La grogne monte chez les gendarmes

(Extrait du journal Le Parisien du mardi 15 mai 2007)

En 2001, c’était le clash. Les gendarmes avaient manifesté en uniforme dans la rue pour dénoncer pêle-mêle conditions de travail et de logement, et soldes peu reluisantes. Depuis, la grogne couve toujours et prend de l’ampleur.

Le futur ministre de la Défense risque de faire face à une nouvelle fronde. Les forums Internet sont plus que jamais le défouloir du malaise d’une gendarmerie déboussolée par l’inflation du nombre d’officiers, qui cumulent des augmentations « insolentes » tandis que les sous-officiers voient leurs salaires stagner et leur charge de travail augmenter. Forte de 105 000 hommes et femmes, la gendarmerie est commandée par 4 600 officiers contre 2 600 en 1995. Ils seront 9 000 en 2012 pour les mêmes effectifs ! Les gendarmes lorgnent sur le statut des policiers.

« 70 à 75 heures par semaine sans aucune récupération. » Sur les forums réservés aux soldats de la loi, la plupart des critiques portent sur « les charges de travail de 70 à 75 heures par semaine sans aucune récupération ». Ainsi, témoigne un gendarme de Rhône-Alpes, « les astreintes ne sont pas payées ». « La vie de famille n’existe pas », indique un autre de Languedoc-Roussillon. Chez les gardes mobiles qui viennent renforcer les forces de l’ordre partout en France et outre-mer, la fronde est encore plus dure : « On est absent huit mois de l’année pour 30 € par jour. » « Nous sommes logés, mais peu d’épouses de gendarmes travaillent », ajoute un président des sous-officiers d’une unité de Bretagne.

Rattrapés par la société des loisirs. « Beaucoup de gendarmes sont mal dans leur peau car ils ne savent pas ce qu’est le statut militaire. Ils veulent le beurre et l’argent du beurre. C’est aussi la conséquence de l’évolution sociale. Les fils de paysans ou d’ouvriers ont été remplacés par des diplômés qui veulent aussi avoir leur part de la société des loisirs », constate Michel Bavoil, le président de l’Association de défense des droits des militaires. « Bien souvent les gendarmes oublient qu’ils sont appelés à servir en tout lieu et tout temps. Mais chez les militaires, ceux de l’armée, cette disponibilité est compensée par le paiement d’indemnités non imposables », relève le responsable de cette association qui souligne « le fossé » entre le monde des officiers et celui des sous-officiers.

Des officiers privilégiés. Le coup de semonce a été entendu car le Conseil de la fonction militaire a recommandé une « revalorisation urgente » des soldes et préconise « une parité » avec la police. « On nous sert toujours cette soupe et rien ne se fait », proteste un adjudant, indigné par des « grilles indiciaires faites par des officiers pour des officiers ». Certaines augmentations dépassent les 400 € pour les officiers supérieurs. « L’effet est déplorable sur le moral des sous-officiers, analyse le colonel Jacques Bessy (lire ci-contre). Cette politique conduit à un contrôle hiérarchique plus important. Cela dévalorise et déresponsabilise les sous-officiers. » Ainsi un adjudant autrefois chef d’une unité se retrouve désormais simple chef de patrouille dans une fourgonnette.

Un cahier de doléances sur le Net de la gendarmerie. La Direction générale de la gendarmerie (DGGN) a pris conscience du risque de contagion de la grogne notamment grâce au Net. Elle a ouvert une messagerie interne où les militaires peuvent s’exprimer. Par ailleurs, les systèmes de concertation mis en oeuvre au sein de l’institution depuis 1989 pour prévenir les crises vont faire l’objet d’une expertise. Une décision saluée par les troupes.

« Le système actuel a montré ses limites »

JACQUES BESSY, 57 ans, ex-colonel de gendarmerie

Ce mouvement est-il légitime ?

Jacques Bessy. Oui, assurément. Les gendarmes ne comparent pas leur condition à celle d’autres militaires, mais à celle des policiers. Ils font le même travail, mais on leur en demande bien plus car ils ont un statut militaire.

Ils constatent un décalage dans le traitement qui leur est accordé. Certes, on n’est plus dans la situation de 2001, car les gendarmes ont mûri. Ils ont désormais bien plus conscience de leur rôle dans la fonction publique.

Quel est leur état d’esprit ?

Ils sont l’arme au pied et attendent des mesures et des réponses concrètes. La ministre Michèle Alliot-Marie a lâché des mesures de rattrapage mineures, des mesures d’attente, notamment sur les soldes. Tous attendent désormais ce que va proposer le Conseil de la fonction militaire de la gendarmerie en juin.

Quel sera l’avenir de cette force ?

Elle est à la croisée des chemins. Le système actuel a montré ses limites. Il faudra bien accorder un jour un droit d’association professionnelle aux gendarmes. Le commandement aura un contre-pouvoir à l’origine d’un nouveau dialogue. Mais ce statut devra être accordé à tous les militaires. L’armée est-elle prête à cette évolution ?

Propos recueillis par J-M.D.

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