Avertissement
A travers cet article, un jeune sous-officier nous fait part de sa courte et jeune expérience au sein des armées. Cet article est riche d’enseignements et heurtera très certainement quelques anciens qui ont connu une autre armée… Ainsi va le changement. Cet article n’engage bien évidemment que son auteur qui a choisi le site de l’Adefdromil pour s’exprimer. Cet article étant un peu long, l’Adefdromil a fait le choix de le publier en deux parties. La seconde partie sera publiée le 22 mai 2009.
La rédaction
Le moral des troupes
Après avoir commencé ma carrière comme engagé volontaire de l’armée de terre (EVAT), j’ai accédé au corps des sous-officiers avec ma nomination au grade de sergent. Le témoignage que je vous livre est en quelque sorte une « prise de température au bas de l’échelle », un résumé de ce que l’on ne lit pas dans ces fameux « rapports sur le moral ».
J’illustrerai mes impressions par des exemples concrets.
Impression générale
L’impression générale que je ressens, c’est que l’esprit de compétition, la rivalité, l’individualisme sont très, voir trop présents dans notre armée sans pour autant nuire à l’esprit de camaraderie : on a toujours des copains sur qui on peut compter, contrairement au monde civil. Cet esprit de camaraderie est différent de celui vanté dans les discours lors des prises d’armes. Il en est de même de cette cohésion tant souhaitée mais qui, au fond, n’existe pas…ou plus depuis longtemps, sans que l’on veuille l’admettre. On voudrait qu’on adhère corps et âme à un système dont on sent avec un peu de jugeote, que la mécanique n’est plus huilée depuis des lustres et coince la plupart du temps.
Qui peut croire encore aujourd’hui qu’être soldat est quelque chose de glorieux ? Que donner sa vie pour donner sa vie, pour la gloire, est quelque chose dont on peut être fier alors qu’il n’y a pas grand chose, en mission qui justifie qu’on y laisse la vie ? Alors que tous ces principes n’ont plus cours… dans une armée moderne au sein de laquelle les mentalités ont évolué.
Même si on fait ce métier en toute connaissance de cause, et qu’on en accepte les conditions, mourir n’est pas une fin en soi… Surtout quand on sait dans quelles circonstances la mort survient dans bien des cas…
Que penser du cas de ce caporal blessé par balles en Côte d’Ivoire, muté dans mon régiment la poitrine couverte de médailles pour qu’il se taise sur l’origine douteuse des balles qui l’ont blessé ?
Chacun est là pour soi. Et concrètement, si on peut « enfoncer » un copain pour se faire bien voir, on n’hésite pas ! Tout ce en quoi on peut croire, naïvement lorsque l’on franchit la porte de son unité d’affectation (deuxième famille etc…) s’effondre progressivement au fur et à mesure que l’on s’imprègne du système, qu’on le vit, et qu’on gravit les échelons…
Il y a une phrase, que j’ai souvent entendu: « vous êtes militaire, sergent ! ». Traduisez : « quoiqu’on vous demande, vous le faites, point final…. »
Pourquoi cette phrase …? Pour en venir à un exemple précis que j’ai vécu!
« Vous êtes militaire, sergent ! »
Il m’est arrivé de recevoir l’ordre de remplacer quelqu’un au pied levé comme sergent de semaine parce que la personne concernée a un problème avec son conjoint. C’est bien, mais pourquoi ne dit on pas à cet individu qu’il est militaire, 24h/24? On préfère me dire « vous êtes militaire, sergent ! ». Déroutant lorsque l’on sait d’expérience que la plupart des raisons invoquées pour ne pas prendre un service, ne sont que des prétextes.
Dire oui une fois sans maugréer, condamne « la bonne poire » à être corvéable à merci…et très souvent jusqu’à la fin de votre contrat. Le respect strict des ordres nous empêche de dire non… on est militaire.
Donc les tours de gardes, de semaine, Vigipirate, etc…. Ce n’est que pour certaines personnes, tout comme le sport d’ailleurs…
Il y ceux à qui on dit: « Tu es militaire »….. Et les autres…. celles qui portent le treillis, mais c’est tout….. Et tout cela est aussi valable au bas de l’échelle!
De même dans notre boulot quotidien il faut parfois rester le soir ou venir travailler le weekend pendant que le vrai chef, c’est-à-dire celui qui devrait être là, passe son weekend en famille, où dans les bars du coin.
Tous les chapitres de votre livre « Pour que l’armée respecte enfin la loi » traitent des hautes autorités, qui ont le pouvoir, je dirais, suprême; Mais les problèmes d’égo démesuré sont aussi légion dès la distinction de 1ère classe…. Et à chaque grade son désir de jouer le petit chef….
Les conséquences sont bien moins importantes que pour un général, qui commande « tout »….
Le « Paraître »
Tirant les enseignements de la société civile et de l’armée, un sergent par exemple comprend très vite que le « paraître » est beaucoup plus porteur que le « être ». C’est en quelque sorte la conduite à tenir…
Ceci veut dire qu’une tenue impeccable et un garde-à-vous parfait sont des qualités bien plus reconnues que des qualités humaines véritables, comme vous le dîtes dans votre livre.
Etre militaire est pour moi, un état qui nécessite une grande dose d’humanité, d’ouverture d’esprit, voire une certaine sensibilité, donc le souhait d’aider avant tout: Nous sommes là pour protéger avant tout notre Pays, nos compatriotes et non pour cultiver cet esprit napoléonien du sacrifice ultime pour le sacrifice.
L’entraînement, le respect des ordres, de la hiérarchie, la cohésion, sont la base de ce métier…. sauf que l’entraînement, tel qu’on le pratique, sert plus à comparer deux individus pendant la période de notation, plutôt qu’à être réellement efficace en cas de coup dur..
Le respect des ordres, se fait plus sous la contrainte du grade que par admiration où respect réel, des qualités humaines et des compétences de celui qui les donne. Trop souvent, on l’a tous constaté, c’est un « peintre » et/ou un carriériste, même au grade le plus bas…
Comme je l’ai dit une fois à mon commandant d’unité, « c’est le grade que je respectes, pas la personne qui le porte ». Et on sait pourquoi…
La hiérarchie existe, oui… La phrase « le chef a toujours raison, et même s’il a tort, reportez vous au début de la phrase », c’est bien, et c’est plus que jamais en vigueur…. Seulement les chefs n’ont souvent de chef que le nom…
Quelques exemples encore, qui vont peut-être vous paraître idiots:
J’ai travaillé comme « traitant gestion des ressources humaines », dans une compagnie. Comme dans beaucoup de secrétariats, il y a des filles (un « problème » sur lequel je viendrai plus tard).
J’avais donc deux caporaux-chefs féminins, et un 1ère classe, fraîchement sorti de ses classes…
Pour en revenir au principe du grade, donc du chef….
Le 1ère classe que j’avais avec moi m’était bien plus utile que mes deux caporaux-chefs. Il prenait des initiatives intelligentes et faisait preuve de compétence. Quant à mes deux caporaux-chefs l’une était, « dépressive », par conséquent on lâchait du lest, et on faisait preuve de compassion… l’autre ne savait faire valoir que ses années de services (6 ou 7 ans, dans un bureau bien sûr et avec des résultats COVAPI proche du zéro) ne travaillait pas, concrètement. Elles avaient en plus une fâcheuse tendance à rabaisser ce « jeune », à lui faire des remarques ou à l’insulter, chose qui est courante, dans un régiment. On comptait sur moi pour « mater » ce jeune, de manière à en faire un peu notre larbin… Malheureusement, je ne suis pas tombé dans le panneau. Je « recalais les billes » avec lui quand il le fallait, mais c’est avec elles que j’avais de réels problèmes. Je faisais passer la qualité du travail, et les qualités de la personne, avant et par principe…le grade. Les phrases telles que « je suis cch, où sgt… » tu me dois obéissance… Je commençais à en avoir…..!
On m’avait appris, à moi, qu’il fallait être exemplaire, et savoir faire ce qu’on demandait à un subordonné….
Chose qui n’était pas le cas… Ces gens ne savaient pas conduire une P4, ni tirer, ni courir, ni marcher sans laisser leur sac à un camarade, où au 1ère classe en question. Encore des féminines à qui on ne dira jamais « tu es militaire », alors que ce serait plus que justifié….
« On a un sergent, on va pouvoir se reposer sur lui »
En tant que jeune sergent, j’avais des fonctions de sous-officier administratif. J’étais sous les ordres d’un chef direct, un responsable de bureau qui n’était, à ma connaissance, pas interdit de travail…! Et qui me dit à mon arrivée dans ma nouvelle Cie, « on a un sergent, on va pouvoir se reposer sur lui ». C’est exactement ce qui s’est passé durant 2 ans.
Je venais de quitter ma précédente compagnie, suite à des différents avec mon supérieur direct qui avait des affinités particulières avec la gente féminine de notre bureau auxquelles je n’adhérais pas. Après quelques remarques, coups bas et bulletins de punitions, j’ai dit stop. Le manège ayant perduré, on a préféré me muter avant que cette affaire dégénère.
J’ai rejoint une autre compagnie du régiment, avec une grosse étiquette dans le dos, me faisant passer pour un incompétent, un bon à rien… Etiquette dont on ne débarrasse plus… Et ce en dehors de toute faute professionnelle.
J’ai donc du refaire mes preuves, me faire tout petit et mettre les bouchées doubles, pour me faire une place…hélas en vain ! Au final, deux ans de notations minables pénalisantes pour ma carrière, réputation difficile à porter.
Satisfait de moi
Finalement, J’ai pris de l’assurance, et j’ai frappé directement aux bureaux de mes chefs, chose, que je ne faisais pas par respect de la hiérarchie. Mal noté, méprisé par la DRH du régiment, et compte tenu de l’ambiance générale, je n’avais pas grand chose à perdre, ni à prouver à ce moment là. J’ai donc demandé ce qu’on me reprochait au niveau de mon travail,
Quelle ne fut pas ma surprise de m’entendre dire que l’on était satisfait de moi, que rien ne pouvait m’être reproché sinon ma personne qui déplaisait à mon commandant d’unité. On ne manqua pas de me rapporter la mauvaise publicité faite à mon encontre avant ma mutation interne : attitude, soit disant nonchalante… Facile à placer quand on ne sait pas quoi inventer… Et mon chef direct était plus occupé à copiner avec ses secrétaires voire plus si affinités, et affinités il y avait…plutôt qu’à assumer ses responsabilités professionnelles (Le « jeune Sergent » qui ne vaut rien soi-disant fait le travail à sa place).
Des conflits de cours d’école…dans le métier des armes
Bref, je me suis encore retrouvé en porte à faux, entre mes MDR féminines, qui bénéficiaient de passe-droits, (par exemple elles étaient autorisées à ne pas venir travailler sur simple envoi d’un sms) et mon Adjudant-chef, très intéressé par les compétences privées de ses secrétaires et vice-versa…. Je faisais, là encore, tâche dans le décor.
Ces filles ne venaient pas travailler parce qu’elles avaient passé la nuit dans une boîte de nuit, où au bar avec leur supérieur. On les mettait en permission… Le Sergent signait les permissions après coup…
Par contre, pour ce sergent dont la compagne vivait dans l’OISE et était enceinte, aucun retard n’était toléré. Il était attendu de pied ferme notamment un certain lundi où il y avait eu grève des trains. Il en fut de même lorsqu’il eut un accident de voiture en se rendant un dimanche à un stage en Normandie. Accident matériel de la circulation sans gravité qui provoqua une réaction disproportionnée au sein du régiment où une brochette de gradés l’attendait le lendemain, « le fusil à la main », pour lui dire finalement qu’on lui faisait une fleur en ne le punissant pas… Des conflits de cours d’école, tout ça dans le métier des armes…
On m’a accusé de baigner dans une « victimologie ». Mais je n’ai jamais cherché à me faire plaindre. Juste à ne pas me laisser abattre, sans rien dire.
à suivre…
Le moral des troupes (2ème partie)
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