La grande misère de l’Aviation légère de l’armée de terre

LE colonel Royal, auteur du texte ci-contre, est le propagandiste attitré de l’armée de terre et de son chef d’état-major. A ce titre il « communique » selon les canons du genre, donnant dans la langue de bois et le sophisme avec une rare morgue. Il suffit de le contredire au téléphone pour qu’il vous raccroche au nez… Quand nous citons des rapports parlementaires incontestables qui soulignent régulièrement, depuis dix ans environ, la grande misère de l’Aviation légère de l’armée de terre, la « situation alarmante » de sa flotte d’hélicoptères et d’avions légers, le colonel Royal nous accuse de pratiquer un « amalgame » coupable entre sécurité des vols et manque de moyens, carence en pièces de rechange, disponibilité des appareils et destin des équipages. Il est bien évident qu’il n’y a aucun lien entre ces différents paramètres et qu’il est tout à fait normal de voir nos militaires partir en opérations à bord de machines dont certaines ne devraient plus s’illustrer hors du musée de l’Air. 

Si les Cougar n’ont que 18 ans d’âge en moyenne, les pauvres vieux Puma en ont 34, quant aux Transall, dont la mise en service remonte à 1967, ils ne valent guère mieux. Leur maintien en conditions opérationnelles est de plus en plus difficile. Ceux qui sont en opérations extérieures (opex) ne volent qu’au prix de la cannibalisation des appareils cloués au sol en métropole. C’est qu’il faut utiliser au maximum le potentiel de ces avions avant de les retirer du service, et pour cause, le premier vol de l’A-400 M n’est pas attendu avant juin 2009, avec beaucoup de chance. D’ici à 2015, date originellement prévue de l’adieu aux armes des Transall, il faudra rudement bricoler ! 

Pour une heure de vol en Puma, il faut 12 heures de mécanique au sol… Moralité, les pilotes de l’Alat volent de moins en moins, font de la paperasse ad nauseam, du contrôle de masques à gaz ou d’extincteurs, du nettoyage des hangars, et du tableau Excel à tire-larigot, en bons « sous-offs » de la « bife ». Pas bon pour le moral… Et ce même dans l’unité d’élite de l’Alat, le Daos (Détachement Alat des opérations spéciales) dont faisait partie le Cougar qui s’est malheureusement écrasé au Gabon. 

Lorsqu’ils sont en métropole, nombre d’équipages se retrouvent « hors carte » faute d’avoir assez volé pour être opérationnels… Or un pilote, pour disposer de tous ses moyens, doit voler réellement au moins 180 heures, on en est loin ; à moins de passer tout son temps en opérations extérieures. De fait, l’Alat manque de pilotes… opérationnels, ou pas. Et ceux qui parviennent à maintenir administrativement leur « carte », déplorent manquer d’heures de vol d’entraînement au combat. Les militaires s’en plaignent amèrement et témoignent de leur « blues » sur nombre de sites spécialisés, d’amateurs de voilures tournantes, de fanas d’hélicos ou de « fanas-mili ». Là ils peuvent s’exprimer sans risque de représailles de leur hiérarchie. De jeunes retraités témoignent aussi de leur désenchantement et des vétérans comparent le triste présent de l’Alat à leur expérience… 

Pour en revenir au matériel, y compris le plus récent, Tigre, Cougar ou Caracal, il est victime de l’obsolescence des Puma entre autres Gazelle et Fennec ; il subit une surexeploitation qui en accélère le vieillissement. 

On est là dans un cercle non seulement vicieux mais absurde. Faute de moyens, pour faire des économies sur les budgets de la Défense, on retarde les programmes de modernisation des appareils. Le maintien en service d’antiquités revient de plus en plus cher, beaucoup plus coûteux en fait, que les économies réalisées par les coupes budgétaires, et l’usure prématurée des appareils plus récents induit là encore des surcoûts… Comment imaginer qu’un tel contexte global ne se répercute pas sur la « sécurité » ? Il faut être officier très-supérieur, avec voiture de fonction, chauffeur et spécialisation en opex cocktails & petits-fours pour oser soutenir une thèse pareille ! 

Les militaires de l’Alat, pilotes et « rampants », sont des hommes de passion et de courage. Les faire travailler dans de telles conditions est indécent. Leur dévouement et leur abnégation n’en sont que plus admirables. 

Quant aux propagandistes en uniforme, les dysfonctionnements en cascade qui affectent nos forces armées, du mitraillage du public à Carcassonne – « Rien de nouveau sous le soleil » selon le colonel Royal – aux péripéties de l’opération de libération des otages du Ponant, ils campent sur leurs certitudes baroques, la fiction d’une Défense française à la pointe de la technologie et de l’efficacité. Las, quand l’obsolescence des matériels se conjugue avec des besoins opérationnels en hausse, on flirte avec l’impossible, la « rupture », mais pas celle que le président de la République appelait de ses vœux lors de la campagne que l’on sait, la « rupture capacitaire ». La faillite, en termes civils. 

En dernier lieu, pour être précis, quand le colonel Royal affirme qu’en 20 ans « le parc de Cougar n’avait jamais connu le moindre accident… », histoire de démontrer que cet appareil est fiable, ce que nous ne contestons pas, il omet de citer, le crash, le 16 août 2005, de deux Cougar HT21 dans l’ouest de l’Afghanistan, le premier tuant ses 17 occupants. « Ils sont espagnols », a précisé le colonel Royal lorsque nous lui avons cité ce précédent… C’est dire. 

                                                                                  Philippe Le Claire

Source: L’Union du 23 janvier 2009

 L’Adefdromil remercie le journal l’Union qui a autorisé la reproduction de cet article sur son site.

 Lire:

Cougar : chronique d’un crash annoncé

Rectification à l’article paru dans l’union le 20 janvier et intitule « Cougar : chronique d’un crash annoncé ». Colonel Benoît Royal, chef du Sirpa terre

La grande misère de l’Aviation légère de l’armée de terre

Polémique autour du crash de l’hélicoptère au Gabon

À lire également