Une mission, pas de moyens : Démerdez-vous !

Voici une lettre rédigée par des stagiaires du cours des capitaines dans le cadre du thème d’étude « obligation de réserves, devoir d’expression ».

Le malaise de l’armée, au delà des problèmes matériels et financier que les mesurettes annoncées le 28 février par A.Richard, est largement la conséquence d’un haut commandement de plus en plus lointain qui malgré de belles paroles sur la « place centrale de l’homme » gère ses personnels, à l’image de l’ultra libéralisme mondial, à la fois de façon très technocratique et avec une certaine condescendance pour les problèmes du « petit personnel ».

Pour preuve cette libre réflexion parue dans le numéro 11 de la revue FANTASSINS publiée par l’EAI (Ecole d’Application de l’Infanterie) et disponible dans les Kiosques.

Cette libre réflexion validée par le général commandant l’école, ce qui n’est pas habituel au sein de la  » grande muette « , en dit long sur les inquiétudes et le désabusement des cadres de contact de l’armée de terre. A lire aussi l’article sur l’intérêt de maintenir le plan Vigipirate activé en permanence.

Le général commandant l’EAI rappelle aussi dans son éditorial que « le bateau avance, mais que si le courant va plus vite que le bateau, alors le bateau recule » et que « notre devoir est de nous battre, pour que les conditions qui nous permettent de remplir nos missions au service de nos concitoyens soient réalisées »,

PAROLES DE CAPITAINES

Mon général,

Il m’a été donné de vous entendre récemment au sujet des questions les plus brûlantes concernant aujourd’hui l’armée française. Clôturant un forum, vous avez pris la parole devant de centaines d’officiers et de sous officiers constituant à l’heure actuelle les forces vives de l’armée de terre.

Vous vous êtes dans un premier temps étonné, que les questions ne fusent pas de toutes parts. Puis, un chef de corps, de ce qu’il est convenu d’appeler un prestigieux régiment, s’est levé pour vous soumettre quelques-unes de ses difficultés concrètes et pesantes, mais ô combien d’actualité !

C’est alors qu’avec une pointe d’ironie, vous n’avez pas hésité à répondre sèchement à cet officier supérieur, par un lapidaire « démerdez-vous », avant de céder à la facilité d’un long monologue sur les problèmes insolubles du commandement parisien, faisant par-la même le coup du mépris à votre auditoire.

Ce jour là vous avez, mon Général, choqué nombre d’officiers.

Votre intervention nous a révélé combien nos petits problèmes vous semblent dérisoires. Quel décalage entre le traditionnel « oui, nous savons ; les plus hauts échelons sont au courant ; courage » et votre « démerdez-vous ». Comment désormais se croire soutenus par ses chefs et défendus en haut lieu dans « l’arène décisionnelle intra-périphérique ».

Vous avez par cette unique formule confirmé le rapport sur l moral et anéanti les efforts d’un autre grand commandeur qui nous priait, nous suppliait, nous exhortait presque sur le ton de la ferme remontrance à redonner notre confiance à nos chefs, sans doute parce qu’il avait décelé que cette confiance n’allait de soi.

Cette petite phrase à l’heure où vos régiments sont pris quotidiennement entre l’enclume des missions toujours plus nombreuses, et le marteau des moyens toujours plus fuyants a laissé et laisse encore planer une impression malsaine.

Je vous invite, mon général à visiter les unités pour asséner votre « démerdez-vous » à un pilote sans engin, à un tireur milan sans missile à un chef de groupe sans groupe, ou à un grenadier-voltigeur qui enchaîne tant de Statère, de Polmar et de Vigipirate qu’il n’a pas tiré une cartouche depuis presque un an. Fidélisez les effectifs dans ces conditions n’est pas forcément simple.

« Démerdez-vous ! », Démerdez-vous pour faire plus avec moins. Voilà la réalité.

Pour s’en convaincre écoutons le milieu civil : il souligne, sur un ton faussement surpris et un brin condescendant, que notre outil militaire ne semble guère être à la hauteur de nos prétentions. Ces militaires, qui paraît-il s’entraînent en permanence, se permettent de rater des rendez-vous majeurs comme celui que l’actualité nous fait vivre. Des voix commencent à s’élever, mais lesquelles ?

Quelques journalistes, autoproclamés spécialistes de la défense, vont d’hypothèses en conjectures et tentent d’expliquer pourquoi nous n’avons ni porte-avions, ni missiles de croisière. Il paraîtrait même que la France a du mal à solder ceux de ses soldats qui servent à l’étranger. Les hommes politiques ont peut être dit à nos généraux « démerdez-vous ».

Car enfin, non contents d’être privés de tout ou presque pour remplir nos misions, nous devons tolérer d’être pris pour des amateurs par un pays tout entier.

Il est maintenant devenu insupportable d’assister, impuissants, à l’ironie des politiques et des journalistes, sans qu’à ce jour un chef militaire n’ait pris la parole pour calmer haut et fort l’indignation de l’institution militaire, quitte à laisser ses étoiles sur le bureau. A défaut d’attendre d’eux qu’ils se fassent tuer, puisque les temps ne s’y prêtent guère, voilà du moins ce que les subordonnés sont en droit d’attendre d’eux de leurs chefs, ce qui dépassent quelque peu la portée d’un « démerdez-vous ».

Peut être serait-ce là l’héroïsme contemporain pour un général.

A l’heure de votre « démerdez-vous » nombre de français, malgré l’illusion d’un 14 juillet en grandes pompes – et à quel prix d’ailleurs ! – commencent à percevoir que derrière le sépulcre blanchi se cache un délabrement profond.

Le jour de votre intervention vous avez, mon général, raté la cible en terme d’audimat. Cette phrase, qui n’était peut être à vos yeux qu’une boutade est confirmation explicite du peu de sollicitude que le commandement témoigne pour ses troupes et ce, à l’heure où ce même commandement ne parle que de connaissance et de souci de ses subordonnés.

Quand donc nous épaulerez-vous dans ce combat de tous les jours, qu’à force d’avoir à  » se démerder  » nous risquons fort de perdre ?

À lire également