COMMISSION DES AFFAIRES ETRANGERES, DE LA DEFENSE ET DES FORCES ARMEES: Audition de M. Mohamed Emhemed Abdelaziz, ministre libyen des affaires étrangères (12 février 2013)

La commission auditionne de M. Mohamed Emhemed Abdelaziz, ministre des affaires étrangères et de la coopération internationale de Libye.

M. Jean-Louis Carrère, président. – Permettez-moi tout d’abord de vous souhaiter une très cordiale et chaleureuse bienvenue au Sénat devant notre commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.

Avec nos collègues Alain Gournac, Joël Guerriau et Jean-Claude Réquier, nous nous sommes rendus à Tripoli du 11 au 13 décembre 2012 dernier. Nous n’avions malheureusement pas pu vous rencontrer à cette époque puisque vous accompagniez le premier ministre M. Ali Zeidan dans la visite qu’il effectuait en Algérie, au Tchad et au Niger. Vous étiez alors ministre de la coopération internationale et vous y avez ajouté au début de cette année le portefeuille des affaires étrangères.

Avant de vous passer la parole et de laisser mes collègues vous questionner, je voulais connaître votre analyse sur deux points :

Le premier concerne la position de votre pays dans son environnement régional et les relations qu’il entretient avec ses voisins, en particulier avec l’Algérie et avec deux pays en crise que sont la Tunisie et l’Égypte. En dehors de ses contacts immédiats avec vos voisins, la Libye est membre de nombreux organes régionaux et est favorable à la relance de l’union du Maghreb arabe.

Elle joue un rôle important dans la communauté des états sahélo-sahariens qu’elle vient de relancer et nous serions intéressés à connaître la position du gouvernement libyen vis-à-vis de notre intervention au Mali. Il est évident que c’est la coopération de tous les états de la région qui devra permettre la réduction puis l’élimination du terrorisme en particulier celui d’AQMI qui constitue à nos yeux le principal adversaire. L’autre grand pôle régional est bien évidemment l’Europe à travers le dialogue 5+5. Je m’adresse là plutôt au ministre de la coopération internationale pour vous demander ce que votre pays attend de l’Europe pour sa reconstruction et son développement. Quelle est en particulier votre position par rapport à l’union pour la Méditerranée ?

Le second point est bien évidemment celui de nos relations bilatérales et je vous demanderai très simplement ce que votre pays attend de la France. Sachez que pour ce qui nous concerne, et comme je l’ai indiqué à nos interlocuteurs et en particulier au président el-Megaryef, le Sénat est prêt à une coopération étroite avec le conseil national général pour l’aider à mettre en place les institutions parlementaires. Notre collègue Michelle Demessine a du reste participé à une première mission parlementaire, conjointement avec l’Assemblée nationale, pour proposer notre aide.

Monsieur le ministre, je vous passe la parole.

M. Mohamed Emhemed Abdelaziz ministre des affaires étrangères et de la coopération internationale de Libye. – Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, je tiens à vous remercier de votre invitation et à exprimer ma joie d’être à Paris à l’occasion de la Conférence ministérielle internationale de soutien à la Libye dans les domaines de la sécurité, de la justice et de l’état de droit. Je tiens à rappeler que celle-ci constitue une initiative franco-libyenne. En effet, il y a deux mois, M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères, s’est rendu en Lybie, dans le cadre des bonnes relations que nous entretenons. Il a bien voulu accepter d’accueillir cette conférence qui a adopté aujourd’hui même un plan de travail promouvant la sécurité et visant à l’instauration de l’état de droit en Libye. Une conférence de presse s’est tenue, abordant notamment les relations franco-libyennes ainsi que l’intervention française au Mali.

En réponse à Monsieur le Président Carrère sur nos relations avec les pays voisins et limitrophes, tant africains qu’arabes, je tiens à préciser que celles-ci s’inscrivent dans le respect mutuel ainsi que le principe de non-ingérence dans les affaires internes. Elles sont également fondées sur la solidarité forgée dans le cadre de la révolution des Printemps arabes qui a pris naissance en Afrique du nord, notamment en Libye, en Égypte et en Tunisie. Je tiens à exprimer mes remerciements au gouvernement français qui s’est tenu à nos côtés dès le début de la révolution. La France nous a aidé à mettre fin à un régime dictatorial qui a duré plus de quatre décennies.

Notre situation est toutefois différente de celle de l’Égypte et de la Tunisie. Nous avons eu recours aux armes et au combat. Nos défis sont plus importants que ceux auxquels sont confrontés ces deux pays. Contrairement à ces derniers, la Libye n’était pas dotée de véritables institutions. Nous essayons toutefois de nous coordonner sur le plan politique et sécuritaire. En effet, notre sécurité est liée à celle des pays voisins, au sud comme au nord de la Méditerranée.

S’agissant de l’Algérie, celle-ci n’a pas apporté son soutien à la révolution libyenne du 17 février, en raison du principe de non-ingérence. Je le comprends alors même que la Libye s’était tenue aux côtés de l’Algérie dans les années cinquante lors de sa guerre d’accession à l’indépendance. Depuis lors, nous lui avons tendu la main et initié des négociations afin d’établir des relations politiques fructueuses. Nous partageons la même volonté politique de garantir la sécurité à nos frontières. L’Algérie s’est déclarée favorable à la mobilisation de tous les moyens à cette fin, notamment en matière de formation spécialisée. De même avec la Tunisie, plusieurs rencontres ont été organisées entre les autorités de nos pays. Celle tenue à Ghadamès, ville frontalière, a réuni les premiers ministres tunisien, algérien et libyen. Elle a permis de confirmer l’accord entre l’Algérie et la Tunisie en matière de surveillance des frontières visant à mettre fin à la contrebande des armes, à la traite des êtres humains et à l’immigration clandestine.

Le premier ministre libyen a également été reçu en visite officielle au Niger, au Soudan et au Tchad. Ces relations se sont poursuivies au niveau des chefs d’État. Elles ont permis à ces pays d’exprimer un message politique fort quant à leur volonté de coopérer à la sécurisation des frontières. Toutefois, en dépit de cette affirmation politique, il apparaît que ces pays ne disposent pas des moyens suffisants pour garantir effectivement une force de défense ou de surveillance de leurs frontières. En toute sincérité, si un problème devait surgir à l’avenir et affecter la sécurité de la Libye, il viendrait du Sud, qui souffre d’un manque de développement et de sûreté auquel s’ajoutent les luttes tribales qui perdurent, notamment entre les Touaregs, les Toubous, les Zaouïas…. L’ancien régime a laissé ces populations se déplacer sans garantir le respect de leurs droits. Il est temps que celles-ci prennent désormais la parole, s’expriment publiquement et revendiquent leurs droits. Le développement ainsi que la sécurité de la région Sud sont donc cruciaux.

En ce qui concerne les relations au sein du Maghreb arabe, nous sommes heureux de constater l’évolution favorable de la position de l’Union européenne, ces deux dernières années, face à l’Union du Maghreb arabe. Nous souhaitons la mise en oeuvre d’une coopération fructueuse. La meilleure façon d’y parvenir consiste, néanmoins, à ne pas aborder certains dossiers, objets des oppositions politiques, tels que le Sahara occidental ou les problèmes de frontières entre le Maroc et l’Algérie. Nous souhaitons oeuvrer pour la coopération dans les domaines ayant déjà donné lieu à des accords, tels que l’économie, le tourisme, les douanes, le commerce, la culture ou encore la justice.

Quant à l’intervention française au Mali, nous sommes conscients que la révolution libyenne a conduit un grand nombre d’éléments appartenant aux forces de l’ancien régime à quitter le pays pour se rendre au Nord-Mali. Ces derniers constituent depuis lors une menace pour la région. La question malienne n’est pas récente. La lutte du Nord pour son autonomie date des années soixante. Les extrémistes profitent aujourd’hui des difficultés du gouvernement malien afin de dominer non seulement le Nord-Mali mais aussi le Sud-Mali. Nous avons, à plusieurs reprises, exprimé dans le cadre régional et lors de réunions qui se sont déroulées à Bamako, au Niger ou en Mauritanie, notre souhait de privilégier le dialogue entre tous les partenaires. L’action des extrémistes au Nord-Mali afin d’occuper la région Sud a constitué une surprise. L’intervention française est arrivée au bon moment. Elle traduit la maturité et le savoir-faire politique français. Elle a permis d’empêcher les extrémistes de parvenir à Bamako dont l’enjeu allait au-delà du Nord du Mali pour concerner le pays entier et éventuellement ses voisins. La position de la Libye a été, dès la première heure, de soutenir la France pour qu’elle puisse bénéficier de l’appui d’autres pays.

Nous nous sommes préoccupés des étapes suivant cette intervention militaire. Il serait important d’organiser une mission d’information au Nord-Mali afin de promouvoir la diplomatie préventive et de garantir la stabilité du pays. Ce dernier doit se reconstruire avec l’aide des pays amis afin de mettre en place des institutions solides et de renforcer l’appareil judiciaire, l’armée et la police. L’État malien doit pouvoir ouvrir le dialogue avec les partenaires qui ne sont pas liés au terrorisme afin de résoudre ses problèmes internes et conserver son intégrité territoriale.

En ce qui concerne l’Union européenne, nous sommes heureux qu’elle ait, en tant qu’organisation régionale active, apporté son soutien à la Libye après l’adoption de la résolution 1970 tant sur le plan humanitaire que logistique ou politique. Nous nous félicitons de l’étude d’évaluation sur la surveillance des frontières qu’elle a réalisée. Nous négocions actuellement avec elle afin de hâter l’envoi d’experts européens en ce domaine.

Je tiens à vous rassurer sur la nature du partenariat qui nous lie à l’Union européenne. Elle est stratégique. Nous devons concentrer nos efforts sur la dimension sécuritaire. En effet, on ne peut concevoir de véritable coopération, des investissements, et l’instauration de la stabilité, en l’absence de sécurité. Les États membres de l’Union européenne ont une responsabilité particulière en termes de soutien à la Libye pour la mise en oeuvre des institutions judiciaires nécessaires à l’instauration d’un nouveau régime démocratique. C’est pourquoi nous demandons à toutes les organisations internationales et régionales de renforcer leur coopération technique avec la Libye afin de permettre la constitution d’un tel système de justice transitionnelle. Un travail de réconciliation sera également nécessaire, pour y parvenir un système de justice transitionnelle est indispensable.

Concernant le dialogue 5+5, la Libye en constitue un acteur, comme en témoigne la dernière rencontre des chefs d’État à Malte, au cours de laquelle nous avons rencontré le président de la République, François Hollande. Ce dernier a joué un rôle essentiel en termes de promotion d’un partenariat solidaire entre les pays du 5+5. La déclaration de Malte doit être considérée comme une étape positive sur la voie de la coopération.

Nous oeuvrons pour devenir un membre agissant de l’Union pour la Méditerranée car ce qui relie les pays de la Méditerranée dépasse les relations politiques et s’étend historiquement, depuis Rome, aux relations économiques et commerciales. Nous voulons instaurer un partenariat libo-méditerranéen efficace et agissant et participer à l’UPM.

Pour ce qui concerne les relations bilatérales, la France est notre deuxième partenaire commercial après l’Italie. Sur le plan politique, nous avons des relations particulières. Celles-ci ont été fluctuantes sous l’ancien régime, mais nous avons apprécié la nouvelle façon de faire de la France, qui s’est trouvée en pointe pour soutenir la révolution du 17 février, au moment où d’autres doutaient. Cela constitue les bases d’une nouvelle relation politique qui est approuvée par le peuple.

A la suite de la récente visite du ministre des affaires étrangères, M. Fabius, en Libye, nous avons échangé nos points de vue pour coordonner nos positions politiques, renforcer nos relations commerciales et économiques, évoquer nos relations en matière de défense et de sécurité, coopérer dans le domaine de l’éducation et de l’enseignement, notamment par l’accueil d’étudiants libyens dans les universités françaises.

La priorité est naturellement l’aide dans le domaine de la sécurité et de la défense qui passe par des actions de formation spécialisée en France ou en Libye et la fourniture des mécanismes et des technologies avancées pour la surveillance de nos frontières maritimes et terrestres.

Dans les domaines économiques, nous souhaitons le retour des sociétés françaises dans le domaine de l’exploration pétrolière notamment, mais au-delà nous voulons favoriser les rencontres entre hommes d’affaires. Nous avons une vision nouvelle du développement économique de la Libye qui recèle de très grandes opportunités. La Libye est un État riche de son pétrole mais c’est aussi un État pauvre qui dispose de peu de capacités et doit investir pour relancer son économie notamment dans le domaine de la sécurité, des communications et des transports, et de la défense. Il ne faut pas laisser passer ces opportunités, beaucoup d’entreprises étrangères se positionnent et la compétition sera vive. Nous avons besoin de diversifier l’économie libyenne. Elle peut en outre constituer une porte d’entrée vers l’Afrique.

Mais cette vision ne doit pas se limiter à son stade actuel, c’est à un partenariat stratégique avec la France que nous aspirons pour l’avenir.

J’en viens maintenant à nos besoins de coopération en matière institutionnel et à l’aide que pourrait-nous apporter le Sénat. Comme vous le savez, le Congrès général national est entré en fonction, mais les parlementaires ont besoin d’une période d’apprentissage et d’une ouverture vers les parlements d’autres pays. Ils ont besoin de conseils sur la façon de remplir leur rôle d’instance législative. Ils n’en ont aucune expérience en matière de contrôle et de législation. Ils sont élus et légitimes, mais ils ont besoin d’échanges et de visites sur le terrain dans d’autres parlements. J’encourage vivement les sénateurs à rester en contact avec le Congrès, surtout maintenant, dans une période critique, où va commencer le travail de rédaction de la Constitution. Nous avons une pleine confiance dans les compétences du Sénat en la matière et à ses connaissances dans ce domaine. J’encourage ce genre de coopération, car il s’agit d’échanges et non d’ingérence. Une commission va être nommée prochainement pour rédiger la Constitution, nous avons besoin de vos conseils.

M. Jean-Louis Carrère, président. – A la suite de notre mission en Libye, j’ai obtenu l’accord de principe du président du Sénat pour mettre en place une coopération et vous aider notamment dans la mise en place de vos institutions. Il vous revient de nous faire connaître vos besoins, le moment venu, soit directement soit par le Quai d’Orsay. J’ai gardé le souvenir que votre président était très préoccupé par la rédaction de ce texte fondamental qui est un préalable à l’organisation de futures élections et de la poursuite de la démocratisation.

Mme Michelle Demessine. – J’ai eu la chance de faire partie des premiers parlementaires français à rencontrer des membres du Parlement nouvellement élus. J’ai compris qu’il existait une grande attente d’un partenariat avec la France pour des transferts de savoir-faire institutionnel et j’ai constaté une véritable avidité à apprendre. Je me réjouis que le Parlement comprenne environ 30 % de femmes, elles attendent beaucoup de nos échanges pour savoir quel rôle particulier elles peuvent jouer et sont intéressées par la façon dont nous avons mis en place une délégation aux droits des femmes. Un groupe de femmes parlementaires devaient se rendre en France, nous nous apprêtions à les recevoir, mais ce rendez-vous a été annulé. Il en a été de même pour un groupe de fonctionnaires ce qui montre une certaine difficulté à mettre en place ces échanges. Nous souhaitons vraiment les recevoir et sommes disponibles pour les accueillir. Le groupe d’amitié France-Libye est très favorable à ces échanges.

En matière de sécurité, nous avons constaté les importants progrès réalisés à Tripoli mais qu’en est-il dans les autres villes ? Pour le développement des échanges économiques, il est important de pouvoir garantir la sécurité aux entreprises et à leurs collaborateurs.

Vous avez évoqué l’élaboration d’une Constitution. Y-a-t-il un calendrier ?

S’agissant des relations économiques bilatérales, la France, première destination touristique dans le monde, dispose d’une expérience et d’une expertise, elle peut donc mettre en oeuvre une coopération en matière de formation et en matière d’ingénierie, notamment pour la mise en valeur des sites archéologiques, comme elle l’a fait avec la Jordanie. Mais un point important et presque préalable pour le développement des échanges me paraît être la mise en place d’une liaison aérienne directe entre nos deux pays.

M. André Dulait. – Le projet de « Grande Rivière » sera-t-il poursuivi ? Il a semble-t-il une grande importance pour l’autonomie alimentaire de la Libye.

Plus d’une centaines d’entreprises françaises travaillaient en Libye avant la révolution. Quelle est leur situation ? Les contrats sont-ils maintenus ou remis en cause ?

M. Mohamed Emhemed Abdelaziz ministre des affaires étrangères et de la coopération internationale de Libye. – Comme vous le soulignez, la situation s’est améliorée à Tripoli. La seule ville où subsistent des problèmes de sécurité est Benghazi. Une mission du Premier ministre s’est rendue sur place pour étudier les raisons de l’insécurité à Benghazi et dans la partie orientale de la Libye, et les causes de cette tension qui a abouti au meurtre de l’ambassadeur des États-Unis et de trois autres personnes, mais aussi de plusieurs hommes politiques libyens. Nous avons identifié trois raisons principales. D’abord, Benghazi et la région orientale ont été marginalisées par le régime précédent, à la suite d’un premier coup d’État qui a eu lieu dans la Montagne verte. Le régime a puni Benghazi, cette partie du territoire est devenue plus pauvre que le reste du pays, et manquait cruellement de services publics. Il y a donc eu beaucoup d’attentes créées par la révolution et le gouvernement transitoire, dont j’étais membre, n’a pas répondu suffisamment vite et de manière aussi efficace que les habitants l’auraient souhaité. Ensuite la région, notamment celle de la ville de Derna, est historiquement le cadre de mouvements religieux, plus extrémistes et en lien avec des organisations extérieures à la Libye. Le gouvernement souhaite contenir cette menace et pour cela ouvrir un dialogue pour intégrer ces communautés à la politique nationale. Il y a enfin, certaines réalités historiques, peu de temps avant le déclenchement de la révolution, le fils de Kadhafi, Seif al-Islam, est intervenu pour faire libérer 240 membres de ces communautés qui avaient été emprisonnés pour de nombreuses années. Ils ont participé à la révolution, ils avaient des revendications, ils voulaient participer à la vie politique et dicter leurs conditions. Nous devons agir avec prudence, essayer de les intégrer plutôt que les exclure. Nous avons actuellement certaines craintes car la dimension sécuritaire de la Libye est très dépendante de la dimension sécuritaire de ses voisins en Égypte et en Tunisie, il existe des échanges, des alliances, des communications entre ces groupes islamistes, il faut en tenir compte pour traiter cette question de manière adéquate.

Nous souhaitons que les entreprises étrangères reviennent le plus vite possible. Ce sera un signal fort donné aux citoyens libyens que de voir celles-ci participer à la reconstruction et grâce aux créations d’emploi, nous pourrons ainsi plus facilement intégrer les combattants pour la liberté. C’est une de nos préoccupations en matière de sécurité que de reconvertir ces combattants et d’assurer leur désarmement, mais, ce faisant, nous devons les aider car, au-delà de la révolution, ils ont permis de préserver la sécurité, alors que nous ne disposions ni de police, ni d’armée. Certains intégreront l’armée ou la police, d’autres ont des projets d’étude, de formation ou d’investissement.

Nous ne nous sommes pas fixé de calendrier pour aboutir à la rédaction d’une Constitution. Nous avons besoin d’une aide, et celle du Sénat français sera la bienvenue dans le cadre de sa coopération avec le Conseil général national (CGN), pour nous accompagner dans la mise en place du processus. C’est une attente des Libyens, comme de la communauté internationale. Cela ne sera pas perçu comme une ingérence. L’aide et les échanges avec des experts internationaux et les membres de la commission qui sera chargée de l’élaboration de la Constitution est indispensable, avant le début du travail de rédaction. Nous savons bien que dans ce processus, il existe des principes génériques qui se retrouvent dans toutes les constitutions du monde en plus des dispositions qui seront particulières à la Libye, et notre commission devra faire preuve d’ouverture et de compréhension de ces principes, comme les principes de droit de l’homme, auxquels il faudra intégrer les spécificités libyennes.

Dans le domaine touristique, la Libye dispose d’un immense potentiel, non seulement les sites archéologiques, mais aussi le désert et 2000 km de côtes. Je pense qu’il serait effectivement utile que des rencontres soient organisées avec le ministre libyen du tourisme, que je vais encourager en ce sens, que nous regardions effectivement comment développer son secteur touristique pour qu’il devienne une véritable industrie et comment vous avez pu apporter une aide efficace à la Jordanie en ce domaine.

S’agissant de la venue en France d’un groupe de femmes parlementaires, le projet n’a pu être mis en place en raison de la difficulté à obtenir des visas depuis l’Allemagne, mais il n’y a aucune hésitation de notre part, nous sommes désireux de développer ces échanges. En Libye, de nombreuses organisations non gouvernementales sont présidées par des femmes, elles ont une volonté de participer à la vie politique. Nous espérons pouvoir développer l’autonomisation de la femme libyenne afin qu’elle puisse participer à la vie politique.

Le projet de fleuve artificiel, qui est très ancien, puisque les premières études sont antérieures à 1969, suscite de nombreuses interrogations. D’abord sur sa durée de vie qui selon, certains experts, ne dépasseraient pas 50 ans, ensuite son coût très élevé puisqu’il dépasse le 25 milliards de dollars à mettre en comparaison avec l’installation d’usines de dessalement de l’eau de mer qui fourniraient la même quantité d’eau douce pour un coût dix fois moins important. Nous sommes mis devant le fait accompli. Ce fleuve artificiel existe et doit être entretenu. Nous dépendons de ce fleuve pour nos ressources en eau. Enfin nous craignons des effets négatifs, par exemple des palmeraies importantes (500 000 arbres) installées plus au sud, dépérissent par manque d’eau. Les conséquences écologiques doivent être évaluées. Nous suivons cette question de près.

S’agissant des entreprises étrangères qui étaient présentes, nous les invitons à revenir pour poursuivre leurs projets. Mais certains retours seront soumis à condition, notamment pour ce qui concerne le paiement de dommages-intérêts par rapport à une perte de biens, car nous considérons qu’il y a eu un cas de force majeure. Il convient de gérer cela en partant des contrats qui ont été signés et de l’examen des obligations réciproques. Nous pourrions travailler parallèlement à la reprise d’activité, notamment pour celles qui sont déjà fortement engagées dans la réalisation de leur projet et à l’examen des contrats. Enfin, certains contrats ont été signés, dont la négociation a été viciée par la pratique importante de la corruption endémique et à grande échelle sous l’ancien régime, et s’avèrent très coûteux.

M. Christian Cambon. – Comment appréciez-vous le risque d’un retour des terroristes du nord du Mali avec l’intervention de l’armée française et la menace de déstabilisation sur le territoire libyen ?

Quel bilan faites-vous de l’aide apportée par la communauté internationale, notamment à la suite du partenariat de Deauville, mais aussi de celle de la France et de l’Union européenne ? Avez-vous formulé des besoins particuliers au cours de votre visite à Paris?

Mme Josette Durrieu. – La surveillance de vos frontières est un enjeu important. Quel dispositif opérationnel envisagez-vous de mettre en place ?

Les stocks d’armes de l’ex-armée libyenne sont-ils sous contrôle ?

Où en sont la reconversion et le désarmement des milices qui ont participé à la révolution et assuré, d’une certaine façon, la sécurité en attendant la reconstitution d’une armée et d’une police ?

S’agissant de la préparation de la Constitution, je vous suggère de solliciter l’appui de la Commission de Venise qui est un organe d’expertise émanant du Conseil de l’Europe, mais qui compte 58 membres, y compris le Maroc et la Tunisie. Quel est votre modèle de démocratie et donc votre modèle institutionnel ?

M. Jean-Louis Carrère, président. – Nous disposons au Sénat de personnes compétentes pour répondre à vos demandes multiples et vous aider à faire émerger les questionnements nécessaires et préalables à la préparation de votre Constitution.

M. Mohamed Emhemed Abdelaziz ministre des affaires étrangères et de la coopération internationale de Libye. – Il est clair que le retour éventuel des extrémistes en provenance du nord du Mali constitue une menace. Des milliers de mercenaires de l’ancien régime sont partis avec leurs armes, nous craignons que certains reviennent. Des mesures préventives ont été prises pour l’éviter, car ces mercenaires pourraient bénéficier de la solidarité tribale dans le sud de la Libye. Il y a des liens entre les tribus Touaregs, Toubous et Zaouïas et de fortes traditions de solidarité et d’accueil. Nous essayons de mettre en place une coopération avec nos amis et voisins, mais nous sommes conscients de nos faiblesses, la frontière entre le Niger et le Libye est ouverte et peu surveillée. Il importe de procéder de manière préventive, avant que le danger ne se concrétise, notamment par le renseignement. Certaines informations nous laissent entrevoir la possibilité d’une connexion entre ces groupes et certains éléments appartenant à l’ancien régime. Compte tenu de son histoire, la France s’est toujours souciée de savoir ce qui se passait dans le Fezzan. Elle pourrait peut-être nous aider à mettre en place des moyens technologiques et de formation pour surveiller nos frontières.

Nous bénéficions d’aides initiées par le Partenariat de Deauville. Aujourd’hui même un plan d’action a été adopté en matière de sécurité, de justice et de l’état de droit. Nous nous attendons à une mobilisation importante de fonds du Partenariat de Deauville pour financer sa mise en oeuvre.

Avant la chute de l’ancien régime, les stocks d’armes ont été utilisés par les révolutionnaires, mais aussi par des groupes à orientation religieuse. Des armes et des munitions ont donc été prélevées. Aujourd’hui, nous bénéficions de l’aide technique de l’Allemagne pour la collecte et le stockage de ces armes, et également de celle des États-Unis. La question est aussi en lien avec la reconversion des combattants pour la liberté.

C’est une question difficile que nous nous efforçons de traiter. Certains souhaiteraient être intégrés dans l’armée, d’autres dans la police. Certains voudraient reprendre des études, y compris à l’étranger. D’autres ont des projets professionnels ou d’investissement et apprécieraient une aide. Nous avons créé une instance spécialisée pour mettre en place une base de données qui regroupe 50.000 noms et recueillir les demandes de reconversion. Nous espérons pouvoir satisfaire les demandes. Le chef du gouvernement a également envisagé la constitution d’une garde nationale qui relèverait de la défense et qui pourrait constituer une valeur ajoutée pour assurer des missions de sécurité et dans le cadre de la reconstruction.

La Commission de Venise qui est une organisation non gouvernementale constitue un groupe d’experts de haut niveau. Bénéficier de son aide pourrait être appréciable, je vais suggérer à la commission des affaires juridiques de notre Parlement d’ouvrir un dialogue avec elle.

M. Jean-Louis Carrère, président. – S’agissant de la surveillance des frontières, je note avec intérêt et satisfaction vos propos sur la surveillance et la sécurisation des frontières et je vous suggère d’examiner ce que les entreprises françaises ont pu réaliser en s’appuyant sur des technologies nouvelles au Maroc et en Arabie saoudite et qui donne satisfaction. J’espère que nos relations resteront de qualité et que nous pourrons vous apporter l’aide que vous méritez.

Source: Sénat

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