Fonction et condition militaires : Le législateur et la société civile doivent faire leur aggiornamento

L’éditorial du Docteur Debeir du 9 novembre 2002, publié sur le site de
l’ADEFDROMIL, est excellent et cadre bien le problème à résoudre.

On me permettra d’ajouter mon analyse.

A lire les déclarations des politiques et de certains hauts-dignitaires de
l’armée, il semblerait que la crise morale dans les armées soit de façon
banale et exclusivement la conséquence des difficultés matérielles et des
restructurations qu’elles ont dû subir dans la période récente. C’est se
voiler la face et évacuer un peu vite des problèmes que l’on ne veut pas
aborder, ou que l’on ne se sent pas capable d’appréhender.

A savoir qu’il convient de faire disparaître dans l’armée l’existence au
profit de la hiérarchie de pouvoirs d’agir à sa guise, et dans l’arbitraire,
sur les personnels, et d’influer sur leur vie, quelquefois de façon dramatique,
ainsi que sur celle de leur famille. (On nous épargnera la longue liste des
faits iniques que, au cours de quarante deux ans passés dans l’armée, j’ai pu
observer, ou subir. Et on économisera le défilé… de certains témoins).

Ceci sans raison strictement liée à la gestion des personnels militaires
des armées et hors d’un étroit souci de satisfaction des besoins et
d’adaptation de la ressource à ceux-ci Faire en sorte que tout manquement à
cet impératif de « justification des actes par la mission » et de
respect de la personne du subordonné, serait sanctionné de telle manière que
son auteur éventuel en sera dissuadé. Faire en sorte que la hiérarchie ne
puisse pas couvrir les manquements. Bref, établir un nouveau « contrat
social » au sein des armées, et éviter au militaire le sort de propriété
de l’Etat , pour reprendre l’expression d’une femme de gendarme , au moment où
j’allais entrer dans l’armée. Emanciper les militaires en les délivrant des
tutelles, pour ne pas dire des camisoles, qui font d’eux des  » incapables
majeurs » au plan social, et leur conférer enfin une une situation
statutaire  » intégrée » dans la nation. Ce qui suppose une vision
moderne de la fonction militaire, débarrassée des conceptions héritées de
l’Ancien régime et du passé proche (fin des armées « saisonnières
« , au plan budgétaire notamment, fin du statut précaire des engagés et
des soldats « platoons » tirés du fond du panier (sauf en période de
chômage), dialogue incessant (et ouverture sincère) avec la société civile
à certains membres de laquelle on « révèlerait » enfin que les
militaires ne sont pas responsables de la violence des hommes et des sociétés.
Et que face à celle-ci, leur véritable fonction, la mise en oeuvre de la
force, est primordiale. Intégration des militaires d’active dans la vie de la
cité, par l’exercice de fonctions électives, dans lesquelles leur sens de
l’efficacité et leur probité (en général) seraient profitables à la
collectivité. Ou compensation de leur prétendu empêchement à ces fonctions
qui serait motivé par leur mobilité… Reconnaissance simultanée par le
public et par les dirigeants et hauts-fonctionnaires de l’aspect particulier du
destin du soldat entièrement voué aux service, astreint à se perfectionner
sans cesse, culturellement, physiquement , techniquement, moralement, à ne
penser qu’à cela, et à ne pas se reposer sur le niveau scolaire qu’il
possédait lors de son recrutement initial, notion qu’on lui oppose un peu trop
souvent pour justifier la contraction de sa grille indiciaire.

Dire ce qu’est le soldat d’une armée moderne: sergent de ville onusien ou
combattant ?

Combattant ou observateur passif ( pour cause de subtilités diplomatiques
qui masquent mal la lâcheté des politiques) menacé de schizophrénie, il
mérite en toute hypothèse une place incluant en premier lieu les acquis de la
société civile et en second lieu une contrepartie de ses servitudes qui ne
soit pas symboliques et aléatoires. Car le soldat est un être complexe: homme
(ou femme) dans le monde et homme ( ou femme ) consacrés.

Les militaires professionnels ne sont pas les mêmes en 2002 qu’il y a un
siècle… alors que le  » regard mental  » du législateur n’a guère
évolué. C’est ce regard sur la fonction et la condition militaires qui doit
subir un aggiornamento, et le positionnement psychosociologique du militaire
dans la société en sera amélioré et dégagé.

La constitution d’un groupement professionnel autonome des personnels des
armées s’inscrit dans ce cadre impérieux. Le « projet » de loi relatif
à la fonction et à la condition militaires est à l’étude. Il reprendra de
façon cohérente et dans une autre philosophie non seulement le statut
général, mais le code pénal, le code du travail, le code de l’habitat, tous
les codes sociaux, le code des pensions militaires d’invalidité, etc. Dussent
les conservateurs frileux, qu’un zéphyr de changement fait hurler à la
tempête, en être saisis d’effroi.

Lire également :
Editorial du samedi 9 novembre 2002

À lire également