Happy Birthday to You !

Voici un an, bravant les interdits séculaires, la GROGNE DES GENDARMES déferlait aux quatre coins de la France. Les propos des commentateurs de cette marée bleue qu’ils soient approbateurs ou réprobateurs, employaient très souvent l’expression « Ils ont osé ». Depuis, une fière devise résonne dans nos têtes : « WHO DARES
WIN »
(qui ose vaincra), devise du glorieux corps de l’armée Britannique, les fameux « S.A.S. » (Spécial Air Service).

Au grand dam de certains, cette grogne était qualifiée, par la société civile en général et les médias en particulier,
de juste, de citoyenne et de digne.  Aujourd’hui, au risque de déplaire encore,
ce premier anniversaire est l’occasion d’affirmer nos réserves et notre vigilance quant aux résultats avérés et aux promesses non encore tenues.

Il est clair que sur le plan de l’éthique, cette agitation prête à controverse. Cependant, un point de non-retour avait été atteint et la fronde était nécessaire pour que la vérité soit connue par le plus grand nombre. Depuis des années la grogne couvait, la vérité avait été maintes fois portée à la connaissance des plus hautes instances. Hélas, ceux qui étaient en charge de le faire n’ont pas su ou n’ont pas voulu en tenir compte. Jusqu’aux derniers jours qui ont précédé cet embrasement, certains ont encore tenté d’alerter les dirigeants mais ces démarches de la dernière chance sont restées vaines. Alors, le coeur serré, les gendarmes ont été contraints d’agir pour que soit connu leur quotidien, pour que leurs concitoyens, chaque jour spoliés, terrorisés ou meurtris dans leurs chairs, sachent les difficultés rencontrées par ces soldats de l’ordre journellement présents sur les multiples champs de batailles de la misère et de l’insécurité. Ces militaires ont toujours tout accepté, même jusqu’à prendre le risque du sacrifice suprême, mais ils n’en pouvaient plus des moyens de plus en plus insuffisants, des rythmes de travail d’un autre siècle et des soldes qui ne sont pas en proportion.

Qui plus est, face au mépris et à l’arrogance des puissants vis à vis de leurs représentants et aussi envers leurs épouses lorsque celles-ci ont voulu parler à leur place, comment les gendarmes auraient pu encore se taire. Aussi, pour bon nombre d’entre eux, ces jours de décembre 2001 seront à jamais les cinq glorieuses dont voici un bref rappel :

Le mardi 4 décembre 2001 :

Il s’agit d’une journée historique. Pour la première fois, les gendarmes, agissant à visages découverts, en uniforme mais têtes nues, convergent vers deux légions de Gendarmerie. Le matin, ce sont 400 gendarmes du GARD, de l’HéRAULT et de la LOZèRE qui se regroupent à MONTPELLIER (34). L’après-midi, 400 autres de leurs camarades, venant  du seul département des BOUCHES DU RHôNE, se regroupent à MARSEILLE (13).

Le mercredi 5 décembre 2001 :

Au total, un peu partout en France métropolitaine et en Corse, en réponse aux propos maladroits du Ministre de la Défense, des milliers de gendarmes emboîtent le pas à leurs camarades méridionaux et convergent vers les états-majors régionaux et départementaux.

Le jeudi 6 décembre 2001 :

D’autres regroupements plus conséquents se déroulent encore sur tout le territoire national. Le plus symbolique et le plus poignant concerne plus de 2.000 pandores réunis à CINTEGABELLE (31), fief du Premier ministre de l’époque. Représentant les multiples unités et services du « GRAND SUD », ces gendarmes viennent des légions « Aquitaine », « Midi-Pyrénées », « Languedoc Roussillon » et « Provence, Alpes et Côte d’Azur ».

Comme ailleurs, les médias sont là et témoignent largement de ce qui se passe à CINTEGABELLE où les gendarmes participent à une célébration sans précédant de leur sainte patronne. L’émotion grandie encore lorsque ces militaires de tous grades, tous très émus et en uniforme rutilant, rendent un hommage poignant à leurs camarades récemment tombés sous les balles de « L’E.T.A ». Ensuite, malgré les consignes d’un colonel qui tente de les en dissuader, ces mêmes gendarmes se mettent au garde à vous et entonnent une Marseillaise rarement chantée avec tant de coeur. A l’issue, avançant comme un seul homme, rien ne peut les empêcher de déposer une motion destinée au Premier ministre.

Enfin, comme ils l’ont fait à l’aller depuis TOULOUSE (31), ces 2.000 gendarmes repartent en convoi, tous feux allumés et sirènes hurlantes. Ils se dirigent vers l’état-major de la Légion Midi-Pyrénées à TOULOUSE. Progressant sous les applaudissements et autres marques de sympathie de la population, ils sont peu à peu rejoints par un millier de leurs camarades venant des unités avoisinantes. Ce convoi s’étire alors sur plusieurs kilomètres et, pour ne créer aucune gène aux usagers, il progresse en ordre, sur une seule voie et à une vitesse normale.

Le vendredi 7 décembre 2001 :

Les regroupements sont encore plus massifs. On peut même voir des gendarmes d’île de France converger vers PARIS. Cependant, la plus forte démonstration concerne les 5.000 gendarmes qui, de tous les départements de « LANGUEDOC-ROUSSILLON » et de « PROVENCE, ALPES ET COTE D’AZUR », ont convergé vers MARSEILLE. Ce jour là, le ciel de la belle Provence est sans nuage et il est baigné par la douce lumière d’un beau soleil d’hiver. Des centaines et des centaines de gendarmes arrivent de Perpignan(66) à Carcassonne (11), de Mende (48) à Montpellier (34), de Nîmes (30) à Avignon (84), de Gap (05) à Digne (04) et de Nice (06) à Toulon (83).

Peu à peu, impeccablement guidés par leurs camarades motocyclistes, ces grognards de L’AN UN gagnent les derniers points de rencontre successivement fixés à ARLES, LANCON DE PROVENCE et VITROLLES. Chaque fois ils sont rejoints par des camarades des Bouches du Rhône. Les convois se mêlent dans un ballet du plus bel effet pour ne constituer bientôt qu’une seule file ininterrompue. Formé de centaines de véhicules d’un même bleu, le cortège s’étire alors sur presque 10 km. Tous feux allumés et sirènes hurlantes, les clios et les breaks divers sont bondés de gendarmes en uniforme. Ce convoi progresse en bon ordre, sur la voie centrale de l’autoroute et à allure normale. Les usagers manifestent leur soutien par une fanfare de coups de « Klaxon », des « appels de phare » et des gestes de sympathie. Parcourant ainsi les derniers kilomètres, ce long cortège arrive enfin à MARSEILLE dans un vacarme assourdissant. Sous le regard éberlué des Policiers préalablement prévenus de l’itinéraire emprunté, le convoi pénètre au coeur de la cité phocéenne. Le jour de gloire est arrivé, celui de la reconnaissance et de la considération. Les Marseillais, partout sur les trottoirs, dans les abris de bus, aux fenêtres et aux balcons, applaudissent avec frénésie leurs gendarmes. Comme ailleurs, c’est la nation qui se reconstitue. Les pandores n’en croient pas leurs yeux. Eux qui parfois sont dénigrés ou raillés, sont heureux d’être ainsi soutenus par la population.  Ils ne le savent pas mais ils ne sont pas au bout de leur surprise. Lorsque les premiers véhicules de ce convoi parviennent aux grilles de la caserne, siège de l’état-major de la Région « SUD » de Gendarmerie, c’est un accueil incroyable, surréaliste et dantesque qui les attend. Des centaines d’autres Gendarmes des Bouches du Rhône sont là. Oui, ils sont tous là, Mobiles et Départementaux, tous en uniforme et têtes nues. Venant des unités de terrain et des services administratifs, officiers, sous-officiers de tous grades et hommes du rang, ils ont répondu présents. Dans cette vaste enceinte d’habitude si austère, les familles sont aux fenêtres de la grande tour et agitent des linges en signe de soutien. Les épouses et les enfants n’en reviennent pas, enfin ils ont osé.

A MARSEILLE, comme dans d’autres états-majors régionaux un peu partout en France, les locaux voulaient être là pour saluer, applaudir et ovationner leurs camarades arrivants de l’extérieur. Tous sont émus et fiers. Ils n’ont pas failli malgré les pressions et les manoeuvres. Devant leurs chefs stupéfaits, les médias sont surpris car ces gendarmes, d’ordinaire distraits et silencieux, prennent en ce jour ce droit qui leur est toujours refusé, celui de s’exprimer. Ils parlent des administrations qui se déchargent sur eux. Ils parlent des véhicules vétustes, des tenues de service inadaptées ou des ordinateurs qu’ils achètent de leurs deniers pour travailler. Les hourras et les applaudissements sont nourris. S’écartant comme les flots devant Moise, les pull-overs bleu à bande blanche offrent le spectacle d’une haie d’honneur massive et inébranlable. C’est une véritable nuée qui grossit et enfle sans cesse. Elle est nourrie par les camarades qui, au fur et à mesures des arrivées, descendent des véhicules. Beaucoup se reconnaissent et, au gré des mutations, se retrouvent parfois après de très nombreuses années. Les accolades sont innombrables. Ces hommes et ces femmes, après avoir été salués par leurs concitoyens au fur et à mesure de leur progression, se congratulent maintenant entre frères d’armes. Du bleu partout. Du bleu à l’âme aussi. Les gorges sont serrées et nombre de ces soldats, jeunes et vieux, voient une larme perler. Ces larmes ne sont pas honteuses. Il s’agit de larmes de fierté partagée et de l’intense émotion ressentie.

Ces besogneux ont enfin refusé de courber l’échine plus longtemps. Unis dans la fronde, ils ne veulent plus être représentés par leurs épouses, leurs retraités ou par les syndicats de Police. Ce jour là, ils ont le sentiment de retrouver leur honneur et ils ne baisseront pas la tête. Ils sont déterminés dans leurs justes revendications. Ils savent qu’ils font partie des 25.000 pandores qui se sont exprimés. Ils savent qu’ils représentent la plupart de leurs camarades restés à leurs postes pour ne pas faillir aux missions de service public. Ils annoncent que, faute d’un accord intervenant sous peu, leurs rangs grossiront encore. Pour imager la marée bleue qui pourrait converger vers la capitale et brandissant les billets de train déjà pris pour le 16 décembre 2001, ils entonnent un bruyant couplet sans cesse répété de « ON VA à PARIS ».

Le samedi 8 décembre 2001 :

Pour la première fois, le dialogue est véritablement engagé entre les instances de concertation et le Ministre de la Défense qui a perdu de sa superbe. Chacun argumente et défend ses positions. Enfin, à l’issue de cette journée, les mesures annoncées mettent immédiatement fin à la fronde. Conscients que la Gendarmerie sortait de la crise la plus sérieuse de son histoire, nous sommes tous soulagés par ce qui n’est qu’un compromis. Malgré nos réserves, nous ne pouvions alors que formuler tous nos voeux pour une sérénité retrouvée et que nous voulions durable.

Gendarme A.J. Bouches du Rhône

À lire également