Jurisprudence administrative et mobilité des militaires en 2012 (par Jacques BESSY, président de l’Adefdromil)

En 2012, plusieurs décisions intéressantes concernant la mobilité des militaires ont été rendues par diverses juridictions administratives. On peut en tirer quelques enseignements.

L’intérêt du service prime sur le droit  au respect de la vie privée et familiale.

Dans un arrêt n° 357717 du 3 février 2012, concernant un militaire de l’armée de l’air muté d’Istres à Avord,  le Conseil d’Etat juge : « que, si M. A soutient que la décision de mutation attaquée est de nature à faire obstacle à la garde alternée hebdomadaire de ses enfants au domicile de chacun des parents, cette conséquence ne suffit pas, compte tenu notamment des obligations statutaires de l’intéressé, des conditions de service propres à l’exercice de la fonction militaire et de ce que le MINISTRE justifie que l’intérêt du service rendait nécessaire la présence de sous-officiers contrôleurs aériens à la base aérienne d’Avord, à faire regarder la mutation dont il a fait l’objet, pour les besoins du service, comme portant une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale au sens des stipulations de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, dès lors qu’une autre organisation de la garde des enfants, tenant compte de l’éloignement géographique des deux parents, peut être mise en place et se substituer à la précédente ;

Dans le même esprit, l’éloignement familial résultant de la mutation d’un sous-officier de gendarmerie dans un département voisin ne constitue pas la situation d’urgence requise pour suspendre l’exécution de l’ordre de mutation. (Conseil d’Etat. Arrêt n°363875 du 28 décembre 2012).

Muté d’office le 1er octobre 2012 de la brigade de proximité de Saint-Pée-sur-Nivelle (Pyrénées Atlantiques) à la brigade territoriale autonome de Dax (Landes) pour occuper un emploi de chef de groupe « enquêteurs », M. A, adjudant de gendarmerie saisit le juge des référés du tribunal administratif de Pau, qui le déboute. Il se pourvoit alors devant le Conseil d’Etat, qui juge que : «  la décision de mutation de M. A de la brigade de proximité de Saint-Pée-sur-Nivelle (Pyrénées Atlantiques) à la brigade territoriale autonome de Dax, située dans le département voisin des Landes, n’est pas de nature, alors même que l’intéressé fait valoir que la mère de ses enfants, dont il est séparé, habite à quelques kilomètres de Saint-Pée-sur-Nivelle, à constituer une situation d’urgence de nature à justifier la suspension de cette mesure ; ». La demande présentée par M. A est donc rejetée.

En revanche, les conséquences d’un déplacement d’office hors vacances scolaires sur l’emploi du conjoint et la scolarisation des enfants peuvent constituer la condition d’urgence requise par l’article L 521-1 du code justice administrative.

Puni de 20 jours d’arrêts avec sursis pour avoir utilisé sa bombe lacrymogène de dotation lors d’un contrôle routier à 6 heures du matin en novembre 2011, à la sortie d’une boîte de nuit, l’adjudant S fait l’objet d’un déplacement d’office à 150 km de son lieu d’affectation par ordre de mutation du 21 février 2012.

Saisi par l’intéressé d’une demande de suspension de cette décision, le juge des référés de Strasbourg estime que « les effets de la décision attaquée le mutant d’office à Morhange, à environ 150 km de son domicile, sur sa situation personnelle et familiale, notamment sur l’emploi de son épouse et la scolarisation de ses enfants, justifient suffisamment satisfaire la condition d’urgence susmentionnée ». Il ajoute que, « le moyen tiré de l’erreur manifeste d’appréciation de l’intérêt du service à prononcer une telle mutation, compte tenu particulièrement de l’ancienneté et de la qualité des états de  service de l’intéressé, par ailleurs du caractère très ponctuel et d’une gravité relative des faits reprochés au demeurant sanctionnés disciplinairement, parait de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision ». Dans ces conditions le juge ordonne la suspension de l’ordre de mutation (Ordonnance n°1201509 TA Strasbourg du 16/04/2012).

Enfin, il est rappelé que le juge administratif refuse d’indemniser le préjudice résultant d’une mutation annulée pour vice de forme ou de procédure (Arrêt de la CAA de Nancy du 8 novembre 2012 n°11NC01805).

La cour administrative d’appel de Nancy revient sur une affaire ancienne concernant un militaire déplacé d’office à Givet (08), qui demandait réparation de son préjudice. Elle rappelle que « l’intervention d’une décision illégale ne peut ouvrir droit à réparation si, dans le cas d’une procédure régulière, la même décision aurait pu légalement être prise ». Elle relève « qu’il résulte de l’instruction que la décision de mutation du 21 mars 1995 est intervenue en raison des relations conflictuelles de M. A avec sa hiérarchie et de son attitude revendicative ; que, dans ces conditions, si la décision contestée, qui n’a pas le caractère d’une sanction déguisée, était entachée d’un vice de procédure qui a motivé son annulation par la Cour administrative d’appel de Nancy, elle était justifiée par le comportement de l’intéressé ; que M. A n’établit pas que ce motif reposerait sur des faits matériellement inexacts ou serait entaché d’une erreur de droit ou d’une erreur manifeste dans l’appréciation de son comportement ; qu’enfin, le détournement de pouvoir allégué n’est pas établi ; qu’ainsi, la décision du 21 mars 1995 étant justifiée au fond… ». Dans ces conditions, l’intéressé ne peut prétendre à la réparation des préjudices que lui aurait causés cette décision.

Jacques BESSY

27/03/2013

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