Audition du général Bertrand Ract-Madoux, chef d’état-major de l’armée de terre, sur le projet de loi de programmation militaire et le projet de loi de finances pour 2014

Commission de la défense nationale et des forces armées

Mercredi 16 octobre 2013

Séance de 9 heures

Compte rendu n° 13

Présidence de Mme Patricia Adam, présidente

La séance est ouverte à neuf heures.

Mme la présidente Patricia Adam. Je vous remercie, général, d’avoir accepté notre invitation. L’armée de terre, comme les autres armées, est concernée par le projet de loi de programmation militaire et le projet de loi de finances pour 2014. Je vous cède sans plus tarder la parole.

Général Bertrand Ract-Madoux, chef d’état-major de l’armée de terre. Je vous remercie de m’offrir une nouvelle fois l’occasion de m’adresser à la représentation nationale sur un sujet capital : le projet de loi de programmation militaire (LPM) et le projet de loi de finances (PLF) pour 2014, qui en constitue la première annuité.

Le Livre blanc de 2013 rappelle combien la protection, la dissuasion et l’intervention structurent de façon complémentaire l’action des forces de défense. Il pose également la nécessité de connaître, d’anticiper et de prévenir. En complément de l’action de ses unités de sécurité civile et de la brigade des sapeurs-pompiers de Paris, l’armée de terre assure tout d’abord une présence opérationnelle permanente sur la totalité du territoire dans le cadre des missions Vigipirate, Harpie, Héphaïstos et Titan. Les hommes qu’elle mobilise pour venir au secours de nos concitoyens attestent de sa contribution et de sa réactivité.

Depuis plus de vingt ans, elle répond aussi, souvent dans l’urgence, aux objectifs militaires qui lui sont assignés, en se déployant sur tous les fronts où la France juge indispensable d’intervenir. La permanence de son dispositif outre-mer et à l’étranger renforce en outre les moyens de prévenir les crises. De plus, son ensemble cohérent de moyens de renseignement contribue à la fonction connaissance et anticipation. Enfin, l’engagement au sol de l’armée de terre, au contact d’adversaires déterminés et au profit de populations menacées, marque la détermination de la France à assumer ses responsabilités internationales. L’armée de terre contribue de fait à asseoir le rang de notre pays. La France peut, je crois, s’enorgueillir de disposer de forces terrestres capables de mener une opération telle que Serval. Mais cette détermination, qui se mesure aux sacrifices que la Nation est prête à consentir pour défendre ses valeurs, se mesure également aux efforts qu’elle accepte de fournir pour entretenir son outil de défense.

Le projet de LPM pour les années 2014 à 2019 me semble rechercher le meilleur point d’équilibre possible entre, d’une part, le redressement des comptes publics et, d’autre part, l’ambition stratégique de la France de conserver une défense forte. À cette fin, il met en avant tant l’importance des équipements que le rôle déterminant de l’entraînement pour disposer de forces opérationnelles performantes. Dans le contexte de ressources comptées qui est actuellement le nôtre, le maintien de cet équilibre fera appel au volontarisme budgétaire du pays. La manœuvre de déflation des effectifs restera, quant à elle, délicate à conduire.

Le PLF pour 2014 relance la modernisation des forces terrestres engagée en 2008. Toutefois, le rythme envisagé ne permet pas de lever tous les risques de rupture capacitaire, plaçant ainsi l’armée de terre « sur le fil du rasoir » en matière d’équipements.

Il convient en premier lieu de reconnaître que la LPM pour les années 2009 à 2014 a permis, conformément à ce qui était prévu, d’amorcer de façon significative le renouvellement d’une partie des matériels de l’armée de terre. L’arrivée en 2010 du système FÉLIN – fantassin à équipement et liaisons intégrés – a accru l’efficacité du combattant débarqué en améliorant ses capacités d’observation et d’agression, de jour comme de nuit, conférant ainsi à nos soldats une supériorité tactique, vérifiée en opérations. Le 21e régiment d’infanterie de marine de Fréjus est le douzième régiment à en être doté. La mise en œuvre du plan d’équipement, ajusté au nouveau contrat opérationnel – c’est-à-dire réduit –, sera achevée en 2014.

Mis en service opérationnel en avril 2012, le véhicule blindé de combat d’infanterie (VBCI) offre, quant à lui, un excellent compromis entre mobilité et protection, d’une part, entre précision et puissance de feu, d’autre part. Le déploiement d’une trentaine d’engins au Mali a confirmé son extraordinaire plus-value technique, déjà établie en Afghanistan et au Liban. Le 16e bataillon de chasseurs de Bitche, sixième régiment d’infanterie sur huit à en être équipé, est en cours de transformation. En 2014, après la livraison de 77 nouveaux exemplaires, un peu plus de 600 véhicules auront été réceptionnés sur une cible de 630.

Enfin, je terminerai ce tour d’horizon en évoquant l’hélicoptère d’attaque Tigre, dont les performances ont été remarquées en Afghanistan, en Libye, en Somalie et au Mali. Le Tigre est devenu incontournable sur les théâtres d’opérations. Les quarante appareils en version appui-protection (HAP) livrés à ce jour sont complétés, depuis juin 2013, par les premiers hélicoptères en version appui-destruction (HAD), qui disposent de missiles. En 2014, l’aviation légère de l’armée de terre réceptionnera quatre HAD supplémentaires, portant à quarante-huit le nombre de Tigre livrés sur une cible ramenée à soixante appareils. L’arrivée de tous ces équipements a incontestablement élevé le niveau d’équipement de l’armée de terre et renforcé sa capacité opérationnelle.

Toutefois, vous le savez, ce bilan positif mérite d’être nuancé. En effet, en raison des contraintes financières pesant sur les conditions d’exécution de la LPM, le processus de modernisation aura finalement connu un fort ralentissement en 2011 et en 2012, qui s’est accentué en 2013 avec le budget d’attente. De fait, cela a nettement modéré l’ambition que portait le Livre blanc de 2008 en matière de remise à niveau des moyens terrestres. Avant même les décisions du Livre blanc de 2013, les mesures d’économie imposées à l’armée de terre se sont ainsi traduites par une baisse de l’ordre de 14 % des investissements consacrés aux programmes à effet majeur et aux autres opérations d’armement. Ces mesures d’économie ont touché toutes les armées. Cependant, l’armée de terre, qui ne représente que 20 % du programme 146, a assumé 40 % de l’ensemble de ces économies en 2012 et 2013, ce qui a freiné la dynamique qui avait été lancée.

Je constate donc avec satisfaction que le projet de loi de finances pour 2014 traduit la volonté de relancer cette dynamique. L’enjeu de cette première annuité, et plus globalement de l’ensemble de la LPM, réside dans le respect de la programmation : il convient de ne pas amplifier les conséquences des retards accumulés dans le cadre de la précédente LPM. À ce titre, je partage pleinement la volonté de garantir une exécution fidèle de la LPM, en renforçant, au besoin, le contrôle parlementaire.

Même décalé de deux ans, avec un investissement réduit de la moitié sur la période, le lancement du programme Scorpion en 2014 est de ce point de vue un soulagement, car il constitue une obligation. Ce programme, qui a vocation à structurer les capacités de combat médianes des forces terrestres, répond parfaitement aux impératifs opérationnels et à aux objectifs d’économie que s’est fixés l’armée de terre. Il satisfait d’abord, au juste niveau, aux exigences du combat moderne en matière de protection, de mobilité, de précision des armes et, enfin, de valorisation de l’information. D’autre part, la maîtrise des coûts d’acquisition, mais aussi d’emploi et de soutien, constitue une donnée clé de cette opération d’armement. La standardisation des plateformes réduira les coûts de maintenance des engins et de formation des équipages. La reconfiguration, grâce au concept de kits additionnels communs, permettra de différencier les véhicules en fonction du type d’engagement. Enfin, la simulation embarquée améliorera les conditions d’entraînement et contribuera à l’appui aux opérations, tout en réduisant les coûts.

Compte tenu des reports qu’a déjà subis le programme et au regard de l’étalement des livraisons, les forces terrestres ne seront renouvelées par Scorpion qu’à l’horizon 2025, lorsque 50 % de ce parc aura été livré. Ma vigilance portera donc prioritairement sur le respect du calendrier. La livraison des vingt-quatre premiers véhicules blindés multirôles (VBMR) en 2018 et celle des quatre premiers engins blindés de reconnaissance et de combat (EBRC) en 2020 constituent un objectif certes ambitieux, mais surtout crucial pour une opération particulièrement attendue. Le respect de ce calendrier est d’autant plus impératif que tout nouveau report s’accompagnerait inévitablement de nouvelles opérations de vieillissement des AMX10 RC et des véhicules de l’avant blindés (VAB), dont vous connaissez déjà la vétusté. J’estime en outre qu’il serait extrêmement préjudiciable de succomber à la tentation de l’achat « sur étagère » pour remplacer une des trois opérations constituantes de Scorpion, ce qui remettrait en cause les économies d’échelle réalisées en faisant appel à une seule famille d’équipements.

Concernant les hélicoptères de manœuvre, la commande passée le 29 mai 2013 pour la seconde tranche de livraison de trente-quatre NH90 est évidemment une source de satisfaction. Mais elle ne doit pas masquer le fait que la future LPM limite à ce stade à 115 le nombre d’hélicoptères de manœuvre de l’armée de terre, affaiblissant ainsi, pour le moment et dans l’attente d’un retour à meilleure fortune, la capacité aéromobile des forces terrestres. En outre, l’étalement des livraisons des NH90 – qui seront au nombre de trente-huit en 2019 et de soixante-huit à l’horizon 2024 – repousse l’amélioration qualitative de notre flotte d’hélicoptères de manœuvre. Cela contraint donc l’armée de terre à conserver des Puma en limite d’obsolescence au-delà de 2025 – ils auront alors près d’un demi-siècle –, ainsi que des Cougar et des Caracal au-delà de 2030.

S’agissant des drones tactiques, les engagements récents ont confirmé l’apport essentiel qu’ils représentent en opérations. En offrant au chef tactique et aux forces terrestres un appui renseignement immédiat, adapté au rythme des opérations menées au sol, ils contribuent à l’efficacité et à la protection des unités engagées. Dans ce cadre, l’évaluation du système Watchkeeper, conduite avec nos amis britanniques, se poursuit avec des résultats techniques prometteurs mais encore perfectibles, qui permettent d’entrevoir sa maturité prochaine. Sa fiabilité vient d’ailleurs d’être reconnue et certifiée au Royaume-Uni. La coopération entre les deux armées de terre autour du Watchkeeper fonctionne parfaitement. Pour ma part, je considère que cet appareil offre des capacités très intéressantes d’emport combiné de moyens optiques et électromagnétiques, ainsi qu’une bonne autonomie de vol. Enfin, j’observe une forte volonté, de part et d’autre de la Manche, de lever les dernières difficultés pour faire aboutir ce projet. Sa dimension européenne constitue d’ailleurs un atout supplémentaire : elle ouvre des perspectives de mutualisation non seulement en opérations, mais aussi en matière de formation et d’entraînement.

Le programme d’équipement en missiles moyenne portée (MMP) exige, quant à lui, une vigilance particulière, afin que le marché de développement et de fabrication soit bien notifié avant le mois de novembre 2013, ce qui semble en bonne voie. L’acquisition de cet armement, qui constituera un élément majeur de nos unités de combat d’infanterie et de cavalerie, permettra de remplacer trois armements par deux. Ce programme contribue donc à l’effort général d’économie sur les moyens et de rationalisation de l’armée de terre. Il s’agit surtout de limiter l’ampleur de la réduction de capacité, inévitable à partir de 2016, du fait de l’obsolescence définitive du Milan et de son poste de tir.

Le cas du porteur polyvalent terrestre (PPT) illustre également les risques de rupture capacitaire que font peser les reports successifs d’opérations et le ralentissement des cadences de livraison. Les premières versions de ce camion logistique ont été livrées en 2013. Cent quinze exemplaires le seront en 2014, et seulement 450 avant 2020 sur une cible de 1 600 porteurs. Ceci nécessitera de procéder à nouveau au vieillissement des camions logistiques actuels : le TRM 10 000 et le véhicule de transport logistique (VTL), aujourd’hui réellement à bout de souffle. Une rupture capacitaire pourrait intervenir à partir de 2019. Elle soumettrait alors à une très forte tension la fonction logistique, dont l’importance a pourtant été confirmée au Mali et en Afghanistan, et qui est quotidiennement sollicitée en métropole pour assurer le transit interarmées et le soutien des activités d’entraînement. J’ajoute qu’une escouade de six de ces nouveaux camions PPT a embarqué hier matin pour le Mali. La projection rapide des nouveaux matériels est ainsi pratiquée depuis plusieurs années avec succès par l’armée de terre, afin de doter les hommes des matériels les mieux adaptés à leurs conditions d’engagement.

Le projet de LPM fait de l’activité opérationnelle une priorité. Cela se traduit par une augmentation des crédits dédiés à l’entretien programmé des matériels (EPM) et par le maintien de l’entraînement à son niveau de 2013. Cependant, cet effort s’accompagnera d’une forte contrainte sur les dépenses de fonctionnement et de cohérence opérationnelle, qui risque d’asphyxier progressivement l’activité et de dégrader les conditions d’exercice du métier militaire.

L’augmentation des crédits consacrés à l’EPM permet globalement de satisfaire nos besoins en entretien courant, mais elle ne couvre pas les coûts de régénération des matériels rapatriés des théâtres d’opérations extérieures. C’est pourquoi, en l’absence de financement spécifique, la remise à niveau de ces véhicules ne pourra se faire qu’au détriment de la disponibilité des parcs en service en métropole. En 2014, pour régénérer les 1 400 engins terrestres ramenés des opérations Pamir et Daman – dont près de 560 VAB –, auxquels il convient d’ajouter les équipements rentrés de l’opération Serval, le besoin est évalué à 24 millions d’euros par an sur une période de cinq ans. La couverture de ce besoin nous a été refusée à ce stade de l’élaboration du budget. En dépit des difficultés que posent le soutien simultané des matériels de nouvelle génération et l’entretien des engins d’ancienne génération, l’armée de terre sait pouvoir contenir ses besoins en EPM terrestres et aéronautiques à environ 900 millions d’euros de 2013 jusqu’en 2020, grâce à la poursuite de politiques innovantes, rigoureuses et contraignantes. Vous pouvez en tirer la conclusion que l’armée de terre est soutenable dans la durée.

En effet, l’impératif de maîtrise des coûts constituant un enjeu prioritaire, l’armée de terre a fait des choix structurants pour optimiser l’emploi de ses ressources. Elle a notamment généralisé à tous les matériels, en 2008, une politique d’emploi et de gestion des parcs différenciée par nature d’utilisation : alerte Guépard, entraînement en camps ou service permanent en garnison. Les objectifs de disponibilité technique opérationnelle sont également différenciés selon qu’ils s’appliquent aux théâtres d’opérations ou à la métropole. Toutefois, compte tenu des efforts déjà réalisés dans ce domaine et de leurs résultats, les marges de progrès me semblent dorénavant réduites.

Concernant la préparation opérationnelle, les ressources programmées devraient permettre de la maintenir à son niveau de 2013. L’insuffisance des ressources nécessaires pour atteindre les objectifs de 90 journées de préparation opérationnelle et de 200 heures de vol est, pour l’instant, compensée par les efforts d’entraînement consentis par l’armée de terre pour préparer les opérations et par son expérience capitalisée au cours de ces opérations. La préparation opérationnelle différenciée, que l’armée de terre pratique depuis 2009, a pour objectif d’adapter le niveau d’entraînement au type de mission et d’optimiser l’emploi des moyens par type de préparation. Nous avons d’ailleurs fait évoluer ce concept en 2011, en développant la préparation opérationnelle décentralisée en garnison.

Enfin, pour entretenir l’expérience de ses unités, l’armée de terre privilégie l’armement des forces prépositionnées et des forces de présence avec du personnel en mission de courte durée. Outre les économies réalisées par rapport au coût d’un personnel permanent outre-mer, cela permet chaque année à plus de soixante unités de combat de remplir des missions contribuant directement à leur préparation. Pour les mêmes raisons, nous employons nos propres soldats pour la protection de nos emprises, cette mission contribuant au maintien des compétences qu’ils mettent en œuvre dans le cadre de leur mission de protection sur le territoire national.

Toutefois, si les contraintes budgétaires devaient se maintenir au même niveau au-delà de 2015, toutes ces « bonnes pratiques » ne suffiraient pas à écarter le risque d’une dégradation progressive de l’aptitude de l’armée de terre à honorer son contrat opérationnel.

S’agissant des dépenses de fonctionnement et de cohérence opérationnelle, l’armée de terre identifie des tensions contraignant les conditions d’exercice du métier militaire et les conditions de vie. Ces tensions pourraient avoir des effets sur sa capacité opérationnelle et sur son moral. En effet, en l’état, le cadrage budgétaire comprimera les crédits dédiés aux équipements d’accompagnement et de cohérence (EAC), à l’entretien programmé du personnel (EPP) et au fonctionnement et aux activités spécifiques (FAS). Cette situation est d’autant plus préoccupante que ces dépenses sont de plus en plus rigides compte tenu de leur volume, tandis que les marges d’économie restantes sont dorénavant faibles. À titre d’exemple, afin de ne pas porter préjudice à la sécurité de nos hommes, je devrai probablement choisir de financer à hauteur d’environ 10 millions d’euros le renouvellement de nos moyens d’évacuation sanitaire et de retarder celui des chariots élévateurs, pourtant indispensables sur les théâtres d’opérations extérieures.

La tension qui s’exerce sur les dépenses liées à la mobilité du personnel retient également mon attention. Structurellement sous-dotés, ces crédits subissent depuis 2011 une érosion significative qui accroît chaque année le décalage entre les ressources programmées et les besoins de l’armée de terre. Des mesures d’économie visant à réduire la mobilité outre-mer et à l’étranger – la durée des séjours a ainsi été réduite progressivement à trois ans – et à diminuer le plan de mutation en métropole au strict minimum sont mises en œuvre pour résorber cet écart. À cette sous-dotation s’ajoute à présent l’absence préoccupante de financement des dépenses de mobilité directement liées aux restructurations à venir. Afin que nos soldats n’assument pas directement la charge des réorganisations qu’impose notre nouveau modèle d’armée, je serai très probablement amené à transférer les efforts d’une ligne budgétaire à l’autre, affectant ainsi celles qui sont déjà dotées au minimum.

J’y insiste : les coupes dans les crédits de fonctionnement, décidées par plusieurs gouvernements successifs, finissent par porter atteinte aux droits individuels des soldats – par exemple au droit au remboursement des déménagements, alors que la mobilité est inhérente à notre métier. Dans l’armée de terre, les crédits de fonctionnement servent également à financer les campagnes de communication pour le recrutement et certains aspects de la préparation opérationnelle. Le fonctionnement a été trop rationalisé par le passé pour pouvoir subir de nouvelles mesures d’économie.

J’en viens aux infrastructures. Leur qualité est un élément essentiel de la capacité opérationnelle des forces terrestres et conditionne le moral des hommes. Le régiment est à la fois un lieu de vie et d’entraînement. Or, malgré une forte rationalisation de ses besoins et en dépit d’une programmation à long terme, l’armée de terre ne peut que regretter le report de ses projets d’infrastructures et la dégradation continue des installations de vie courante de ses hommes. En effet, la modernisation des espaces d’entraînement devra être rééchelonnée dans le temps pour dégager des économies. De même, des crédits d’investissement limités seront consacrés à certaines installations d’instruction pourtant essentielles, mais considérés comme moins prioritaires. Comme vous le savez, les infrastructures de vie et les équipements sportifs sont parfois dans un état critique. Dans plusieurs régiments, comme au 121e régiment du train de Montlhéry, ils semblent avoir été laissés à l’abandon. Initialement prévue en 2013, la fin du plan d’hébergement des militaires du rang – le plan VIVIEN – a dû être reportée à 2017, obligeant certains d’entre eux à loger dans des conditions précaires. De nombreux casernements se dégradent faute de ressources pour les entretenir, et les conditions de vie et de travail du personnel deviennent de moins en moins acceptables. Je vous invite d’ailleurs à venir visiter les lieux les plus édifiants de ce point de vue.

La « clause de revoyure » de la LPM me semble donc une occasion à ne pas manquer. Elle pourrait permettre de compléter les crédits de fonctionnement et de cohérence opérationnelle avec des montants somme toute faibles – un bâtiment pour loger les troupes coûte trois millions d’euros – et d’améliorer ainsi significativement les conditions d’exercice du métier.

L’armée de terre poursuit en 2014 les déflations d’effectifs à un rythme que peut encore supporter son modèle de ressources humaines. Sa masse salariale est équilibrée, mais les objectifs de « dépyramidage », très ambitieux, méritent d’être ajustés.

En l’espace de onze ans, de 2008 à 2019, 35 000 postes auront été supprimés et 22 000 transférés. Au total, 57 000 hommes et femmes de l’armée de terre auront été touchés par les réformes. En 2013, les déflations se sont poursuivies au rythme imposé par la précédente LPM : 2 260 postes militaires ont été supprimés au titre du budget opérationnel de programme (BOP) « Terre » et environ 2 980 dans l’ensemble de l’armée de terre. Cette réduction a été obtenue par la dissolution du 8e régiment d’artillerie de Commercy et l’adoption d’une trentaine de mesures de restructuration, permettant chacune des gains variant de trois à quatre-vingt-dix postes. En 2014, 2 600 suppressions de postes sont prévues au titre du BOP « Terre ». Les mesures de restructurations ont été identifiées. Celles dont l’annonce a pu être faite à ce jour sont en cours de mise en œuvre.

L’effort de réorganisation qu’impliquent ces déflations est chaque année plus complexe. Nous avons capitalisé au fil des ans une expérience solide en termes de mise en œuvre des restructurations et d’accompagnement individualisé. Nous disposons par ailleurs d’un modèle de ressources humaines cohérent, qui a fait la preuve de son adaptabilité aux contraintes actuelles. Je considère qu’il n’est sans doute pas nécessaire, pour le moment, de le revoir en profondeur ou d’en modifier les fondements. Compte tenu de l’ampleur des efforts qui nous attendent, il convient selon moi de ne pas précipiter les réformes et de les faire se succéder à un rythme supportable tant par les organisations que par nos hommes. Avec la crise du projet Louvois, nous mesurons, hélas, les effets d’une trop grande ambition réformatrice.

À ce stade, l’armée de terre confirme donc son attachement à son modèle de ressources humaines, qui s’appuie sur un impératif de jeunesse, sur la diversité du recrutement, sur l’équilibre entre contractuels et militaires de carrière et, enfin, sur la promotion interne au mérite. En vertu de ces principes, deux tiers des sous-officiers proviennent de la troupe et 70 % des officiers sont recrutés en interne. Ainsi, l’armée de terre offre à ses hommes des perspectives de carrière attractives. Elle valorise l’expérience professionnelle et fait de « l’escalier social » une réalité. En outre, ce système permet une gestion dynamique des flux. En l’espace de dix ans, l’armée de terre a ainsi diminué son recrutement direct d’officiers de 38 %. Pour faire taire les mauvaises langues, je précise que, de 2006 à aujourd’hui, nous sommes passés de trente-neuf nouveaux généraux par an à vingt et un.

D’autre part, je précise que l’armée de terre maîtrise parfaitement sa masse salariale, signe qu’elle contrôle ses effectifs. Les difficultés liées au logiciel Louvois mises à part, la masse salariale devrait afficher, en 2013, un léger excédent d’environ six millions d’euros, après avoir été à l’équilibre en 2011 et en 2012, hors mesures exogènes telles que la refonte des grilles indiciaires ou les mesures de revalorisation des bas salaires. Je peux donc vous affirmer que, pour la catégorie du personnel militaire dont elle a la charge, l’armée de terre est un bon gestionnaire.

Cependant, l’évolution des dépenses en personnel militaire, ces dernières années, suscite des interrogations. En effet, en dépit de la baisse des effectifs, la masse salariale du personnel militaire a continué à croître. Le « repyramidage » des effectifs est avancé comme une cause probable de cette hausse. Sans porter un quelconque jugement sur cette analyse, j’observe que le titre 2 du BOP « Terre » a diminué de 10 % entre 2010 et 2012. S’agissant du « repyramidage », je constate que, au sein du ministère, entre 2008 et 2013, le nombre d’officiers a diminué de l’ordre de 5 %, tandis que celui du personnel civil de catégorie A a augmenté d’environ 25 %.

D’autre part, avec un taux d’encadrement inférieur à 12 %, et de seulement 8 % dans les forces terrestres, l’armée de terre affiche un ratio très raisonnable, notamment par comparaison avec ses homologues étrangères : ce même ratio est d’environ 14 % aux États-Unis et au Royaume-Uni. C’est pourquoi elle éprouve des difficultés à adhérer à l’objectif visant à ramener le taux d’encadrement « officiers » du ministère à 16 %, ce qui implique un effort de déflation considérable sur cette catégorie de personnel. En dépit des nouveaux leviers d’aide au départ, au demeurant plus attractifs et donc plus incitatifs que les précédents, le bilan des années passées m’a conduit à considérer que les objectifs fixés à l’armée de terre en la matière étaient déraisonnables au regard des effets déstructurants dont ils sont porteurs. Un arbitrage est attendu sur ce point.

Enfin, pour clore le sujet des effectifs, j’estime que la cible d’environ 15 000 suppressions de postes hors forces opérationnelles, c’est-à-dire essentiellement dans l’environnement et le soutien de ces forces, constitue à mes yeux un défi d’ampleur. Les économies drastiques réalisées depuis 2008 laissent peu de marges de rationalisation, dans des domaines qui conditionnent très directement tant la capacité opérationnelle que le moral des hommes. Dans l’administration générale et le soutien commun, dont la réorganisation aura de lourdes conséquences sur la vie courante de nos unités, l’effort pourrait représenter environ 40 % du total de ces déflations. Il est capital que ces nouvelles réductions ne dégradent ni le soutien aux activités opérationnelles ni leur sécurité, et qu’elles ne causent pas non plus de défauts d’administration préjudiciables à la condition du personnel. Tel est l’enjeu du travail d’identification en cours au sein du ministère, le risque étant que l’on décide de reporter in fine sur les forces les suppressions qui n’auront pas pu être réalisées. Nous passerions alors en deçà du format de 66 000 hommes projetables qui doit permettre à l’armée de terre d’honorer son contrat opérationnel.

Pour conclure, j’évoquerai les enjeux pour l’avenir : premièrement, notre capacité à mobiliser nos hommes autour de la réforme ; deuxièmement, la nécessité de confier aux chefs d’état-major les leviers d’action indispensables pour garantir le niveau de préparation opérationnelle de leur armée et le moral de leur personnel.

Les hommes et les femmes de l’armée de terre font preuve, sur les théâtres d’opérations, d’un sens de l’engagement et d’un dévouement qui forcent mon admiration. Depuis de nombreuses années déjà, ils mettent également en œuvre, avec constance, de nombreuses restructurations et conduisent le changement de leur armée, avec détermination et avec un certain succès. Le nouvel effort qui leur est demandé aura naturellement des effets sur leur moral. Plus généralement, le contexte économique national ajoute à la perception globalement pessimiste que nos concitoyens ont de leur avenir. Tout cela alimente les inquiétudes de nos hommes, leur sentiment de lassitude, voire de mécontentement. Nous devons donc veiller à ne pas affecter leur motivation et la satisfaction que leur procure leur engagement au service de notre pays, en leur donnant les moyens non seulement de bien vivre leur métier, mais aussi de vivre bien de leur métier.

S’agissant de la modernisation de la gouvernance du ministère, une clarification des responsabilités et une simplification de l’organisation sont nécessaires. Les dysfonctionnements du projet Louvois ont montré les limites d’une approche trop fonctionnelle des organisations. En dispersant les leviers de commandes entre de trop nombreuses mains, dans une logique mal comprise de recentrage sur le cœur de métier et de spécialisation des fonctions dites « en tuyaux d’orgue », cette méthode dilue finalement les responsabilités et pourrait être porteuse de déconvenues. La volonté de donner la primauté à l’opérationnel fixe une ligne directrice très compréhensible dans un ministère comme le nôtre. Celle-ci justifie que les chefs d’état-major des trois armées restent les garants de la cohérence capacitaire et opérationnelle des forces dont ils sont responsables. Il me semble donc légitime qu’ils disposent des moyens leur permettant de répondre, devant le chef d’état-major des armées, le ministre de la Défense et les commissions parlementaires, de l’atteinte des objectifs qui leur sont fixés.

Je vous ai livré avec franchise et transparence l’analyse d’un chef d’état-major dont l’armée contribuera de manière significative à l’effort de redressement budgétaire du pays. Le projet de LPM et le PLF pour 2014 me semblent se présenter aujourd’hui convenablement, à l’exception de la manœuvre de déflation des effectifs, qui restera délicate à conduire. En outre, ils supposent que notre pays fasse preuve de volontarisme pour soutenir dans la durée l’ambition stratégique qui est la sienne.

Je vous remercie chaleureusement du soutien apporté par votre commission aux hommes et aux femmes de l’armée de terre, que ce soit sur les théâtres d’opérations, aux côtés de nos familles et de nos soldats dans les moments difficiles ou, tout au long de cette année, lors des travaux du Livre blanc, de l’examen du projet de LPM et de l’université d’été de la défense.

Mme la présidente Patricia Adam. Merci, général. Nous apprécions votre franchise. Comme l’a indiqué le ministre de la Défense, la loi de programmation militaire devra être respectée, ce qui exige la vigilance de tous. Vous pouvez être assurée de celle de notre commission.

M. Joaquim Pueyo. Vous avez fait, général, une présentation très complète. Vous avez rappelé la volonté, dans le cadre de la LPM et du PLF pour 2014, de renforcer l’activité opérationnelle et d’acquérir les équipements nécessaires à cette fin, grâce à la poursuite des programmes à effet majeur tels que FÉLIN, Tigre et VBCI. Vous avez confirmé que le programme Scorpion permettrait de moderniser nos capacités d’action. Ce sont là des éléments de satisfaction. Cependant, vous avez fait état, à plusieurs reprises, de risques de rupture capacitaire. Pouvez-vous préciser quels sont ces risques ?

En matière d’effectifs, l’armée de terre a déjà fait des efforts considérables dans le cadre de la LPM précédente, mais va devoir continuer à en faire. Vous êtes très attaché aux conditions d’exercice du personnel, facteur clé de la réponse aux contrats opérationnels. Existe-t-il, selon vous, un risque de mouvement social au sein de l’armée de terre ? Comment l’éviter ? Des crédits seront consacrés à l’accompagnement social. Que pensez-vous de ces mesures d’accompagnement ?

D’autre part, l’armée de terre continuera à recruter, en particulier des jeunes de moins de vingt-six ans souvent sans formation, qui bénéficieront ainsi d’une première expérience leur ouvrant des perspectives d’emploi, y compris dans le civil. Je rappelle que la durée des contrats dans l’armée de terre est de six ans en moyenne. Comment l’état-major va-t-il communiquer sur la question des effectifs dans le cadre de la LPM ? Il conviendrait de ne pas parler uniquement de déflation.

M. Yves Fromion. Avec 6 000 suppressions de postes, l’armée de terre va devoir assumer une grande part de la déflation des effectifs. Nous comprenons que ce soit un sujet qui vous préoccupe. Lorsque nous l’avons auditionné hier, le directeur des ressources humaines du ministère de la Défense a manifesté sa volonté de centraliser la « manœuvre ressources humaines ». Sans doute avez-vous une approche plus circonspecte en la matière. Pouvez-vous nous en dire plus ?

On laisse entendre qu’une brigade entière de l’armée de terre serait supprimée pour parvenir à cette réduction de 6 000 postes. Quelles sont les premières orientations prises à ce sujet ?

Le Livre blanc a mis l’accent, à juste titre, sur les opérations de projection et sur les forces spéciales, mais semble avoir négligé les actions de force qui nécessiteraient des moyens beaucoup plus importants – blindés et artillerie sous blindage. Quel est votre sentiment sur ce point ?

M. Christophe Guilloteau. Vous avez mentionné un nouveau départ de matériel pour le Mali. Pouvez-vous faire un point sur la situation dans ce pays, indépendamment de la LPM ?

Nos collègues sénateurs ne semblent pas accorder une très grande attention au drone Watchkeeper, produit – vous l’avez rappelé – dans le cadre d’une coopération industrielle franco-britannique. Quelle est votre position à ce sujet : est-ce un équipement réellement attendu par l’armée de terre ou ce programme sacrifie-t-il à l’air du temps ?

Mme Geneviève Gosselin-Fleury. De quelle manière l’armée de terre applique-t-elle concrètement le principe de différenciation en matière de préparation opérationnelle ?

Pour répondre aux objectifs de « civilianisation » des effectifs, le ministère de la Défense réalise actuellement une étude sur les référentiels en organisation. Le directeur des ressources humaines de l’armée de terre est-il impliqué dans ce travail ? Le cas échéant, quelles propositions l’armée de terre fera-t-elle en la matière ?

M. Alain Marty. L’année dernière, notre rapporteur avait estimé que l’armée de terre avait atteint un format « tout juste suffisant ». Dans le cadre de la LPM, elle va perdre 6 000 postes supplémentaires, soit environ 8 % de ses effectifs. Comment le format pourra-t-il demeurer « tout juste suffisant » dans ces conditions ?

Le budget des infrastructures a souvent constitué une variable d’ajustement lors des réductions ou des gels budgétaires, ce qui peut se comprendre quand l’arrivée des matériels est elle-même décalée. Mais vous avez vous-même évoqué les difficultés actuelles : alors que le casernement et la qualité de vie des militaires sont toujours affichés comme une priorité, la réalité est bien différente sur le terrain. Quels seraient les moyens financiers nécessaires pour répondre aux demandes en la matière ?

Général Bertrand Ract-Madoux. La LPM couvrira en principe tout le spectre des capacités nécessaires pour honorer le nouveau contrat opérationnel. Si elle est correctement appliquée, nous devrions éviter les risques de ruptures capacitaires les plus graves. Si en revanche, comme cela s’est produit dans le cadre de la LPM précédente, nous subissons des étalements de certains programmes à effet majeur ou de nouvelles réductions de cibles – non seulement Scorpion, mais aussi d’hélicoptères de tous types, des véhicules de transport logistiques (VTL) et d’autres équipements plus spécifiques –, nous serons confrontés à un déficit de certains matériels.

Ainsi, il est impératif que le contrat de développement des missiles moyenne portée (MMP) soit notifié d’ici à la fin de l’année 2013 – il y a de bonnes chances qu’il le soit – pour que les premiers missiles nous soient livrés en 2017 ou en 2018. En effet, en 2016, nous ne disposerons plus que de 400 postes de tir Milan et ce chiffre ira ensuite en décroissant. De même, nous n’aurons plus, à partir de 2017 de missiles de cette catégorie : dans la mesure où nous ne disposons pas des crédits nécessaires à leur revalorisation, ils se périment.

D’une manière générale, les chefs d’état-major ont accepté des ruptures de capacité temporaires sur certains équipements dans le cadre de la LPM – c’est d’ailleurs un point marquant de cette loi. Dans l’armée de terre, ce sera le cas pour les blindés moyens tels que les AMX10 RC, les ERC90 Sagaie et les VAB. Nous ne pouvons donc plus nous permettre de perdre du temps. Bien sûr, encore faut-il que les lignes budgétaires soient maintenues ! À cet égard, le contrat Scorpion tel qu’il sera notifié en 2014 ne représentera que la moitié du programme prévu dans le cadre de la dernière LPM : non seulement sa réalisation a été décalée dans le temps, mais sa cible a été réduite. Néanmoins, je demeure très satisfait que ce programme soit lancé.

Les équipements me préoccupent moins que les hommes. Vous avez raison de rappeler, monsieur Pueyo, que l’armée de terre va continuer à recruter – heureusement ! Recruter, former, gérer les soldats sont des choses que nous savons très bien faire. Vous avez tous rencontré des jeunes qui, après deux ou trois mois de service dans l’armée de terre, ressemblaient déjà à de bons soldats. Quant aux risques de mouvement social, nous avons su jusqu’à présent les maîtriser, à une exception près. En mars 2012, les dysfonctionnements du système Louvois – une véritable catastrophe – ont provoqué une manifestation de six jeunes épouses de militaires place Jacques-Bainville à côté du ministère de la Défense, un samedi matin. Leurs photos ont circulé sur Internet. Cela a été un épisode très douloureux pour nous. D’autant que la crise suscitée par l’échec de Louvois est d’une infinie complexité : personne, n’a en main tous les leviers pour la résoudre. Un an à un an et demi sera encore nécessaire pour trouver une solution de secours, c’est très long.

Pour vous répondre, monsieur Fromion, je ne suis nullement opposé à une évolution des rôles de chacun au sein du ministère de la Défense en matière de gestion des ressources humaines, à condition que l’organisation conserve une certaine cohérence : en tant que chef d’état-major de l’armée de terre, je suis responsable du moral de mes hommes devant le chef d’état-major des armées et le ministre de la Défense – cela figure dans le décret qui fixe mes attributions – ; dès lors, je dois disposer de leviers en matière de gestion des carrières, de mutation, de promotion, de discipline. Si tel n’était pas le cas à l’avenir, mes successeurs ne pourraient pas assumer la plénitude de leur responsabilité quant au moral de leurs hommes ! Mais je suis persuadé qu’une bonne et saine coopération entre le directeur des ressources humaines du ministère de la Défense et les chefs d’état-major des trois armées, qui sont chacun assistés d’un directeur des ressources humaines, est possible.

Les seuls points de divergence portent aujourd’hui sur la « manœuvre ressources humaines ». Le directeur des ressources humaines du ministère de la Défense assure le suivi de la réduction des effectifs. Or les cibles de déflation sont très élevées et peuvent apparaître pour certaines excessives. C’est ce que j’ai fait remarquer à propos de la déflation des effectifs d’officiers. Pour ramener le taux d’encadrement « officiers » à 16 % à l’échelle du ministère, il est prévu de conduire une réduction drastique de leur nombre dans l’armée de terre, où ce taux n’est pourtant que de 12 %. C’est difficilement compréhensible pour mes subordonnés. Nous allons très probablement revenir, dans les jours qui viennent, à une cible plus accessible, qui restera néanmoins difficile à atteindre. C’est un sujet sensible. J’ai donc eu parfois des discussions franches avec les responsables concernés, ce qui n’enlève rien à la confiance mutuelle que nous nous manifestons et au fait que nous travaillons ensemble.

C’est non pas une brigade interarmes en tant que telle, mais l’équivalent d’une brigade interarmes qui sera supprimé. J’ai adopté une approche rationnelle au regard de nos capacités. L’effort principal portera sur l’infanterie et la cavalerie. En effet, dans le cadre de la précédente LPM, mise en œuvre par mon prédécesseur, ce sont davantage les fonctions d’appuis – artillerie, génie, train, matériel et transmissions – qui ont été touchées. Or nous avons atteint aujourd’hui un niveau « tout juste suffisant » pour ces fonctions. Il serait déraisonnable de continuer à supprimer des postes dans ces unités. Je suis donc contraint de le faire au sein des armes « de mêlée », celles que vous connaissez le mieux, car elles sont les plus visibles sur les théâtres d’opérations. Nos soldats qui rentrent d’engagements ne comprennent d’ailleurs pas que l’on puisse supprimer leur régiment. Mais il n’existe pas d’autre solution. D’où ma volonté de limiter au maximum – à quatre, je l’espère – les dissolutions de régiments.

Les actions de force n’ont pas été oubliées dans le Livre blanc, même si cela a bien failli être le cas. Nous avons d’ailleurs entendu les propositions les plus folles : réduire les effectifs de l’armée de terre à 25 % de ce qu’ils sont actuellement selon l’option A ; à 50 % selon l’option B. Finalement, j’estime que nous avons préservé l’essentiel, même s’il faudra réduire nos forces de 6 000 hommes. Mais la difficulté principale est ailleurs : comment allons-nous faire pour supprimer environ 15 000 postes dans les fonctions de soutien, alors qu’elles ont déjà été rationalisées ?

S’agissant de l’opération au Mali le niveau d’engagement de la France reste significatif, légèrement supérieur à ce qui avait été annoncé : à la fin de l’année, nous devrions encore disposer non pas de 1 000, mais plutôt de 2 000 hommes sur le terrain. Nous avons ainsi répondu à la demande du Mali et des autres pays africains, qui ne sont pas encore prêts à prendre le relais. D’autre part, nous adaptons notre dispositif militaire à l’évolution de la menace au niveau régional : nous avons mis nos forces au Tchad en vigilance ; nous renforçons notre coopération avec le Niger.

Le Watchkeeper est un programme majeur pour l’armée de terre, comme cela a été annoncé lors du dernier salon du Bourget. Il existe une vraie volonté des autorités politiques et militaires d’avancer sur ce dossier. Le 61e régiment d’artillerie – déjà équipé de drones – est actuellement en train de se former avec son équivalent britannique à l’emploi duWatchkeeper. Nous allons peut-être envoyer prochainement des officiers et des sous-officiers de ce régiment en Afghanistan, aux côtés des équipes britanniques, pour tester le comportement de l’appareil sur un théâtre d’opérations. La réalisation du programme Watchkeeper est à notre portée. C’est actuellement le seul drone tactique de cette catégorie disponible sur le marché européen et le seul à avoir reçu une certification lui permettant de voler – délivrée récemment par l’autorité britannique compétente. Il représentera un atout indispensable pour nos forces en opérations. Nous ne devons pas perdre trop de temps. Il ne faut pas reporter la livraison du Watchkeeper à 2018 ou 2019, alors que le SDTI sera très difficile à maintenir à niveau au-delà de 2017. La différenciation est un concept qui a été mis en avant au cours des travaux du Livre blanc. Bien que le terme soit relativement nouveau, l’armée de terre pratique la différenciation depuis longtemps déjà et a pu constater à quel point elle était source d’économies. Ainsi, nos brigades sont différenciées et optimisées pour certaines missions, par exemple le combat de haute intensité, l’action aéroportée ou amphibie. Mais les hommes demeurent polyvalents et d’une manière générale, toutes les unités contribuent à la protection des Français et aux opérations extérieures. La différenciation est avant tout une question d’organisation et d’adaptation aux besoins. Par exemple, si la disponibilité des équipements doit être supérieure à 90 % en opérations, on peut tolérer qu’elle ne soit que de 50 % en métropole pour certains équipements, notamment dans l’attente de leur renouvellement.

S’agissant de l’objectif de « civilianisation », l’armée de terre compte environ 9 000 civils qui lui sont très précieux. Une grande partie de son personnel administratif et de soutien a été transférée aux services interarmées avec la création des bases de défense. Lorsque j’ai pris mes fonctions, il restait, à l’issue des restructurations, un sureffectif de 500 civils qui n’avaient pas pu être mutés ou qui n’avaient trouvé aucun poste. Ce sureffectif a été ramené aujourd’hui à 130 personnes. D’un autre côté, il manque des civils dans certains domaines, comme par exemple des spécialistes dans les services de maintenance terrestre, pour remplacer ceux qui partent en retraite. D’une manière générale, le recrutement de civils par le ministère de la Défense est pratiquement bloqué depuis plusieurs années. Nous n’avons pu recruter en 2013 que 117 personnes, dont 60 surveillants pour les lycées militaires et des informaticiens sous contrat ou vacataires pour travailler en urgence sur le logiciel Louvois. Nous travaillons en lien avec la direction des ressources humaines du ministère de la Défense pour « civilianiser » certains postes administratifs de l’armée de terre qui le pourraient, n’étant pas projetables.

Cependant, il faut se garder de pousser le concept de « civilianisation » à l’extrême. L’ensemble de l’armée de terre a été surprise de lire, dans un rapport, que les militaires affectés à des postes administratifs ne travaillaient que 1 000 heures par an. Vous connaissez pourtant le dévouement de nos soldats, aussi bien en métropole que sur les théâtres d’opérations extérieures. D’autre part, le message ne passe pas très bien dans les rangs lorsque l’on dit à une armée qui voit fondre ses effectifs militaires qu’il convient de consolider les effectifs civils. La mission du ministère de la Défense est avant tout d’engager des soldats sur le terrain ! D’ailleurs, en réduisant son format à 66 000 hommes projetables, l’armée de terre comptera bientôt un nombre de militaires équivalent aux effectifs civils du ministère.

Comment le format de l’armée de terre peut-il demeurer « tout juste suffisant » ? Dans le cadre du Livre blanc de 2013 et de la LPM, les contrats opérationnels ont été revus à la baisse : dans l’hypothèse d’une opération majeure de coercition, en particulier, l’armée de terre devra être capable de projeter non plus 30 000, mais 15 00 hommes avec leur environnement.

Mme la présidente Patricia Adam. C’était déjà le cas auparavant.

Général Bertrand Ract-Madoux. Oui, mais seulement dans la pratique. Ainsi, au cours de la première guerre du Golfe, la France a déployé sur le terrain entre 15 000 et 20 000 hommes, toutes armées confondues.

Pour l’armée de terre, un effectif de 15 000 hommes correspond à deux brigades de combat, que nous formons donc en priorité – toujours au nom du principe de différenciation – aux opérations de coercition et à l’engagement en premier, nécessitant des capacités telles que les lance-roquettes unitaires (LRU), l’artillerie sous blindage et les chars. Cette formule est tout à fait acceptable. En revanche, je le répète, je n’ai pas voulu descendre en deçà du niveau « tout juste suffisant » qui avait déjà été atteint dans certaines fonctions critiques.

Les difficultés du casernement sont un de nos drames ! Elles affectent directement le moral des hommes. La plupart des militaires de l’armée de terre – dont 72 % sont sous contrat et plus de la moitié sont des engagés volontaires – vivent dans des casernes. La proportion est encore plus élevée chez les légionnaires. Tel n’est pas le cas dans les autres armées. Nous devons donc un minimum à nos soldats. Or les grands programmes d’équipement nécessitent une grande part des crédits consacrés aux infrastructures. Par comparaison, les projets de réfection d’un bâtiment, d’un stade ou d’un réfectoire apparaissent bien modestes et passent parfois au second rang des priorités. Ces projets ne sont d’ailleurs pas non plus prioritaires aux yeux des entreprises. La base industrielle et technologique du secteur terrestre a sans doute une surface moins étendue que celle des autres milieux mais ses industries fabriquent néanmoins des équipements de qualité qui se vendent : ainsi le groupe Nexter, parfois critiqué, réalise des bénéfices à l’exportation.

M. Jean-Yves Le Déaut. J’ai assisté lundi dernier, sur la base de Chaumont, à un lancement de drones SDTI – système de drone tactique intermédiaire – et j’ai pu constater le professionnalisme de nos hommes.

S’agissant du programme Watchkeeper, vous avez jugé « prometteurs » les résultats des essais réalisés à Istres. Nous avons cependant pu lire des appréciations divergentes. Pourquoi les essais ont-ils porté uniquement sur la première génération de drones et pas directement sur la deuxième, qui vient – vous l’avez rappelé – d’être certifiée au Royaume-Uni ? D’autre part, pourquoi la France a-t-elle payé seule ces essais relativement coûteux – huit millions d’euros –, alors que le Watchkeeper est développé en coopération avec le Royaume-Uni dans le cadre des accords de Lancaster House ? Un autre arrangement était-il impossible ? Enfin, vous suggérez que le contrat soit passé dans le cadre d’un marché de gré à gré. Cette procédure permet-elle de maîtriser les coûts ?

M. Serge Grouard. Comment sera-t-il possible d’appliquer correctement la LPM, alors que l’on constate déjà un report de charges d’au moins deux milliards d’euros en 2013 ?

S’agissant de la réduction des effectifs, quels régiments et quelles unités envisagez-vous de fermer après 2014 ? À ce stade, le ministre de la Défense n’a pas souhaité répondre à cette question.

Enfin, les difficultés du casernement sont scandaleuses. L’État a consacré, à juste titre, plusieurs milliards d’euros au renouvellement urbain. Par contraste, personne n’oserait proposer aujourd’hui comme logements très sociaux les logements qui sont affectés aux militaires ! Alors qu’on leur demande d’aller mourir pour la France !

Mme la présidente Patricia Adam. Il y aurait également beaucoup à dire sur le projet immobilier à Balard.

M. Yves Fromion. Ne versez pas dans la démagogie, madame la présidente !

Mme la présidente Patricia Adam. Ce n’est pas de la démagogie. Il aurait été possible de choisir un projet moins onéreux et de consacrer davantage de crédits aux logements des militaires.

M. Alain Chrétien. En matière d’équipement individuel des soldats, où en est-on du programme FÉLIN ? Quelle arme succédera au FAMAS ? Qu’en est-il de son approvisionnement en munitions ? On nous annonce des difficultés dans ce domaine.

M. Alain Moyne-Bressand. Vous avez évoqué, à plusieurs reprises, le moral des hommes. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ? Comment communiquez-vous sur les décisions prises en haut lieu, afin qu’elles soient mieux comprises à la base ?

D’autre part, vous avez évoqué des pertes de compétences liées aux départs en retraite. L’armée de terre pourrait-elle faire appel aux réservistes pour certaines de ces compétences ?

M. Jean-Pierre Fougerat. Vous êtes resté positif et diplomate, mais à mesure que vous avez égrené certains termes – optimisation, rationalisation, réorganisation, restructuration –, nous avons bien compris que la situation de l’armée de terre se dégradait. Elle est particulièrement tendue dans les fonctions d’appui. À l’instar de mon collègue, je m’interroge sur le moral des hommes.

M. Philippe Folliot. Le déploiement des forces terrestres semble avoir fait la différence entre le succès de l’opération Serval au Mali et les résultats plus mitigés de l’opération Harmattan en Libye – le sud du pays devenant une zone de non-droit. Je vous prie de transmettre nos messages d’entier soutien à vos hommes, mon général.

D’autre part, l’équipement de l’armée de l’air en A400M Atlas en remplacement des Transall sera plus lent que prévu. Les moyens actuellement mis à votre disposition par l’armée de l’air sont-ils suffisants pour assurer la préparation des parachutistes ?

Enfin, dans le cadre de la LPM, il est prévu de moderniser 200 de nos 250 chars Leclerc. Qu’allez-vous faire des 50 chars restants ?

Général Bertrand Ract-Madoux.

Concernant les chars Leclerc, nous en aurons 200 au total, dont 50 qui serviront à la formation et à l’entraînement. Nous garderons sans doute les 50 chars Leclerc non rénovés comme stock de pièces de rechange – ce que l’on qualifie parfois de « salvage » ou de « cannibalisation ». Les chars constituent, avec l’artillerie et les hélicoptères, un des moyens qui nous permettrait de faire la différence sur les théâtres d’opérations en cas d’engagement majeur. C’est grâce à ses chars – mais aussi à ses hélicoptères, à ses avions et à son artillerie – que l’armée syrienne résiste aussi fermement.

Vous avez raison de souligner, monsieur Folliot, que le déploiement de forces sur le terrain, auprès des populations, facilite le règlement des crises : pour ramener la paix, il convient notamment de désarmer les belligérants. En Libye, le conseil national de la transition était opposé à une intervention terrestre, car il ne voulait pas entrer dans Tripoli sur les camions des Occidentaux. De plus, la communauté internationale se montrait elle-même très réticente à engager des troupes au sol, par crainte d’un enlisement. Au Mali, nous avons démontré que les forces terrestres étaient capables d’intervenir sans s’enliser. Nous avons neutralisé les éléments nuisibles et apporté la sécurité aux populations.

L’A400M est une excellente nouvelle pour l’armée de terre. Lors de l’université d’été de la défense à Pau, nous avons tenu à en faire voler deux simultanément au-dessus de nos forces. Toutefois, le programme A400M a connu des retards – comme tous les grands programmes – et certaines difficultés. Nous serons donc amenés à conserver encore un certain temps les Transall et les C130 Hercules, qui sont à bout de souffle. Il est donc exact que nous avons de plus en plus de difficultés à former nos parachutistes. Si nous devons continuer à faire des économies au même rythme, il n’est d’ailleurs pas exclu que les suppressions de postes touchent également, à l’avenir, les unités parachutistes.

Quant à la décision de fermer des régiments, elle revient au chef des armées, sur la base d’une multitude de critères. Pour notre part, nous fournissons toutes les données objectives – techniques, financières, opérationnelles – relevant du domaine militaire. Mais d’autres critères, notamment économiques, entrent en ligne de compte. Les critères politiques sont aussi légitimes. C’est un sujet sensible. Je ne suis d’ailleurs pas en mesure de vous indiquer quel est le régiment qui sera dissous en 2014. Je suis en outre très attaché à ce que ce genre de décision soit annoncée au régiment concerné, et donc aux hommes qui y servent, non pas par les médias, mais par moi-même ou par mes principaux collaborateurs.

Pour vous répondre, monsieur Le Déaut, les résultats des essais du Watchkeeper à Istres peuvent être interprétés de deux manières. Le drone vole et se pose parfaitement. En revanche, les liaisons entre le drone et le sol ont posé problème. En tout état de cause, les essais ne sont pas terminés. Quant au prix payé par l’armée de terre pour ces essais, il a été convenu avec la DGA. Il s’agissait en effet d’une opération conjointe avec la DGA : nous avons choisi de tester le Watchkeeper dans un de ses centres d’essais.

Le délégué général pour l’armement a déclaré, devant une commission parlementaire, que le Watchkeeper n’avait pas atteint son point de maturité. C’est en effet le cas en ce qui concerne les liaisons du drone avec le sol. Mais ses capacités de vol et d’emport ne sont pas en cause : il est prêt de ce point de vue. Je retiens de mes contacts avec la partie britannique que l’industriel a beaucoup travaillé sur les problèmes de liaisons au cours des deux derniers mois et qu’ils seraient en voie de règlement. Je souhaite d’ailleurs obtenir un ou deux drones Watchkeeper en leasing avant leur livraison prévue en 2017, tant nous en avons besoin.

Je suis heureux que vous ayez rendu visite au 61e régiment d’artillerie de Chaumont, monsieur le Déaut, et que vous ayez relevé la très grande qualité de nos hommes. Les Britanniques ont également été impressionnés par l’aisance et la rapidité avec laquelle ils ont pris en main le Watchkeeper.

La LPM a anticipé un report de charges en 2013 à hauteur de deux milliards d’euros. Il n’est pas anormal qu’il y ait des reports de charges d’une année sur l’autre, dans la mesure où certains engagements ne peuvent plus être comptabilisés à partir d’une certaine date. Mais ils doivent bien sûr demeurer d’un niveau raisonnable. Or, à ce stade, 20 % de la ressource 2013 du BOP « Terre » est encore immobilisée. Cela représente près de 260 millions d’euros. Il est indispensable de lever cette hypothèque sous peine de fragiliser fortement l’entretien programmé du matériel. La levée de l’immobilisation des crédits d’équipements du programme 146 constitue, elle aussi, un enjeu capital pour l’armée de terre.

J’espère limiter le nombre de régiments dissous à quatre : deux régiments d’infanterie, un de cavalerie, un d’artillerie. Il était également envisagé de supprimer un régiment du génie et un de transmissions, mais je souhaite préserver les fonctions d’appui qui ont été fortement touchées par la déflation des effectifs. Cependant, la fermeture de quatre régiments ne suffira pas pour atteindre les objectifs qui nous sont fixés. Je vais donc simultanément modifier l’organisation interne des régiments d’infanterie, de cavalerie et du génie : je vais réduire le nombre d’escadrons et de compagnies, tout en augmentant le nombre d’hommes au sein de chacune de ces unités. À l’échelle du régiment, il y aura bien une certaine réduction des effectifs. En définitive, les régiments dissous mis à part, nous devrions conserver sensiblement les mêmes capacités militaires.

En ce qui concerne le programme FÉLIN – qui équipe l’infanterie, la cavalerie, le génie et, plus généralement, toutes les unités engagées en première ligne aux côtés de l’infanterie –, la cible correspond à nos besoins. Elle a été légèrement revue à la baisse (18 552 équipements), ce qui est logique dans la mesure où deux régiments d’infanterie seront fermés.

Le successeur du FAMAS devrait être livré à partir de 2016. L’armée de terre devrait en être entièrement équipée vers 2018. La cible est de 90 000 armes, dont 75 000 pour l’armée de terre. Il ne s’agira pas d’un équipement français : notre pays ne produit plus, hélas, d’armes de ce type. Nous avons déjà identifié plusieurs armes possibles, que nous mettrons en concurrence. Ce besoin sera donc satisfait.

Je communique à toute occasion, ce qui n’est pas toujours chose aisée, notamment lorsqu’il est question de fermetures de régiments. J’ai fait le choix de m’adresser à l’ensemble de l’armée de terre par vidéo plutôt que par message ou par lettre, afin de toucher davantage de monde. C’est un moyen adapté. En outre, à chaque fois que je rends visite à un régiment, c’est-à-dire environ une fois par semaine, je prends la parole au moins une trentaine de minutes devant l’ensemble du personnel. Je rencontre très régulièrement les membres des commissions participatives, le conseil de la fonction militaire de l’armée de terre (CFMT) et, deux fois par an, les présidents de catégories. Je suis assisté de conseillers – officiers, sous-officiers et militaires du rang – qui sillonnent la France et sont habilités à répondre en mon nom aux questions qui leur sont posées. Enfin, les comptes rendus des auditions devant les commissions parlementaires sont très lus dans nos régiments. Les soldats qui se sacrifient au quotidien aiment leur métier. Ils se tiennent donc très informés sur les réformes.

Le Livre blanc n’a rien prévu de véritablement nouveau pour les réservistes. L’attention et les moyens qui leur sont accordés demeurent stables. Dans l’armée de terre, les restructurations sont très pénalisantes : lorsqu’un régiment ferme, nous cessons de suivre les réservistes qui y étaient rattachés. Au total, nous sommes passés de 20 000 à 15 600 réservistes. Néanmoins, nous lançons des initiatives très appréciées, telles que le dispositif Guépard réserve, qui concerne environ 500 hommes. À chaque fois que nous faisons appel aux réservistes dans ce cadre, le taux de réponse est de 95 %, ce qui est exceptionnel.

De plus, nous avons créé un bataillon de réserve d’Île-de-France à Vincennes en juin dernier. J’ai déroulé à cette occasion le drapeau du 24e régiment d’infanterie, qui avait été dissous il y a quelques années. Nous avons le projet de créer un autre bataillon de réserve, dans l’Ouest. J’attends d’autres propositions de cette nature. L’intérêt de ces bataillons est de confier à nouveau des responsabilités de commandement à des officiers de réserve – capitaines, commandants, lieutenants-colonels, voire colonels.

Cependant, nous ne pourrons guère en faire plus pour les réservistes tant que les budgets consacrés à la réserve ne seront pas consolidés et sanctuarisés et qu’une nouvelle loi ne clarifiera pas les relations entre l’armée de réserve et les entreprises. En effet, il conviendrait peut-être de dédommager les entreprises des journées d’absence des réservistes, ce qui aurait un coût. À ce stade, les réservistes sont donc essentiellement des fonctionnaires ou des salariés du privé qui prennent du temps sur leurs congés.

Au risque de vous surprendre, le moral réel des hommes n’est pas mauvais. Nous nous en rendons tous compte lorsque nous rendons visite aux régiments. Nous avons des hommes en or ! Cela rend optimiste sur la jeunesse de notre pays. D’ailleurs, les plus inquiets sont, non pas les plus jeunes, mais certains sous-officiers supérieurs qui s’épuisent à « faire tourner la machine » avec des moyens trop chichement comptés. Cette situation est imputable au fait que nous avons trop fait d’économies sur le fonctionnement. Il conviendrait de rééquilibrer les choses. D’une manière générale, nos hommes sont exaspérés par l’accumulation des réformes et par certaines mesures. Si elle était confirmée, la mesure relative à la retraite mutualiste des combattants – qui ne permettra de réaliser qu’une économie modeste – serait très impopulaire. En revanche, la LPM prévoit des mesures d’accompagnement positives. Si l’on souhaite préserver le moral des hommes, il vaut mieux ne pas remettre en cause leurs droits individuels, ni donner d’une main pour reprendre de l’autre !

Mme la présidente Patricia Adam. Lorsque les membres de la commission se rendent sur le terrain, ils constatent en effet que le moral des hommes est bon. Les jeunes, en particulier, sont enthousiastes : ils adorent leur métier et l’exercent avec compétence. Nous le vérifions à chaque fois.

Mme Émilienne Poumirol. Il a beaucoup été question, depuis un an, du logiciel Louvois. Vous avez vous-même employé le terme de « catastrophe » à son propos. Le ministre de la Défense a pris des mesures pour améliorer la situation. Où en est-on aujourd’hui ? Quels sont les problèmes qui demeurent ? Quel est l’impact sur le moral des hommes ?

M. Yves Foulon. Le PLF pour 2014 prévoit 1,8 milliard d’euros de ressources exceptionnelles, dont 50 millions d’euros au titre des cessions de matériels. Quels sont les matériels concernés ? Quelle forme les cessions prennent-elles ? Les négociations sont-elles difficiles ?

Mme Édith Gueugneau. Vous avez estimé que l’armée de terre était « soutenable » pourvu que la programmation et les calendriers soient respectés. Vous indiquez en outre avoir mis en œuvre depuis 2008 des « bonnes pratiques » qui permettent de réaliser des économies. Les coopérations avec les armées de nos partenaires européens – telles que le programme d’équipement en hélicoptères NH90 – ne peuvent-elles pas également être source d’économies ?

M. Damien Meslot. Le délégué général pour l’armement a confirmé la livraison prochaine de treize LRU sur les vingt-six prévus initialement lors de la précédente LPM. Quand les treize autres LRU seront-ils livrés ?

Le régiment dont la dissolution a déjà été annoncée fait-il ou non partie des quatre régiments qui doivent être supprimés ?

M. Francis Hillmeyer. Vous avez estimé que la LPM recherchait « le meilleur point d’équilibre possible », tout en précisant que l’armée de terre devrait renoncer à certaines capacités. Vous avez notamment indiqué avoir besoin de 120 millions d’euros pour rénover 1 400 véhicules en cinq ans. Disposerez-vous de ces crédits ? À défaut, allez-vous devoir, comme par le passé, « cannibaliser » les anciens matériels ?

D’autre part, vous avez évoqué un excès de rationalisation et des réformes permanentes, qui semblent indiquer que le budget de la Défense n’est plus un enjeu prioritaire pour le pays. Vous avez en outre souligné que l’administration prenait le pouvoir sur les responsables opérationnels à l’occasion de cette réorganisation. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ?

M. Olivier Audibert Troin. L’efficacité de l’armée de terre repose sur l’interopérabilité et le soutien mutuel de trois armes : cavalerie, infanterie et artillerie. Or, dans le cadre de la LPM, l’artillerie subira non seulement une déflation de ses effectifs, mais aussi une réduction de ses commandes d’équipements. Les soixante-dix-sept canons Caesar qui devaient être fournis à l’artillerie avant 2019 n’apparaissent nulle part dans la LPM. L’artillerie va donc devoir se contenter d’équipements en fin de course : les AUF1 et les TRF1. Lorsque nous l’avons interrogé, le délégué général pour l’armement a indiqué que l’artillerie pourrait s’appuyer sur les LRU. Que restera-t-il, demain, de l’artillerie française ? L’armée de terre pourra-t-elle fonctionner avec une artillerie diminuée ? Quelles seront les conséquences pour notre capacité opérationnelle ? Une nouvelle doctrine sera-t-elle définie ?

Général Bertrand Ract-Madoux. Depuis un excellent rapport de votre commission, la lumière a été faite sur l’échec du système Louvois : alors que l’on nous soupçonnait d’en être les responsables, nous en sommes très clairement les victimes. Nous faisons le maximum, avec le soutien du ministre, pour venir en aide aux camarades à qui ont été versées des soldes incomplètes. Le logiciel Louvois continue à calculer des montants aberrants qui ne concernent pas toujours les mêmes soldats. En nous appuyant sur les régiments, les groupements de soutien de bases de défense (GSBdD) et le centre expert des ressources humaines et de la solde de Nancy, nous avons mis en place un dispositif efficace pour pallier les erreurs du logiciel. Les trop-perçus sont estimés à environ 100 millions d’euros pour 2012 – chiffre aujourd’hui revu à la baisse après examen manuel des dossiers et à 50 ou 60 millions d’euros pour 2013. À chaque fois que je me rends sur le terrain, j’invite les soldats à se mettre en règle et à rembourser dès que possible le trop-perçu, qui leur sera réclamé tôt ou tard. M. Christophe Guilloteau. Allez-vous dissoudre des régiments de la légion étrangère ?

Général Bertrand Ract-Madoux. Non, mais la légion verra également ses effectifs diminuer comme les autres régiments.

S’agissant des cessions de matériels, l’armée de terre est principalement concernée par la vente de quelques hélicoptères Tigre à la Malaisie. Nous ne devrions pas être perdants dans cette opération : il s’agit de HAP de première génération qui seront remplacés à terme par des HAD de dernière génération. D’autre part, nous contribuons ainsi à l’obtention d’un marché important à l’exportation.

Nous recherchons en effet, madame Gueugneau, toutes les sources d’économies possibles dans le cadre de coopérations avec nos partenaires européens. C’est ce que nous avons fait pour les hélicoptères NH90 et les Tigre. Pour le LRU, nous allons essayer de profiter au maximum de l’expérience et des moyens de nos partenaires allemands. Nous avons en outre le projet de former les parachutistes français et allemands à Pau, ainsi que peut-être, à l’avenir, d’autres parachutistes européens.

S’agissant des LRU, la cible a été ramenée de vingt-six à treize, et personne n’estime prioritaire de revenir sur cette réduction de 50 %, faute de moyens. Je fais passer le programme Scorpion avant l’équipement en LRU. J’envisage d’en déployer deux au sein de nos forces prépositionnées à l’étranger pour pouvoir s’entraîner à leur portée maximale – la portée des roquettes étant de soixante-dix kilomètres, les polygones de tir français ne sont pas assez vastes.

Comme je l’ai indiqué, un régiment d’artillerie sera dissous et nous allons réorganiser nos moyens. Le Caesar est aujourd’hui le canon de base de notre artillerie : 77 exemplaires ont déjà été livrés à l’armée de terre. J’ajoute que la livraison en 2014 de 13 LRU renforcera de façon significative les capacités d’appui-feu des forces terrestres. Quant aux AUF1, même si nous ne pourrons pas les conserver indéfiniment – vous avez raison, monsieur Audibert Troin –, ce sont aujourd’hui nos seuls canons sous blindage. Ils fonctionnent et demeurent pertinents dans certaines conditions d’engagement. Ils sont en outre indispensables pour disposer, en complément des Caesar, de 109 canons de 155 mn nécessaires au contrat opérationnel La question se posera, à partir de 2020, d’acheter des canons Caesar supplémentaires, des LRU ou d’autres équipements.

M. Yves Fromion. Si l’armée de terre cesse d’acquérir des canons Caesar, les lignes de production ne fonctionneront plus que pour l’exportation. Comment fera-t-on pour les maintenir ?

Général Bertrand Ract-Madoux. Les perspectives à l’exportation sont très importantes. L’Inde, en particulier, étudie l’acquisition de plusieurs centaines de canons.

M. Damien Meslot. Le régiment dont la dissolution a été annoncée fait-il partie des quatre régiments qui seront supprimés ?

Général Ract-Madoux. Oui.

Mme la présidente Patricia Adam. Je vous remercie, général.

La séance est levée à dix heures cinquante.

*

* *

Membres présents ou excusés

Présents. – Mme Patricia Adam, M. François André, M. Olivier Audibert Troin, M. Nicolas Bays, M. Sylvain Berrios, M. Daniel Boisserie, M. Jean-Jacques Bridey, Mme Isabelle Bruneau, M. Laurent Cathala, M. Christophe Cavard, M. Guy Chambefort, M. Alain Chrétien, M. Jean-David Ciot, Mme Catherine Coutelle, M. Guy Delcourt, M. Nicolas Dhuicq, Mme Marianne Dubois, M. Philippe Folliot, M. Jean-Pierre Fougerat, M. Yves Foulon, M. Yves Fromion, M. Sauveur Gandolfi-Scheit, Mme Geneviève Gosselin-Fleury, M. Serge Grouard, Mme Edith Gueugneau, M. Christophe Guilloteau, M. Francis Hillmeyer, Mme Danièle Hoffman-Rispal, M. Laurent Kalinowski, M. Patrick Labaune, M. Marc Laffineur, M. Jacques Lamblin, M. Charles de La Verpillière, M. Jean-Yves Le Déaut, M. Frédéric Lefebvre, M. Christophe Léonard, M. Maurice Leroy, M. Jean-Pierre Maggi, M. Alain Marleix, M. Alain Marty, M. Damien Meslot, M. Philippe Meunier, M. Alain Moyne-Bressand, M. Philippe Nauche, M. Jean-Claude Perez, Mme Sylvie Pichot, Mme Émilienne Poumirol, M. Joaquim Pueyo, M. Eduardo Rihan Cypel, M. François de Rugy, M. Stéphane Saint-André, M. Jean-Michel Villaumé, M. Philippe Vitel, Mme Paola Zanetti

Excusés. – M. Ibrahim Aboubacar, M. Claude Bartolone, M. Philippe Briand, M. Jean-Jacques Candelier, M. Bernard Deflesselles, M. Éric Jalton, M. Bruno Le Roux

Lire le compte rendu n°13 au format pdf: 

À lire également