Collecte et conservation des empreintes digitales d’une personne non condamnée : la Cour EDH condamne la France

Dans une décision du 18 avril 2013, la Cour EDH a considéré que la conservation des empreintes au fichier automatisé des empreintes digitales (FAED), d’une personne qui n’a fait l’objet d’aucune condamnation, s’analyse, au vu des circonstances de l’espèce, en une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée garanti par l’article 8 de la Convention EDH.

Relaxé une première fois pour vol de livres, puis ayant bénéficié d’un classement sans suite une seconde fois pour des faits similaires, le requérant contestait devant la Cour EDH, la conservation de ses empreintes au fichier automatisé des empreintes digitales (FAED. – V. D. n° 87-249, 8 avr. 1987 : JO 9 avr. 1987, p. 4046). Selon le procureur de la République, le refus d’effacer ses empreintes aurait permis « d’exclure sa participation en cas de faits commis par un tiers usurpant son identité ». Le juge des libertés et de la détention avait estimé que « la conservation des empreintes était de l’intérêt des services d’enquête ».

La Cour EDH juge, au contraire, recevable la demande du requérant, estimant que « le régime de conservation dans le fichier litigieux des empreintes digitales de personnes soupçonnées d’avoir commis des infractions mais non condamnées » ne traduit pas « un juste équilibre entre les intérêts publics et privés concurrents en jeu. Dès lors, la conservation litigieuse s’analyse en une atteinte disproportionnée au droit du requérant au respect de sa vie privée et ne peut passer pour nécessaire dans une société démocratique. Partant, il y a eu violation de l’article 8 de la Convention EDH ».

La Cour rappelle que la conservation dans un fichier des empreintes digitales d’un individu constitue une ingérence dans le droit au respect de la vie privée, justifiée uniquement lorsque trois critères sont réunis : elle doit être prévue par la loi, viser un but légitime et être nécessaire dans une société démocratique, c’est-à-dire que les motifs invoqués par les autorités nationales doivent apparaître comme pertinents et suffisants mais aussi être proportionnés au but légitime poursuivi.
En l’espèce, si l’ingérence est bien prévue par la loi (CPP, art. 55-1 ; D. n° 87-249, 8 avr. 1997), et vise un but légitime (la prévention des infractions pénales), la Cour considère qu’il en va différemment pour le troisième critère, mais seulement en ce qui concerne la finalité du fichier et les modalités de conservation.

Concernant la finalité du fichier, au terme d’un contrôle de proportionnalité, la Cour constate un déséquilibre manifeste, au détriment de la personne concernée, dans la mesure où le décret n’opère pas de distinction selon la gravité des faits en s’appliquant aussi bien aux personnes condamnées qu’à celles n’ayant jamais été reconnues coupables d’infractions. Par ailleurs, le refus du procureur de faire procéder à l’effacement des empreintes et la finalité poursuivie à savoir la protection du requérant contre une usurpation de son identité, non seulement n’est pas prévu par les textes mais reviendrait à justifier le fichage de l’intégralité de la population.

La Cour constate, en outre, que les modalités de conservation des données n’offrent pas une protection suffisante, en particulier s’agissant de la possibilité d’effacement des données « théorique et illusoire » et que la durée de conservation, 25 ans, est assimilable à une conservation indéfinie du fait de la faible chance de succès des demandes d’effacement.

Source:

CEDH, 18 avr. 2013, n° 19522/09, M. K. c/ France

http://rb.lexisnexis.fr/depeches

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