ALLOCUTION DE M. LE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE
8ème Régiment de Parachutistes d’Infanterie de Marine de Castres
Mardi 26 août 2008
Monsieur le Ministre,
Mesdames et Messieurs les parlementaires,
Monsieur le Maire,
Messieurs les Officiers généraux,
Mesdames et Messieurs,
Et si vous le permettez, Chers Amis,
J’ai tenu à venir, ici, au 8ème RPIMa de Castres. Parce que c’est le régiment qui a été le plus profondément meurtri, celui qui a payé le plus lourd tribut lors de l’embuscade d’Ouzbine. Parce que c’est aussi le régiment qui, avec plus de 500 hommes, est actuellement le plus engagé en Afghanistan, l’opération extérieure sans doute la plus difficile que nous menons depuis des années. Pour autant, je n’oublie pas le Régiment de Marche du Tchad et sa ville de Noyon, ni le 2ème Régiment Etranger de Parachutistes et de sa ville de Calvi, nous pouvons aller partout. J’ai souhaité venir ici à Castres, mais eux aussi ont été douloureusement frappés. En tout cas, que les hommes et les femmes de ce régiment sachent qu’avec tous les Français, nous sommes et nous resterons à côtés dans cette épreuve.
Je sais bien, et c’est bien naturel, que l’émotion, la douleur et la tristesse planent toujours au dessus de Castres et du Quartier Fayolle. L’ampleur et le recueillement de la cérémonie qui a eu lieu ici samedi en témoignent, mais il n’y a pas besoin de démonstration, cette douleur et cette préoccupation vous l’avez dans votre cœur.
Il faudra du temps, certainement beaucoup de temps, pour que nous puissions faire le deuil des 8 ‘’Volontaires », c’est le devise du Régiment du 8ème RPIMa, qui ont été brutalement arrachés à notre affection. Pour la plupart, ils ont été fauchés en pleine jeunesse. Ils commençaient leur vie d’homme; une vie qu’ils avaient choisie mais c’est la mort qui les attendait. Pour que ces garçons continuent de vivre dans nos cœurs, qu’il me soit permis, dans ces lieux qui leur ont été si familiers, devant leurs proches et leurs camarades, de rappeler leurs noms.
Adjudant Sébastien DEVEZ,
Sergent Damien BUIL,
Sergent Nicolas GREGOIRE,
Caporal Kévin CHASSAING,
Caporal Damien GAILLET,
Caporal Julien LE PAHUN,
Caporal Anthony RIVIERE,
Caporal Alexis TAANI,
Avec eux, sont aussi tombés le sergent Rodolphe PENON et le caporal Mélan BAOUMA. Je garderai ma vie durant la vision de ces dix cercueils, dans la chapelle ardente à Kaboul, dans la Cour des Invalides à Paris et je ne suis pas prêt d’oublier la douleur digne et silencieuse des familles, de même que le regard grave de leurs frères d’armes ; ceux qui avaient combattu avec eux et tous les autres qui regardaient partir des êtres chéris, des camarades, pour ce qui s’avérera être leur dernier voyage et, sans doute, avec toujours les mêmes questions : pourquoi lui et pourquoi pas moi ? A ceux-là je dis, vous n’êtes pas responsables de la mort de vos camarades. A ceux-là je dis en tant que chef des Armées, que je ne considérerai jamais la mort d’un soldat comme une fatalité, comme un risque du métier dont il faudrait s’accommoder. Un soldat, il est fait pour rentrer à la maison et ce n’est pas parce qu’il est un soldat que la mort est moins un drame et que l’absence est plus supportable.
Aussi, je m’engage solennellement devant vous à ce que tous les enseignements de ce drame soient tirés au plus vite afin que nos soldats déployés en opérations extérieures, et tout particulièrement en Afghanistan, puissent bénéficier de ce que l’on appelle le retour d’expérience, concrètement dans les délais les plus brefs.
Si j’ai voulu être avec vous cet après-midi, c’est d’abord pour me recueillir à nouveau avec vous et pour partager, la douleur et la peine de celles et ceux qui ont perdu un proche ; et puis aussi pour partager l’inquiétude de celles et ceux qui ont encore un mari, un père, un fils, un frère, un ami en Afghanistan qui y est ou qui va partir.
Je m’incline respectueusement devant la mémoire de vos camarades et j’adresse des vœux de rétablissement à ceux qui sont blessés.
Je rends hommage au courage de chacun, mais je voudrais dire qu’ils sont tombés loin de notre pays, mais pour des valeurs qui nous rassemblent tous. Ils sont tombés au champ d’honneur. Leur comportement est un exemple et doit amener la nation française à réfléchir sur la signification de l’engagement des soldats.
Le drame que nous venons de connaître vient nous rappeler que le métier militaire n’est pas un métier comme les autres. Il donne sans doute plus de satisfaction que les autres dans la passion qu’y mettent les militaires mais il se paie d’un prix beaucoup plus lourd que les autres.
S’engager dans la carrière des armes, ce n’est pas seulement cultiver la camaraderie, l’esprit de discipline et la loyauté. S’engager dans les armées, c’est accepter librement et en conscience qu’un jour on puisse être amené à tout donner à son pays y compris ce que l’on a de plus précieux : sa vie.
Les 10 de la vallée d’Ouzbine sont allés au bout de leurs convictions d’homme et de leur devoir de militaire et nous devons les admirer pour cela. Mais je veux dire que le combat qu’ils menaient là-bas en Afghanistan, c’est un combat juste, un combat que l’on ne doit pas perdre parce qu’en Afghanistan ne se joue pas simplement l’avenir d’un pays martyrisé par un régime obscurantiste qui nie les droits les plus élémentaires de la personne humaine. Là-bas se joue l’avenir de ce à quoi nous croyons. Là-bas se jouent les valeurs les plus fondamentales de toute civilisation digne de ce nom. Des valeurs d’humanité qu’une clique lâche et moyenâgeuse est bien résolue à remettre, et à les remettre en cause par la terreur. Et là-bas en Afghanistan, se joue une part de la liberté et de la sécurité du monde parce qu’une démission de notre part signifierait tout simplement le retour de la barbarie et la reconstitution d’un sanctuaire pour le terrorisme international. Il ne faut pas se tromper : là-bas on arme des terroristes et nous ne sommes pas à l’abri du terrorisme. Je le dis donc avec force : en abandonnant le peuple afghan à ses malheurs et à ses bourreaux, en abandonnant nos alliés démocrates dans l’exercice de responsabilités internationales que nous confère notre statut de membre permanent du Conseil de sécurité des Nations Unies, nous renoncerions d’une certaine façon à assurer la sécurité des Français et nous renoncerions au statut de grande puissance avec nos droits et nos devoirs pour la paix du monde.
La France est militairement présente en Afghanistan depuis décembre 2001. On ne peut pas, d’un côté dire que notre sécurité, celle de notre pays, celle de nos concitoyens est directement menacée par ce qui se passe là-bas et de l’autre fermer les yeux et refuser de prendre sa part de responsabilité à ce qui se passe là-bas. D’ailleurs, que les choses soient claires et je le dis à ceux que j’ai vu à Kaboul il y a peu de temps : je suis content de vous voir debout d’ailleurs, comme ces camarades ; ce qui se passe là-bas est un enjeu crucial. J’entends toujours dire qu’il faut défendre les droits de l’Homme mais là-bas nous défendons les droits de la femme qui sont les droits de l’Homme. Nous défendons les droits des enfants. Nous sommes aux côtés du peuple afghan qui a le droit à un Etat. Et nous ne voulons pas qu’à cet endroit du monde, une base se reconstitue pour alimenter, entraîner, financer le terrorisme du monde qui viendra frapper comme cela a déjà été le cas à Madrid, New York, Paris, Londres, et tant d’autres capitales.
Et c’est le sens de la mission des soldats qui sont en Afghanistan. Et ce n’est pas un hasard si, sur 27 pays européens, il y en a 25 qui y sont avec nous. Chypre et Malte sont les deux pays qui n’y sont pas. Qui viendra me dire que Chypre et Malte ont les mêmes responsabilités pour la stabilité du monde que la France ? Et ce n’est pas une affaire de politique. Des gouvernements socialistes comme les Espagnols, comme les Anglais ont envoyé leurs soldats là-bas et des gouvernements qui ne sont pas socialistes les ont envoyés. Ce n’est pas une question de politique au sens partisan, c’est une question de réflexion. La civilisation, la démocratie, les valeurs de dignité humaine, on doit les défendre partout dans le monde parce que le monde est devenu un village et que si nous ne les défendons pas là-bas, alors nous le paierons ici. Alors je sais que cette mission est sans doute l’une des plus difficiles qui ait été confiée aux armées françaises. Et c’est justement parce que c’est difficile que les soldats qui y sont méritent notre respect et notre fidélité.
Alors, à tous les dix, je veux dire qu’ils peuvent être fiers de ce qu’ils ont fait. Que leurs familles sont fières d’eux ; que leur régiment, que leur ville sont fiers de leur sacrifice.
Alors, ces mots sont évidemment peu de choses et ces mots ne suffiront pas à apaiser le chagrin ou à calmer la douleur. Mais dans une démocratie comme la nôtre, le chef de l’État doit parler au nom de la Nation et la Nation doit exprimer sa reconnaissance.
Et je veux dire à titre personnel que je resterai auprès de vous. Que l’État restera avec les familles qui sont en deuil, et les soldats qui ont été blessés jusqu’au terme de leur convalescence. La communauté militaire est une famille forte, soudée, elle n’abandonne jamais les siens lorsqu’ils sont dans la douleur et l’adversité.
Je veux d’ailleurs dire aux familles qui ont perdu un être cher et qui, la semaine dernière aux Invalides, m’ont fait part de leur souhait de se rendre en Afghanistan pour voir le camp français où est stationné le 8ème RPIMa : je vous l’avais promis, je vous annonce que ce déplacement se déroulera les 12 et 13 septembre prochains parce que je veux que cela aille vite, ce déplacement là. Parce que, pour certains d’entre vous, voir le lieu où ils ont passé leurs derniers moments, c’est un élément qui leur permettra de commencer le travail de deuil.
C’est ma responsabilité de chef des Armées de décider d’envoyer des soldats français en Afghanistan. Mais c’est aussi de ma responsabilité de faire en sorte que les risques que prennent nos soldats soient les plus réduits possibles.
J’imagine la tension, le doute peut-être, de la section qui est en cours de préparation et qui s’apprête à partir à Kaboul pour reprendre la mission de leurs camarades rapatriés.
Je vais vous dire une chose ; ces questions là que vous vous posez, je me les pose, et c’est pour cela que je veux que les enseignements soient tirés de l’embuscade d’Ouzbine. Un tel drame ne peut pas se reproduire, en tout cas dans les mêmes conditions.
J’ai demandé au ministre de la défense et au chef d’état-major des armées qui m’accompagnent de me proposer, très rapidement – c’est une affaire de quelques jours, toutes les mesures qui permettront de garantir à nos soldats les meilleures conditions de sécurité possibles dans l’accomplissement de leurs missions. J’ai également souhaité que vous soyez informés de mes décisions et de leur calendrier de mise en œuvre. Je vous dois la transparence, vous l’aurez.
De même, j’ai souhaité que le Gouvernement fasse une déclaration suivie d’un débat et d’un vote organisée au Parlement. On voit d’ailleurs que la réforme des institutions que j’ai proposée, qui prévoyait ce débat et ce vote, était nécessaire. Je vois d’ailleurs qu’aujourd’hui certains de ceux qui n’ont pas voulu voter cette réforme me demandent le débat et le vote. Ils n’ont pas besoin de me le demander. Je ne suis pas un homme qui change de convictions au gré des changements d’humeur. Ce débat, nous le devons à la Nation. Et pour ce vote, il faut que chaque parlementaire prenne ses responsabilités et dise devant le pays : est-ce que nos soldats sont morts pour rien ? Est-ce que là-bas, cela ne vaut pas la peine de se battre pour les valeurs qui sont les nôtres et pour les droits de l’Homme ? Que chacun assume ses responsabilités comme j’assume les miennes.
Je ne prétends pas – bien sûr – ne pas faire d’erreur mais, mes responsabilités, je les assume parce que c’est mon devoir. Alors que chacun le fasse : devant les familles, devant les camarades, les camarades des soldats morts et devant le pays. J’ai une lourde responsabilité en tant que chef d’État et croyez bien que je veux l’assumer.
Dans une démocratie, il n’y a pas de sujets tabous, il n’y a pas de domaines réservés. Vous savez ces questions importantes dont on parlait, qui étaient tellement importantes qu’il ne fallait pas en parler. Justement, parce qu’elles sont importantes, il faut en parler, il faut en débattre, il faut aller jusqu’au bout de ce débat et de ces questions. J’ai souhaité que le Parlement prenne toute sa place dans les délibérations et les décisions concernant l’envoi de nos troupes sur des théâtres étrangers pour que nos soldats sachent que c’est toute la démocratie et toute la Nation qui se trouvera derrière. Je ne peux pas dire : j’ai la conviction que c’est un débat juste et avoir peur de mener le débat d’idées sur cette question.
Enfin, je continuerai à assumer pleinement mon devoir et croyez bien que je le fais avec gravité. J’ai senti cette gravité à Kaboul en allant rejoindre les vôtres et aux Invalides, de même qu’aujourd’hui.
Enfin, depuis 1951, le 8ème RPIMa a toujours été présent dans les coups durs, à chaque fois que notre pays en avait besoin. Je vous le dis, soldats, si vous êtes ici, ce n’est pas par hasard, vous avez fait le choix des armes et vous avez fait le choix de ce régiment. Ce régiment a une histoire, des traditions, des valeurs. A vous de savoir si vous voulez être à la hauteur du souvenir de vos anciens.Et dans le musée, il y a deux salles que j’ai visitées. Il va s’y écrire une autre page de l’histoire de votre régiment en Afghanistan avec les photos de vos camarades. Soyez fiers d’eux, soyez fiers de votre régiment. C’est cela le 8ème RPIMa. Vous étiez en Indochine, en Algérie ; au Liban, en Afrique, dans les Balkans et aujourd’hui vous voilà en Asie, parce que vous êtes des professionnels, parce que vous connaissez votre métier et parce que l’on peut vous faire confiance.
Le « 8 » a surmonté chacune de ces épreuves. Vous êtes les héritiers de cette glorieuse histoire dont vous gardez le drapeau. Je sais que vous aurez à cœur de perpétuer la mémoire de vos camarades et de les honorer comme vous honorez déjà les 19 officiers, les 70 sous-officiers et les 381 parachutistes qui sont morts pour la France sous les plis du drapeau du 8ème RPIMa.
Voilà ce que j’avais à vous dire, pour partager avec vous tout cela. Je le dis aux femmes qui sont ici, je le dis aux enfants. Ces mots ne sont pas là pour effacer, ils sont là pour soulager. En tout cas, si je les prononce c’est parce que je les pense. Je n’ai pas l’habitude de dire ce que je ne pense pas et je voudrais vous dire que, pour moi, c’était très important de venir ici et je vous propose que nous fassions ensemble une minute de silence à la mémoire de vos camarades.
Rendons-leur hommage en observant une minute de silence.
Source site http://www.elysee.fr les droits de reproduction sont réservés et strictement limités.