ; que la méconnaissance par le législateur de sa propre compétence ne peut être invoquée à l’appui d’une question prioritaire de constitutionnalité que dans le cas où cette méconnaissance affecte par elle-même un droit ou une liberté que la Constitution garantit ;

5. Considérant qu’aux termes de l’article 34 de la Constitution, la loi fixe les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux militaires ; que ceux-ci bénéficient des droits et libertés constitutionnellement garantis dans les limites inhérentes aux obligations particulières attachées à l’état militaire ;

6. Considérant qu’aux termes des articles 5 et 15 de la Constitution, le Président de la République est le chef des armées, il assure par son arbitrage, la continuité de l’État et il est le garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire et du respect des traités ; qu’aux termes des articles 20 et 21 de la Constitution, le Gouvernement dispose de la force armée et le Premier ministre est responsable de la défense nationale ; qu’en application de ces dispositions, sans préjudice de celles de l’article 35 de la Constitution, le Gouvernement décide, sous l’autorité du Président de la République, de l’emploi de la force armée ; que le principe de nécessaire libre disposition de la force armée qui en résulte implique que l’exercice par les militaires de certains droits et libertés reconnus aux citoyens soit interdit ou restreint ;

7. Considérant qu’aux termes de la première phrase du deuxième alinéa de l’article L. 4111-1 du code de la défense : « L’état militaire exige en toute circonstance esprit de sacrifice, pouvant aller jusqu’au sacrifice suprême, discipline, disponibilité, loyalisme et neutralité » ; que, selon l’article L. 4121-1 dudit code : « Les militaires jouissent de tous les droits et libertés reconnus aux citoyens. Toutefois, l’exercice de certains d’entre eux est soit interdit, soit restreint dans les conditions fixées au présent livre » ; que le premier alinéa de l’article L. 4121-5 dispose que : « Les militaires peuvent être appelés à servir en tout temps et en tout lieu » ;

8. Considérant, d’une part, que les dispositions dont le Conseil constitutionnel est saisi n’instituent pas une sanction disciplinaire entraînant une privation de liberté ; que le grief tiré de ce que le législateur aurait insuffisamment encadré les modalités d’exécution d’une sanction qui affecte la liberté individuelle est inopérant à l’encontre des dispositions du e) du 1° de l’article L. 4137-2 du code de la défense ;

9. Considérant, d’autre part, que l’article L. 311-13 du code de justice militaire pose une limite de soixante jours à la durée maximale de la sanction des arrêts ; que l’article L. 4137-1 du code de la défense institue les garanties procédurales applicables lorsqu’une procédure de sanction est engagée, en prévoyant que l’intéressé « a droit à la communication de son dossier individuel, à l’information par son administration de ce droit, à la préparation et à la présentation de sa défense » ; que, compte tenu des obligations particulières attachées à l’état militaire et des restrictions à l’exercice de la liberté d’aller et de venir qui en résultent, en prévoyant au e) du 1° de l’article L. 4137-2 du code de la défense la sanction des arrêts parmi les sanctions disciplinaires applicables aux militaires sans en définir plus précisément les modalités d’application, le législateur n’a pas méconnu l’étendue de sa compétence ;

10. Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que les dispositions contestées, qui ne sont contraires à aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution,

D É C I D E :

Article 1er.- Le e) du 1° de l’article L. 4137-2 du code de la défense est conforme à la Constitution.

Article 2.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l’article 23-11 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 26 février 2015, où siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Hubert HAENEL, Lionel JOSPIN et Mme Nicole MAESTRACCI.

Rendu public le 27 février 2015.

ECLI:FR:CC:2015:2014.450.QPC
Source: Conseil Constitutionnel

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COMMUNIQUE DE PRESSE

Décision n° 2014-450 QPC du 27 février 2015 – M. Pierre T. et autre [Sanctions disciplinaires des militaires – Arrêts simples]

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 18 décembre 2014 par le Conseil d’État d’une question prioritaire de constitutionnalité posée par M. Pierre T. et un autre requérant. Cette question était relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du e) du 1° de l’article L. 4137-2 du code de la défense.

Le e) du 1° de l’article L. 4137-2 du code de la défense prévoit, parmi les sanctions applicables aux militaires, celle des arrêts. Le Conseil constitutionnel a jugé cette disposition conforme à la Constitution.

D’une part, le Conseil constitutionnel a relevé que cette disposition n’institue pas une sanction disciplinaire entraînant une privation de liberté. Dès lors, le grief tiré de ce que le législateur aurait insuffisamment encadré les modalités d’exécution d’une sanction qui affecte la liberté individuelle est inopérant.

D’autre part, l’article L. 311-13 du code de justice militaire limite à soixante jours la durée maximale de la sanction des arrêts. L’article L. 4737-1 du même code institue les garanties procédurales applicables lorsqu’une procédure de sanction est engagée. Le Conseil a jugé que, compte tenu des obligations particulières attachées à l’état militaire et des restrictions à l’exercice de la liberté d’aller et de venir qui en résultent, le législateur n’a pas méconnu l’étendue de sa compétence en prévoyant, au e) du 1° de l’article L. 4137-2 du code de la défense, la sanction des arrêts parmi les sanctions disciplinaires applicables aux militaires, sans en définir plus précisément les modalités d’application.

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