Un légionnaire succombe sous les coups de ses chefs

Il n’aura fallu que six mois au ministère de la Défense pour saisir la justice – militaire-, après la mort d’un légionnaire frappé à coups de crosse par des hommes du 2è REP (régiment étranger de parachutistes) lors d’un exercice. Le ministre Hervé Morin ayant donné son feu vert pour des poursuites, le procureur du tribunal aux Armées l’a juré au « Canard »: il devrait ouvrir, cette semaine, une information judiciaire. Dans son collimateur, quatre lascars, tous militaires: un jeune lieutenant frais émoulu de Saint-Cyr, deux sous-offs et un auxilliaire sanitaire.

Le 5 mai 2008, lors d’une marche d’entraînement à Djibouti, « sous le soleil brûlant d’Afrique », comme dans la chanson fétiche des képis blancs, le soldat Tvarusko se plaint d’une douleur au genou et demande à s’arrêter. Mal lui en prend. Voici le récit des dernières heures de ce jeune Slovaque, reconstituées par le colonel Cremades, adjoint du patron des forces françaises à Djibouti et chargé de l’enquête de commandement.

Selon cet officier, peu suspect d’antimilitarisme primaire, le tire-au-cul est d’abord fermement invité à la fermer. A 14h30, au bord de l’épuisement, il refuse d’avancer. Son caporal lui vient alors en aide. A sa manière: quelques bons coups de rangers dans les fesses et d’autres coups à main nue. Mais le légionnaire insiste bêtement: il demande à être évacué en ambulance. Agacé par ce clampin qui retarde la « colonne magnifique » (toujours la chanson), le lieutenant vole au secours…du sous-off et se met à caresser les côtes de l’emmerdeur à coups de poing. Tvarusko réclame à boire. Le jeune officier lui vide alors sa gourde sous le nez.

Raclée collective

Encouragé par la leçon de commandement que vient d’administrer le lieutenant, le sous-off se lâche. Tvarusko est remis sur ses pieds mais trouve encore le moyen de jouer la comédie: « Au bout de 200 mètres, lit-on dans le rapport, il tombe à terre, en gémissant, et se met en position foetale. Il reçoit à nouveau des coups de pied de la part du caporal. » La colonne reprend sa marche. Des camions d’une autre section passant par là, Tvarusko fait soudain demi-tour. Voyant son état, ses camarades lui proposent un peu de flotte. Aussitôt, le caporal intervient et « le frappe à plusieurs reprises avec la crosse de son Famas ». Notamment « au visage », tient à préciser le colonel enquêteur, qui poursuit: « Ils repartent, le caporal poussant Tvarusko. » Lequel « finit par s’écrouler, face en avant, dans un buisson d’épineux. Le caporal est à trois mètres de lui, sans rien faire pour le dégager ». C’est la fin. Diagnostic officiel: le légionnaire « décède vraisemblablement des suites d’un arrêt cardiaque consécutif à un coup de chaleur ». Evacué à temps et pris en charge, Tvarusko serait sans doute encore là pour s’extasier sur l’amitié virile au sein du 2°REP.

Au bout d’un mois, son corps a été rapatrié. Sa famille, affirme le ministère, a touché une assurance-décès. Le légionnaire a même eu droit à une belle messe, précise le service de presse de l’armée de terre.

Amen!

Soldats perdus

Six mois plus tard, le lieutenant, le caporal et ceux qui lui ont prêté la main sont toujours militaires, et en liberté. Suspendus, ils vaquent, « isolés dans des fonctions administratives », expliquent les grands chefs. Le « conseil d’enquête », instance interne, n’a pas pu faire moins que préconiser la radiation du lieutenant et une résiliation du contrat pour le caporal. Des suspensions provisoires pour les deux autres.

Quand Hervé Morin, lui, a été informé, il a poussé un hurlement: « Foutez-moi tout ce beau monde dehors! » Comme il y va…C’est vrai que, dans le civil, pour « un fait divers » de ce genre, tous auraient été illico mis en examen, voire envoyés réfléchir à la fraternité des armes dans une prison surpeuplée, pour répondre à la légitime émotion populaire…

Comment est-ce possible? Le président de la République n’a pas encore proposé de loi contre les coups de crosse de Famas?

                                                                                                Brigitte Rossigneux

Source: « Le Canard enchaîné » du mercredi 19 novembre 2008

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