Allocution du CEMA devant la 61e session nationale de l’IHEDN (14 mai 2009)

Mon général, Mesdames, Messieurs,

Avant de répondre aux questions que vous voudrez bien me poser, je souhaiterais, en guise d’introduction à notre débat, vous donner ma perception des principales évolutions qui ont marqué l’année écoulée.

Votre session se sera en effet déroulée à un moment particulièrement important de la vie de nos armées. Nous sommes désormais engagés dans la phase de mise en œuvre des réformes majeures liées à la parution du Livre blanc et aux décisions découlant de la RGPP, nous sommes par ailleurs confrontés à une nette évolution du cadre de nos engagements opérationnels, nous devons enfin tirer toutes les conclusions de la décision de pleine participation de la France à l’OTAN, tant en matière de sécurité collective, qu’en termes de défense européenne.

Dans un premier temps, je voudrais revenir sur trois des éléments qui permettent de structurer notre réflexion sur les questions de défense.

Tout d’abord, j’ai souvent expliqué que les missions de nos armées s’articulent autour de ce que j’ai appelé notre  » triangle stratégique « . Ce triangle correspond, vous le savez, à la vocation qu’ont les armées françaises à s’engager sur le territoire national, dans des opérations extérieures ou dans un conflit majeur.

Chacun des côtés de ce triangle contribue de façon proportionnée au succès de notre stratégie militaire qui repose sur la dissuasion nucléaire, l’autonomie d’appréciation de situation et le choix de rester une puissance militaire complète.

L’une des évolutions majeures du Livre blanc tend cependant à renforcer l’un des côtés de ce triangle en replaçant, de façon plus nette, le territoire national au cœur de nos préoccupations. Il s’agit bien d’une nouvelle priorité qui répond à la nécessité de se parer face aux risques et aux menaces pouvant affecter notre population, mais aussi le fonctionnement de la société dans son ensemble.

Cette inflexion exige un besoin accru de synergie entre les acteurs civils et militaires. Ce domaine est en effet celui où l’action de nos armées doit être envisagée dans un cadre interministériel et dans une logique de complémentarité. Elle nous impose par conséquent de redéfinir les capacités dont chacun de ces acteurs doit disposer, mais aussi de repenser les modalités de leur engagement.

J’ai par ailleurs souvent insisté sur l’indispensable prise en compte de la notion de  » surprise stratégique « . J’estime en effet qu’aucune hypothèse d’emploi de la force ne peut aujourd’hui être exclue. C’est ce qui explique notre choix de conserver un outil militaire substantiel qui nous permet de faire face à la résurgence d’un conflit majeur.

Cette approche, vous l’imaginez bien, est loin d’être neutre. Elle renvoie directement à deux problématiques qui, pour nos opinions publiques, peuvent être source de certaines incompréhensions :

– Tout d’abord, ce choix constitue pour la Nation, une charge importante. Il se traduit par des engagements capacitaires lourds, dont découlent les crédits d’équipement qui nous sont alloués.

Compte tenu de la crise financière sans précédent à laquelle nous sommes confrontés, il serait tentant de minimiser la priorité à accorder à cet effort. Or vous savez comme moi que construire un outil militaire demande du temps, mais surtout de la constance. Refuser d’assumer un tel coût pourrait par conséquent se révéler dangereux.

Le maintien de cet effort est d’autant plus nécessaire, qu’au cours des deux prochaines LPM, nous serons engagés dans un cycle de  » recapitalisation  » de notre outil militaire. Nous devons donc procéder à un renouvellement de nos matériels majeurs, dont dépend la qualité future de notre outil de défense.

– Par ailleurs, force est de constater que nos concitoyens manifestent aujourd’hui un besoin accru de sécurité. Mais celui-ci est essentiellement tourné vers les questions de sécurité intérieure.

Il existe donc un risque de repli derrière nos frontières et de focalisation sur les questions de protection individuelle. Or, les menaces auxquelles nous sommes confrontées trouvent souvent leur origine bien au-delà de notre territoire national.

Il nous appartient par conséquent de veiller à ce que l’utilité de l’outil militaire soit bien comprise et assumée.

Il s’agit là de questions auxquelles nous devons nous préparer à répondre et pour lesquelles votre voix ne manquera pas de compter.

Enfin, pour terminer ce bref rappel, j’insiste sur le fait que nos opérations se caractérisent aujourd’hui par ce que j’ai appelé les  » 4D  » : la durée, le durcissement, la diversification et la dispersion géographique.

Parmi ces facteurs, c’est la notion de durcissement qui est au cœur de mes préoccupations. Notre engagement en Afghanistan est à cet égard parfaitement emblématique.

Nos hommes y interviennent dans le cadre d’une guerre insurrectionnelle, forme de combat extrêmement délicate dans laquelle se côtoient en permanence la très basse et la très haute intensité et dans laquelle, enfin, la constance et l’opiniâtreté seront plus que jamais les facteurs clés du succès. Or, nous avons bien vu, l’été dernier, combien nos opinions publiques ne sont pas spontanément préparées aux dures réalités qui sont inhérentes à ce type d’engagements.

Nos interventions ont aujourd’hui un coût croissant, tant sur le plan humain que sur le plan financier. Nous sommes confrontés à des adversaires plus durs et plus déterminés. L’éloignement grandissant de ces opérations et les conditions de combat tendent par ailleurs à renchérir le coût du soutien et des équipements.

A mon sens, il en découle deux impératifs :

– vis-à-vis de nos hommes, celui de renforcer les conditions de leur entraînement et de veiller au respect de ce qui fonde la spécificité et donc l’identité du militaire ;

– il s’agit par ailleurs de conserver le soutien de nos opinions publiques, qui doivent prendre conscience de la réalité des opérations de guerre. Ce point est d’autant plus important que la réforme constitutionnelle du 21 juillet 2008 implique désormais que la représentation nationale se prononce sur la prolongation de nos opérations, lorsque celles-ci dépassent 4 mois. Il ne s’agira pour nous d’un facteur supplémentaire de soutien que si nos opinions publiques comprennent le sens de nos engagements.

Dans ce domaine, chaque voix comptera. Vous devez donc être persuadés que vous aurez un rôle à jouer, chacun dans votre environnement respectif.

Je souhaite maintenant revenir très brièvement sur le contexte de réformes dans lequel nous devons faire face à ces réalités opérationnelles.

Vous le savez, ces réformes sont liées en grande partie à la mise en œuvre des conclusions de la RGPP. Je n’aborderai rapidement que trois points

Le premier concerne la  » manœuvre des effectifs « .

La réduction de 54 000 postes de civils et de militaires est en effet la mesure la plus symbolique. C’est pour nous un véritable défi.

Je vous rappelle que cette déflation sera conduite sur 7 ans et que nous partons par conséquent sur une pente d’environ 8 000 départs par an. Ce n’est qu’en 2015 que nous rallierons le nouveau format, qui est de 225 000 civils et militaires.

Les départs se feront sur la base du volontariat et à l’aide de mesures incitatives.

Ma préoccupation est donc de maîtriser cette déflation en quantité, en qualité et dans le temps imparti, sans négliger à aucun moment la dimension sociale de cette réforme.

Le deuxième point concerne la  » manœuvre des finances « .

Nos disposons d’une marge de manœuvre, mais elle est extrêmement contrainte. Jusqu’en 2020, le Président de la République s’est engagé à consacrer 377 G€ à la défense, dont 200 G€ au titre des équipements. Il s’agit d’une situation extrêmement positive au regard de celle des autres ministères. La France, au regard de ses partenaires, consent un réel effort en matière de défense. C’est une réalité qui n’est pas suffisamment diffusée au sein des armées.

Pour autant, cette enveloppe budgétaire n’est pas extensible et l’exercice de gestion dans lequel nous sommes engagés sera particulièrement difficile.

Certains ajustements seront difficiles. J’en mesure toutes les conséquences et je les assume.

Enfin, le troisième point concerne le changement de nos modes d’organisation.

Je vous épargnerai la longue liste des projets qui ont été lancés, parmi lesquels figurent les questions de gouvernance au sein du ministère, mais aussi le projet de regroupement de nos états-majors à Balard.

Pour nos unités, la mesure la plus emblématique concerne la création des bases de défenses, nouveaux organismes destinés à rationaliser, en les mutualisant, nos moyens d’administration générale et notre soutien. Il s’agit, là encore, de générer des économies en mettant en place un système plus efficace tant au plan humain, qu’au plan des moyens.

Ces bases de défense sont un concept entièrement nouveau. Elles vont entraîner un changement de nos modes d’organisation sans précédent depuis la fin du XIXe siècle. Vous comprendrez par conséquent l’extrême sensibilité de ce dossier.

C’est bien pourquoi j’ai tenu à ce que sa mise en œuvre soit précédée d’une phase d’expérimentation. C’est le cas actuellement pour 11 bases de défense, 10 en métropoles et 1 à l’étranger.

Un premier bilan de cette expérimentation me sera présenté au mois de juin et ce n’est qu’au regard de ces résultats que je prendrai mes décisions pour la phase ultérieure.

L’enjeu est énorme et nul ne doit se tromper sur les objectifs. Il s’agit bien de faire en sorte que la nation dispose des armées les plus opérationnelles possibles, mais soutenues et administrées différemment. Soyons clairs, il n’existe pas d’autre objectif pour notre ministère.

Pour conclure ce propos liminaire, j’en viens maintenant aux conséquences liées à notre décision de pleine participation aux structures intégrées de l’OTAN.

D’un point de vue strictement militaire, je considère tout d’abord que cette décision contribue à clarifier une situation de fait.

Je constate que la France avait participé depuis la fin des années 1990 à toutes les opérations majeures de l’OTAN, sans que nous n’occupions, jusqu’alors, une place nous permettant de faire jouer toute notre influence ;

– Dans le même temps, je constate que les pays européens ont de plus en plus de mal à financer leur appareil militaire. Aujourd’hui, le budget de défense des 27 pays de l’Union européenne représente à peine la moitié de l’effort consenti par les Etats-Unis d’Amérique et la majorité de nos partenaires n’y consacrent en moyenne que 1% de leur PIB. A l’opposé de cette réalité, il existe une alliance rodée, crédible, qui a permis de développer une véritable interopérabilité, non seulement entre les membres de l’Alliance, mais aussi entre les Européens ;

– Je constate enfin que nombre de nos partenaires européens restent extrêmement attachés au lien atlantique. En refusant de tenir compte de cette réalité, nous ne pouvions pas espérer construire l’Europe de la défense

Fondée sur une approche réaliste, notre décision de pleine participation contribue par conséquent à relancer, en la dépassionnant, la question du lien entre l’OTAN et de l’UE.

Elle nous pose cependant de nouveaux défis, parmi lesquels figurent en priorité la question de la vocation de chacune des deux organisations

L’OTAN doit-elle rester une alliance à vocation militaire ou doit-elle évoluer pour couvrir un champ plus large de résolution des crises, en développant ses capacités à agir dans le domaine civil ? Quelle serait dans ce cas la spécificité de la défense européenne, qui dispose d’une légitimité et d’une capacité d’acteur global qui lui permettent précisément de s’engager sur tout le spectre des actions civiles et militaires ? Doit-on a contrario rechercher un champ de coopération entre l’OTAN et l’UE ?

Au-delà de ces questions se pose également le problème du décalage qui peut exister entre le niveau d’ambition théorique affiché par l’OTAN ainsi que par l’UE et la réalité de ce que chacune des deux organisations est en mesure de tenir.

L’une et l’autre sont en effet confrontées à des difficultés identiques que nous connaissons bien :

– elles sont d’ordre financier,

– mais elles apparaissent également lorsqu’il s’agit de fournir des moyens et des troupes, ou lorsqu’il s’agit de respecter des règles d’engagement qui, parfois, peuvent être lourdement affaiblies par l’existence de  » caveats  » ;

– enfin, elles recouvrent la délicate question de la démarche capacitaire, dont les déficiences sont d’autant plus préjudiciables que ce sont précisément nos capacités nationales ou plurinationales qui alimentent celles de l’OTAN et de l’UE.

La résolution de ces questions est essentielle dans la mesure où 21 des Etats européens sont membres de ces deux organisations. Ils sont par conséquent censés pouvoir fournir des moyens ou engager des forces sous l’une ou l’autre des deux bannières.

– S’agissant de la génération de forces, je rappelle, pour souligner les difficultés auxquelles nous sommes confrontés, le débat continu sur le concept d’emploi de la NRF d’une part, et sur les GT 1500 ou les autres  » Euroforces  » d’autre part.

– S’agissant des questions capacitaires, elles font l’objet de processus parallèles qui posent nécessairement la question de l’harmonisation.

Quelle démarche convient-il dès lors d’entreprendre ? Faut-il conserver une démarche autonome ou chercher au contraire à rapprocher le pilotage des deux processus ? Cette démarche de rapprochement n’entraînerait-elle pas un risque d’alignement non avoué, dont les conséquences en termes politiques, mais également en termes industriels sont loin d’être négligeables ?

Ces points étant posés, vous aurez compris, qu’ils revêtent désormais pour la France, une dimension singulière. La désignation de deux officiers généraux français, l’un à la tête du commandement allié pour la transformation – ACT – et l’autre à la tête de l’état-major interallié de Lisbonne, dont la vocation est précisément de commander des éléments de la NRF, nous place aujourd’hui au cœur de ces débats.

Il nous appartient par conséquent de nous engager pour trouver une relation efficace entre le rôle qui sera dévolu à l’Agence européenne de défense et celui qui sera dévolu à ACT, mais aussi entre les forces dévolues à l’une ou l’autre des deux organisations.

Voici, mesdames et messieurs, les quelques réflexions que je voulais vous livrer avant de répondre aux questions que vous vous voudrez bien me poser.

Sources : EMA

 

 

 

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