L’Enjeu

La France a consacré l’an dernier 1,97% de son PIB à la Défense, alors qu’il faudrait au moins 3% pour disposer d’une armée digne de ce nom. Les politiques le savent depuis longtemps, mais ils n’ont rien fait.
Aujourd’hui, la France a l’armée qu’elle mérite !
La marine prend l’eau,
l’armée de terre s’embourbe,
l’armée de l’air a du plomb dans l’aile.

Il suffit de constater la baisse de 13,5 milliards d’euros (86 milliards de francs) du budget pour illustrer ces affirmations. Le président de la République a décidé la construction d’une armée professionnelle moderne, réforme qu’aucun autre corps d’état n’a su faire. Et nous, comme par miracle, allons réussir avec un budget qui permet tout juste de financer les frais de fonctionnement traitements et retraites ?

Force est de constater que le gouvernement n’a pas suivi le chef de l’état dans sa vision d’une armée moderne, et nous déconsidère. Avec un budget 2003 en préparation qui va être amputé de 3,05 milliards d’euros (20 milliards de francs), un sous effectif récurrent, la vétusté des matériels, le manque de moyens, programmes d’équipements reportés, de véritables aberrations en terme de marchés publics, mauvaise répartition des dépenses, mesures récentes qui ne font qu’aggraver la situation de décalage entre chaque catégorie de militaires.

Au regard de cette situation, on est en droit de se demander si les politiques considèrent encore l’armée comme une force de dissuasion. Aujourd’hui, on a plutôt le sentiment d’appartenir à une armée appauvrie, affaiblie, à genoux. En résumé, le Gouvernement l’a rendue incapacitante.

Le succès de la réforme des armées semble d’ores et déjà compromis, car elle n’a pas encore abouti, quoiqu’en dise le ministre. Aujourd’hui, l’armée n’est plus en mesure de faire face efficacement à une éventuelle menace. Si nos hommes politiques ne réagissent pas, à court terme c’est la France qui ne pourra plus être en mesure de tenir son rôle stratégique dans un monde devenu dangereux. Quand bien même le devoir de réserve m’impose une certaine retenue, j’ose et je sors du rang pour dire à la France, que son armée souffre du désintérêt qu’elle lui porte.

Néanmoins, malgré le fait que les militaires aient perdu la foi, je reste persuadé qu’au fond de chacun d’eux, brûle une lueur d’espoir, qu’un jour viendra où ils auront les hommes et les moyens de réaliser ce dessein commun à tous : une armée professionnelle moderne, réactive, puissante, capable de dissuader, tenant un premier plan au niveau mondial.

Tel est l’enjeu !

Le Président de la République répond, dans une longue lettre mettant en
cause la responsabilité du gouvernement dans la politique de défense, au
courrier électronique adressé par un militaire du rang, membre de
l’Adefdromil.

Cher monsieur,

Vous avez bien voulu me transmettre un courrier électronique dans lequel vous me faites part de vos inquiétudes suscitées par l’évolution des crédits militaires et par la conséquence de ces réductions sur nos capacités de défense, et je vous en remercie.

Croyez bien que je partage vos inquiétudes : à différentes occasions, j’ai attiré l’attention du Premier ministre et de son ministre de la défense sur l’évolution du budget du ministère de la Défense, notamment parce qu’elle était de nature à remettre en cause les réformes fondamentales que j’ai engagées au début de mon mandat.

En effet en 1996, après une profonde réflexion sur les changements à apporter à notre outil de défense dans le nouveau contexte stratégique issu de la fin de l’affrontement Est-Ouest et marqué par de nouveaux types de conflits, j’ai lancé la réforme la plus importante de nos armées depuis les années soixante. Elle avait l’ambition de marquer un profond renouveau de notre défense.

Ainsi, de 1995 à 1997, sous ma direction, nos armées ont procédé à la modernisation et à l’adaptation de notre outil de dissuasion, à la professionnalisation et à la suspension du service national, à la définition du modèle d’armée 2015, dont l’accent principal a été mis sur la projection des forces, et à la prise en compte de la dimension européenne de notre défense.

Les objectifs de cette réorganisation sont en exacte cohérence avec l’évolution des menaces que nous avons aujourd’hui à affronter et dont le 11 septembre n’est que l’exemple paroxystique.
En revanche, depuis 1997, le gouvernement n’a pas voulu accompagner ce mouvement de modernisation. Sur le plan des principes, la gauche a toujours a été méfiante et divisée : pour elle, la défense n’a jamais été une priorité. Sur le plan des moyens surtout, la politique du gouvernement n’a pas permis de traduire en actes les orientations de 1995 ; le modèle d’armée 2015 est aujourd’hui compromis.

Alors que la France connaissait une période de croissance significative, qui aurait dû permettre d’au moins maintenir à niveau les crédits d’investissements, ceux-ci ont été systématiquement réduits pour financer soit la progression des dépenses de fonctionnement (financement des opérations extérieures) soit d’autres priorités gouvernementales comme le passage aux 35 heures- Le bilan au terme de la dernière loi de programmation fait apparaître un manque de près de 80 milliards de francs, soit l’équivalent d’une année complète d’investissements.

La tendance à se servir du budget du Ministère de la Défense comme d’une variable d’ajustement s’est considérablement accélérée au cours de cette dernière législature. Ce renoncement a des conséquences très concrètes. Le nombre de programmes décalés au cours des cinq dernières années ne permet plus d’atteindre le modèle défini en 1997. Aujourd’hui, le budget d’équipement des armées est sous-évalué, ce qui entraîne de graves conséquences sur la disponibilité opérationnelle de nos forces.

Des décisions majeures et structurantes sont repoussées à plus tard comme par exemple le lancement d’un second groupe aéronaval, qui pourtant contribuerait à renforcer et compléter notre capacité de projection, priorité du modèle d’armée 2015, ou les investissements dans le secteur de l’espace, pourtant stratégique en matière de renseignements.
Dans ces conditions, l’écart entre la France et la Grande-Bretagne ne cesse de s’accroître depuis quatre ans. Quand, en 2000, la Grande-Bretagne dépense en équipement par soldat plus de 50 000 euros, la France n’arrive à débloquer qu’à peine plus de 22 000 euros.

C’est pourquoi les crédits d’équipement de nos armées doivent être rétablis. Le plan Armées 2015 est toujours notre horizon : la prochaine loi de programmation militaire doit être l’occasion d’une véritable remise à niveau. La défense figurera parmi les priorités des prochains budgets et cinq milliards d’euros supplémentaires seront affectés à celui de la Défense. Je prends un engagement fort sur cette question.

Notre pays court, enfin, le risque d’une baisse du moral de notre armée, liée non seulement aux revendications catégorielles, bien souvent justifiées compte tenu de la disponibilité et de l’activité de nos soldats, mais aussi au sentiment d’une perte d’écoute et d’un manque de considération pour le corps militaire. Je souhaite donc que la condition militaire soit revalorisée.
Nos militaires sont également meurtris de voir l’honneur des armées mis en cause depuis cinq ans, souvent au nom d’une idéologie ou par sectarisme. La France doit assumer son passé, sans occulter ses erreurs, voire ses fautes, mais sans nier non plus l’héroïsme et la grandeur de ceux, innombrables, qui ont accepté pour elle le sacrifice de leur vie.

Cette situation n’est qu’une illustration parmi d’autres du manque d’intérêt de Lionel Jospin pour les grands sujets qui contribuent au rayonnement de la France. Espérant avoir répondu à votre attente, je vous de croire, monsieur, à l’expression de mes sentiments les meilleurs.

Jacques CHIRAC

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