Règlements de comptes à haut niveau dans l’armée de terre

Plusieurs commissaires de l’armée de terre, « richement promus » voici maintenant plusieurs années, saisissent le Conseil d’Etat lorsque vient le moment fatidique de « payer » leurs galons pentafilaires monochromes argent ou leurs étoiles d’or obtenues « à titre conditionnel », en se voyant dégagés des cadres sans obtenir le moindre avantage post activité, telle que : un siège à la commission des recours des militaires, un poste à la société nationale immobilière ou toute autre pantoufle dorée permettant un cumul financier avec leur pension militaire de retraite ou solde de réserve d’officier général versée dans la 2ème section des officiers généraux.

Dans l’ordre chronologique de la contestation :

Le commissaire colonel Jean-Pierre, responsable de haut niveau classé hors échelle, conteste son conditionnalat.

Les faits :

Alors commissaire lieutenant-colonel de l’armée de terre, Jean-Pierre a demandé au ministre de la défense à être « placé en position de retraite » à compter du 1er juillet 2008 « sous réserve d’avoir été promu au grade de commissaire colonel au plus tard le 1er juillet 2002 ».

En matière d’avancement, c’est bien connu, une bonne négociation sur les conditions de son départ de l’armée peut l’emporter sur les mérites détenus.

La chance sourit à Jean-Pierre: il est promu à ce grade le 1er avril 2002. 

La soupe étant bonne et le galon acquis,  le 29 août 2007, Jean-Pierre adresse un courrier au ministre de la défense précisant qu’il revient sur sa demande initiale et entend servir jusqu’à la limite d’âge de son grade, soit jusqu’au 21 novembre 2010…Il est vrai que depuis mars 2005, la condition militaire a évolué : le statut général des militaires a été sommairement dépoussiéré et de nouvelles grilles indiciaires ont vu le jour. Certains prétendent même que ces dernières sont extrêmement favorables aux officiers supérieurs.

Face à ce revirement de situation, le ministre de la défense ne veut pas perdre la face. Jean-Pierre est conditionnel, il quittera l’armée !

Le 11 février 2008, le ministre de la défense prend un arrêté par lequel il fait savoir à Jean-Pierre qu’il « agrée la (sa) demande de démission », qu’il sera radié des cadres le 1er juillet 2008 et admis à faire valoir ses droits à la retraite.

Mais là où le bât blesse, c’est que Jean-Pierre n’a pas rédigé de demande de démission ! Visiblement, au moment de la négociation de son conditionnalat, le gestionnaire a omis de demander à Jean-Pierre ce document très important. Peut-être pensait-il qu’un colonel ne pouvait pas renier ses engagements ?

Quoiqu’il en soit, Jean-Pierre est bien décidé à poursuivre sa carrière jusqu’à son terme. Il décide donc de saisir la Commission des recours des militaires sans grand succès d’ailleurs, puisque le ministre de la défense par décision du 5 mars 2008, refuse d’abroger sa décision du 17 septembre 2007.

Sûr de son bon droit, Jean-Pierre tente sa dernière chance. Il adresse le 2 mai 2008 une requête au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat. Il demande au juge des référés du Conseil d’Etat d’ordonner, sur le fondement de l’article L.521-1 du code de justice administrative, la suspension de l’exécution de la décision du 5 mars 2008 par laquelle le ministre de la défense, après avis de la commission des recours des militaires, a refusé d’abroger sa décision du 17 septembre 2007 rejetant sa demande tendant à ne pas être radié des cadres à compter du 1er juillet 2008 et à servir jusqu’à la limite d’âge de son grade.

Dans son ordonnance du 6 juin 2008, le juge des référés, a considéré en premier lieu « que le ministre ne saurait soutenir que, « depuis [son]arrêté du 11 février 2008 », que l’intéressé a contesté dans les conditions rappelées ci-dessus, la demande de suspension présentée par Jean-Pierre serait sans objet et, par suite, irrecevable ; en deuxième lieu que « compte tenu des modifications importantes dans les conditions de vie de Jean-Pierre  que son départ à la retraite provoquerait dès le mois de juillet 2008 et eu égard aux effets d’une telle mesure et aux problèmes que poserait sa réintégration dans les cadres dans l’hypothèse où elle serait annulée par le Conseil d’Etat statuant au contentieux, la condition d’urgence doit être regardée comme remplie ; en troisième lieu que le moyen tiré de ce que Jean-Pierre ne pouvait légalement être rayé des cadres et admis à faire valoir ses droits à la retraite dès lors qu’il avait retiré sa demande initiale et qu’il n’a pas atteint la limite d’âge de son grade est de nature à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux sur la légalité de la décision litigieuse… »  et a suspendu la décision du ministre de la défense du 5 mars 2008.

Jean-Pierre est en activité de service, dans l’attente du jugement définitif. Il est actuellement « chargé  de mission », mission créée pour lui bien entendu, puisqu’il faut bien obéir au juge des référés.

(CE n°315857, juge des référés, du 6 juin 2008)

Le commissaire général de brigade Christian, responsable de très haut niveau, conteste son conditionnalat

Les faits :

Par décret du Président de la République en date du 4 juillet 2005, Christian, alors commissaire général à la direction centrale du commissariat de l’armée de terre, a été, à sa demande et en application des dispositions du IV de l’article 89 de la loi du 24 mars 2005, promu au grade de commissaire général de brigade à compter du 1er septembre 2005 et admis dans la deuxième section des officiers généraux à compter du 1er septembre 2008.

Par courrier du 6 novembre 2007, il a demandé à être maintenu en activité jusqu’à la limite d’âge de son grade, soit jusqu’au 14 octobre 2010.

Le 21 décembre 2007, le ministre de la défense a refusé cette demande.

Le 19 février 2008, Christian a saisi la Commission des recours des militaires.

Finalement, Par décision du 5 juin 2008, prise après avis de la commission, le ministre de la défense a rejeté à nouveau la demande de maintien en activité de Christian en se fondant sur l’intérêt du service.

Par requête enregistrée le 16 juillet 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, Christian demande au juge des référés du Conseil d’Etat d’ordonner, sur le fondement de l’article L.521-1 du code de justice administrative, de suspendre l’exécution de la décision du 5 juin 2008 par laquelle le ministre de la défense, après avis de la commission des recours des militaires, a refusé d’abroger sa décision du 21 décembre 2007 rejetant sa demande tendant à ne pas être radié des cadres à compter du 1er septembre 2008 et à servir jusqu’à la limite d’âge de son grade, soit le 14 octobre 2010 ; de mettre à la charge de l’Etat le versement de la somme de 500 euros en application de l’article L.761-1 du code de justice administrative.

Christian soutient que la condition d’urgence est remplie dès lors que la décision attaquée conduit à sa mise à la retraite à compter du 1er juillet 2008 ; qu’il existe un doute sérieux sur la légalité de la décision contestée, dès lors qu’elle procède d’une discrimination en fonction de l’âge, en méconnaissance de la directive 2000/78 CE du conseil du 27 novembre 2000 et de l’article L.4139-16 du code de la défense, qu’elle est dépourvue de fondement juridique puisqu’il est revenu sur la demande de placement en deuxième section le 7 novembre 2007, ainsi qu’il en avait le droit, et que les dispositions du IV de l’article 89 de la loi du 24 mars 2005 portant statut général des militaires introduisent un mode de promotion discriminatoire et contraire aux principes statutaires. Enfin, il soutient que la décision attaquée ne saurait se fonder sur l’intérêt du service, qui n’est pas au nombre des critères prévus pour la mise à la retraite ; que l’intérêt du service n’est, en l’espèce, pas justifié, certains postes de commissaires généraux n’étant pas pourvus.

Dans son ordonnance du 30 juillet 2008, le juge des référés a considéré que Christian « ne conteste pas sérieusement avoir présenté une demande de placement en deuxième section en décembre 2004 et que cette demande a été acceptée le 4 juillet 2005 ; que la circonstance que Christian  soit revenu sur sa demande postérieurement à son acceptation mais antérieurement à son placement en deuxième section ne rend pas cette demande inexistante et n’entache pas, de ce fait, le refus litigieux d’illégalité; qu’il n’appartient pas au juge administratif de statuer sur la constitutionnalité de dispositions législatives telles que le IV de l’article 89 de la loi du 24 mars 2005 ; qu’il n’apparaît pas que cette disposition introduise une discrimination selon l’âge contraire à la directive n° 2000/78 CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail ; qu’il ne résulte pas de l’instruction qu’en se fondant sur l’intérêt du service pour refuser de maintenir Christian en activité, l’administration ait entaché sa décision d’une erreur de droit, d’une discrimination illégale ou d’une erreur manifeste d’appréciation ; qu’ainsi, en l’état de l’instruction, aucun des moyens invoqués par le requérant n’est de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de la décision litigieuse ; » et a conclu au rejet de la requête.

Dommage que la promotion conditionnelle du commissaire général Christian soit postérieure de trois jours au 1er juillet 2005 date de prise d’effet du nouveau statut général des militaires qui légalise jusqu’en 2010 l’avancement conditionnel!  Gageons que le jugement définitif sera sans surprise. Christian est chez lui en attente d’un coup de fil d’un petit copain  pour un éventuel rappel en première section.

 
(CE n° 318462, juge des référés, du 30 juillet 2008.)

Le commissaire colonel Henri, responsable de haut niveau classé hors échelle.

Les faits :

Le commissaire colonel Henri, contrairement aux deux cas précédents, ne conteste pas son conditionnalat, mais fait valoir à la date de fin de ce dernier que sa radiation des cadres doit être repoussée, car, accaparé par ses nombreuses obligations professionnelles, il n’a pas eu la possibilité matérielle en six ans de prendre ses multiples congés de fin de campagne. Il est débouté en premier et dernier ressort par le Conseil d’Etat au motif que « s’il établit qu’il a été empêché de prendre de tels congés entre 1999 et 2001 pour des raisons de service, il ne ressort pas des pièces du dossier qu’il a été ensuite privé de la possibilité de les prendre avant l’agrément contesté de sa démission ;… »

(CE 312578 du 13 octobre 2008)

On se doutait bien que le Commissariat de l’armée de terre ce n’est pas le bagne ! A la retraite et très philosophe Henri dispose maintenant de tout son temps  pour prendre enfin ses congés de fin de campagne.

Sans boule de cristal, il est permis de penser que le chef d’état-major de l’armée de terre va devoir expliquer cette pathologie du recours dont sont saisis ses commissaires « conditionnels de toute confiance » au contrôleur général des armées, directeur des ressources humaines du ministère de la défense.

                                                                                   Renaud Marie de Brassac

Cette publication a un commentaire

  1. medoc

    bonjour,
    C’est sans surprise que j’ai lu l’article ci dessus, trente quatre années de service principalement au sein du commissariat de l’air me permettent d’avoir un avis autorisé sur ces « gens là ».
    J’ai pu les observer à loisir du grade de slt à celui de gal (directeur central…) le constat concernant cette population n’est pas reluisant…..
    L’essentiel de leurs actions ne sont guidées que par un seul objectif : la sacro sainte carrière, tout est bon pour avancer, aucune bassesse, aucun scrupule, mais surtout le mépris du petit personnel (auquel j’ai eu l’honneur d’appartenir…….) tout est bon pour faire porter le chapeau par les autres!!!!
    et surtout pas de vague sinon gare.
    Celui qui n’appartient pas au « corps » n’est qu’un gueux ……… et malheur à celui qui barre la belle route étoilée, notre intérêt particulier passe bien entendu avant l’intérêt général n’est ce pas !
    comme vous le dites si bien, les petits arrangements entre amis sont de mise, et comme « nous  » sommes partout (commission de recours, tribunaux administratifs, conseil d’état, magistrature, contrôle général,franc-maçonnerie et autre …..)pourqoi se priver car un camarade bien placé saura toujours nous tirer d’embarras si besoin.
    Comme notre sabir juridico-administratif n’est compris que de nous autre, nous les « pseudos » juriste à la petite semaine de la défense, ne craignons rien et continuons de diriger nos organismes comme nous le souhaitons sans aucune restriction ni contrainte…..la vie est belle dans le commissariat.
    Bon je vais arréter là cette diatribe, elle n’est pas politiquement correcte et ne correspnd pas à la charte d’utilisation c’est vrai, elle ne sera peut-être pas publiée, tant pis…..ça fait du bien de le dire
    Messieurs les commissaires pour la grande majorité d’entre vous, vous ne méritez que le mépris !

Les commentaires sont fermés.

À lire également