« Corps retrouvé aligné. » Dans la marge de ce document de l’état-major des armées rédigé à Paris après l’embuscade, la mention apparaît à trois reprises. Interrogé par « Le Canard » un colonel du cabinet d’Hervé Morin, qui continue de démentir l’exécution de plusieurs soldats faits prisonniers, ne se risque tout de même pas à nier l’évidence : « Les corps ont été déplacés à un moment ou à un autre. » Tout est dans le « moment ». Et de dégainer une fulgurante contre-offensive. « Il est clair qu’une fois la nuit tombée, les talibans se sont approchés des corps pour piquer des effets personnels et des bouts d’uniforme. Il manque des rangers sur trois cadavres. »
Que les morts soient dépouillés, les armes et les uniformes récupérés, tout ou partie, ou revendus : là-bas, c’est la routine, quand cela est possible. Quelques stratèges en chambre s’inquiètent même à l’idée que l’on puisse voir des talibans attifés d’uniformes français.
Mais pourquoi « aligné », comme les victimes d’un peloton ? Hypothèse numéro un : « Les rebelles adorent la mise en scène, ils ont peut-être voulu faire des photos », suggère un galonné en poste au ministère de la Défense. Hypothèse numéro deux : les cadavres auraient été mis de côté pour être emportés et ensuite échangés contre des prisonniers, voire des dollars. Avant que les Occidentaux ne reviennent en force sur les lieux du combat, les rebelles en avaient dix fois le temps. Et ce document apporte la preuve que les talibans ont disposé, pendant un temps, de plusieurs soldats français, morts ou vivants.
Car au-delà des récits d’épouvante qui circulent, les témoignages concordent : tous les Français ne sont pas morts sur le coup. Le patron des armées, Jean-Louis Georgelin, qui évoquait, dès le lendemain, le « feu nourri tuant aussitôt neuf soldats dans les rangs français », a servi une version qui ne tient pas la route, même au sein des armées. Chez les civils, on appellerait ça un démenti.
Brigitte Rossigneux
Source : Le Canard enchaîné du mercredi 3 septembre n° 4584
L’état-major conteste qu’un interprète ait disparu, mais ne peut nier que les insurgés étaient parfaitement informés de l’arrivée des militaires français dans la vallée d’Uzbin. Curieusement l’état-major mentionne qu’un interprète a été tué au côté des soldats du 8°RPIMa. Exact, mais il n’en reste pas moins qu’un autre interprète avait disparu quelques heures avant le départ des militaires français en opération.
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