Témoignage d’un ex-légionnaire.

Je me suis engagé en été et après avoir terminé dans les premiers des sélections à Aubagne, j’ai été envoyé à Castelnaudary dans une section d’une cinquantaine d’engagés volontaires. Au bout d’une semaine au régiment nous sommes donc partis à « la ferme » pour une durée d’un mois. C’est dans cette ferme, loin du régiment, des gradés et de la police militaire, que s’est passée la partie la plus dure de mon instruction.

Tous les matins, rassemblement, nus dehors, qu’il pleuve ou non. A ce moment-là nous recevions les ordres de la matinée, et attendions que les chefs d’équipe se décident à nous autoriser à nous habiller. Après un déjeuner plus ou moins facultatif, nous partions pour des footings, ou des parcours d’obstacles. Les retardataires au footing subissaient de nombreux coups allant même jusqu’à se retrouver au sol, battus par plusieurs caporaux (cela m’est arrivé une fois, alors que j’avais une entorse de la cheville et que l’on m’avait interdit la consultation, j’avais fini la tête en sang).

Au cours de ce mois passé à la ferme, plusieurs d’entre nous terminèrent à l’infirmerie, et l’un finit même par être inapte définitif suite à un coup de rangers dans le dos pendant une « position du prisonnier coréen ». Le caporal responsable fit seulement une semaine de prison. A force de constater nos aller et retour à l’infirmerie et des désertions (4 ou 5 en un mois) l’OPSR (officier protection sécurité régimentaire) s’est déplacé plusieurs fois à la ferme pour nous interroger un par un sur les méthodes d’instruction de nos cadres.

La plupart de nos caporaux insultaient constamment l’un de nos camarades qui était  africain, car il ne comprenait rien et nous « ramassions » tout le temps à cause de lui ; et le pire c’est qu’à force d’entendre les mots « macaque », « singe », « bamboula », « bougnoule », etc., nous nous y étions habitué. Bref, parfois nous passions des nuits entières en slip à ramper, dans la boue, dans les graviers, à alterner la marche en canard avec diverses positions (prisonnier coréen, crocodile, etc.) toutes plus sadiques les unes que les autres. Des fois pour nous laver, les cadres nous alignaient nus, et nous arrosaient avec un tuyau d’arrosage, tout en nous prenant en photo et en buvant leur bière. Nous étions de vraies bêtes, nous ne nous considérions plus comme des êtres humains : nous étions des « merdes », nous le savions et nous l’acceptions.

Un jour, un prêtre est venu, il était appelé « le suce bite » ; il nous amena à boire et à manger, du sirop, des gâteaux etc. Pour nous faire payer ce luxe indigne d’un engagé volontaire, nous n’avons pas remangé pendant deux jours ; nous regardions les gradés manger pendant que nous restions au garde-à-vous en plein soleil, sans manger et sans boire (certains prenant des coups de chaleur). Parfois, lorsque l’un d’entre nous soufflait, les caporaux lui lançaient une assiette à la tête. L’après-midi, après le passage du prêtre, un caporal mit une grenade d’exercice dégoupillée dans la bouche de l’Africain, il nous  dit de mettre d’énormes pierres dans notre musette et nous emmena dans la colline faire des roulades et autres « conneries » ; certains ne purent, après, se baisser pendant plusieurs jours.

Une nuit on a eu un rassemblement dans la tenue du moment (comme nous étions obligés de dormir en slip, la tenue du moment était donc le slip), ils nous ont ordonné de nous allonger face au sol, les mains dans le dos. Il pleuvait et nous étions gelés. Ils nous ont masqué le visage un par un, ils nous ont attaché les mains avec des « serflex », puis ils nous ont entassés dans un GBC en « position marchandise » (c’est-à-dire sans les bancs et les bâches baissées), pendant une durée qui m’a paru une éternité. Ils nous ont baladés, nous tombions dans tous les sens, nous nous cognions les uns contre les autres, nous avions du mal à respirer, nous ne voyions plus rien. Puis ils nous ont fait descendre, dans la boue ; là, ils nous ont pris un par un et nous ont cognés pour savoir qui avait volé de la « bouffe » à la popote (restaurant des cadres dans lequel nous servions « d’esclaves »). Le résultat a été qu’on n’a jamais su qui avait fait le coup. Une dizaine de personnes étaient blessées et la moitié de la section voulait repartir dans le civil après cette expérience, sans doute l’une des pires de ma vie. Voilà pour ces quatre premières semaines en tenue de combat.          

Pendant une période sur le terrain, les caporaux nous ont pris toutes nos rations, les ont mélangées dans une marmite, et ont vidé la marmite par terre. Ils nous ont forcés à tout manger, comme des animaux et à chaque fois ils nous laissaient 10 ou 15 secondes pour tout manger, sinon ils sautaient dedans à pieds joints et après, nous redonnaient l’ordre de manger pendant 10 secondes.

A la fin de la marche « képi blanc », nous sommes retournés au régiment, là de nouveau nous avons été convoqués au bureau de l’OPSR un par un, pour savoir ce qu’il s’était passé durant ce mois. Pendant les trois mois qui suivirent nous n’avons  eu droit qu’à 2h de quartier libre, et encore, un quartier libre en colonne par un, pendant lequel nous n’avons fait que marcher dans la ville. Le reste de l’instruction était plutôt calme comparé à « la ferme » surtout qu’un mois après notre retour, nous avons changé de cadres et les nouveaux étaient moins sadiques.

A l’issue de l’instruction à Castelnaudary, on nous a demandé qui voulait partir dans le civil, en nous prévenant que ceux qui voulaient partir resteraient encore six mois au      4e RE, à « ramasser comme des chiens » ; en gros on ne nous laissait pas le choix, je voulais partir de la Légion, mais je ne voulais pas rester six mois « en prison » (après tout je n’avais commis aucun délit, je n’ai jamais eu le moindre souci avec la justice !). J’ai donc fait le choix d’aller dans un régiment de combat.

La courte période d’instruction dans ce régiment fut géniale, je me sentais comme un poisson dans l’eau, j’étais toujours l’un des meilleurs, ce qui me valait un minimum de respect de la part de mes supérieurs et surtout on me confiait souvent la responsabilité de la section. Je retrouvais enfin la motivation qui m’avait poussé dans l’armée. Après le CPE on a intégré une compagnie de combat, et là tout a changé : à nouveau traité comme une « sous-merde », sauf que cette fois, le racisme avait changé, cette fois c’était les Français que nous détestions. La haine envers les Français était telle, qu’il y avait même un tableau dans un couloir avec les bandes patronymique de tous les déserteurs francophones de la compagnie. L’un des caporaux, un Brésilien m’avait dans le collimateur, et malgré le fait que même en compagnie de combat je sois toujours l’un des meilleurs, j’étais son bouc émissaire : de garde tous les week-ends, d’EIT (élément d’intervention à temps) le soir de Noël, de garde pendant mes PLD (permission de longue durée) de Noël, etc. Je passais des nuits entières, avec sac à dos, camouflage, gilet de combat etc. à frotter les couloirs à la brosse à dent, à essorer avec mes lacets de rangers, à cirer les rangers de toute la section, à laver les WC sans gants, sans rien.

Lors de mon CTE  j’ai pris la décision de déserter. A la Légion on a un dicton : Marche ou crève. Là les sergents, les caporaux-chefs et les caporaux m’ont dit : « Pour toi c’est déserte ou crève ». Cela faisait déjà deux semaines que je creusais des trous toutes les nuits, que je faisais tous mes déplacements en marchant en canard, que j’assurais la moitié de la garde à moi tout seul, pour la seule et unique raison, qu’un caporal ne pouvait pas me « blairer ». J’ai passé le rapport du capitaine pour partir. Il n’a pas voulu, il a même dit « qu’un aussi bon élément que moi représentait sa compagnie dans chacun des challenges et qu’il se devait de me garder ». Je ne pouvais pas lui parler de mon calvaire car « balancer » est impossible pour moi, ça aurait été encore moins honorable que de déserter. J’ai donc décidé de déserter, ce que je fis la nuit même. Cette nuit-là, nous étions quatre à déserter. A la fin du CTE, la compagnie comptait dix déserteurs. Un seul est resté.

Le lendemain je me suis présenté au Centre d’information et de recrutement des forces armées (CIRFA) de ma ville pour intégrer l’armée régulière et là, on m’a dit, que en tant que déserteur je ne pouvais prétendre à une nouvelle place au sein de l’armée française.

Aujourd’hui je suis soldat dans une unité d’élite étrangère, bien loin de la Légion, et je m’y plais énormément.

                                                                                Motorola

Cet article a 2 commentaires

  1. Motorola

    Je suis l’auteur du texte ci-dessus et bien qu’il paraisse très engagé contre la Légion, je tiens à préciser que je ne crache pas dans la soupe et que j’ai beaucoup appris au cours de ces quelques mois passés à la LE. Toutefois je pense qu’elle pourrait se passer de tout ce racisme, surtout lorsque les officiers nous parlent d’intégration et de camaraderie. La légion pourrait aussi sans doute se passer de tous ces débordements venant de caporaux ou sergents débiles qui se sentent en sécurité derrière leur galon.

    Je tiens aussi à préciser que je me suis engagé à la légion il y a moins de 3ans, et la légion dont je vous parle est la Légion d’aujourd’hui.

    Je ne vous dit pas de ne pas vous engager car ça reste une aventure, aussi dure soit elle, mais j’ai écrit tout ça car je veux que vous sachiez à quoi vous attendre avant de vous engager.

  2. fanny

    Monsieur,

    Votre témoignage est saisissant, et ma pensée va aux victimes de toutes les actions odieuses perpétrées sous le prétexte d’aguerrir les militaires.

    Les injustices, privations de libertés, le manque d’humanité, les brimades, les humiliations, les injures, les sévices, doivent être bannis de l’armée, et de la Légion en particulier. Ces atteintes aux personnes n’ont rien à voir avec l’entraînement ( seuls les pervers osent affirmer le contraire ) , et ternissent l’image de la Légion. Ce n’est pas le meilleur moyen pour encourager la cohésion, le dévouement, la loyauté, voire même les sacrifices de la troupe !

    Voilà qui explique les désertions et faits divers générés par les procédés abjects et révoltants de quelques individus sadiques et indignes de porter l’uniforme, qui s’amusent à pousser à bout leurs subordonnés. Avec, parfois, le retour de manivelle faisant la une des journaux ! Les comportements scandaleux de certains légionnaires envers leurs compagnons d’armes sont inacceptables. Certaines autorités informées et complaisantes ( par solidarité pernicieuse ou par lâcheté ? ) sont, elles aussi, responsables de ces vies brisées. Le déni et les pressions diverses doivent cesser. Les fautifs et ceux qui , à tous les échelons, les encouragent en les couvrant, les auteurs de menaces également complices, tous méprisables, doivent être sévèrement sanctionnés par les autorités compétentes et mis dans l’obligation de dédommager leurs victimes qu’il faut réhabiliter.

    Bon courage à toutes les victimes.

    Fanny

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