Accidents du travail : quelques observations sur la responsabilité du chef de corps

Dans l’exposé du colonel Jacquou de Faulives une remarque m’attriste un tantinet. Elle a trait au « registre des constatations » : « Pas plus qu’il ne peut appeler l’attention de ses hommes sur la nécessité pour eux de se rendre à l’infirmerie … ».

C’est oublier un peu vite que la réglementation de base fait du chef de corps le responsable de la rédaction des « rapports circonstanciés » (RC : sorte de P.V. d’accident), à partir desquels le gestionnaire du registre des constatations peut établir un extrait (pièce essentielle mais non incontournable car un simple témoignage est déjà suffisant). Certains accidents, qui mettraient en évidence un défaut de prudence, une infraction aux règles de sécurité, un chahut, voire des sévices ne donnent pas toujours lieu à l’établissement d’un rapport circonstancié (sauf gravité incontournable).

C’est oublier aussi que le gestionnaire du registre des constatations n’est pas obligatoirement un médecin, mais pourrait être tout officier désigné par le chef de corps, voire le chef de corps lui-même.

Et là, deux problèmes se posent (déjà) :

1.- Les pathologies séquellaires, traumatiques ou non, inscrites en constatation dérogent aux obligations du secret professionnel. Il devrait donc être nécessaire qu’en toute connaissance de cause, la victime puisse décider si elle entend révéler les dîtes séquelles, dans le but d’en faire prendre en charge la totalité des frais de soins, puis l’invalidité résiduelle éventuelle sous forme d’une pension. On peut, en effet, penser que si les conséquences d’une entorse ou d’un traumatisme sonore peuvent être exposées sans dommage pour la victime, il peut exister des cas où l’intéressé préférera (ou préférerait si on lui en laissait le choix) une certaine discrétion.

2.- A contrario, et même en cas de rédaction spontanée d’un RC, la victime n’a pas la maîtrise de l’inscription au registre des constatations. Le médecin (à plus forte raison s’il est absent) peut très bien ne pas transformer le RC en inscription. Il peut aussi ne pas solliciter l’établissement d’un RC quand cela lui incombe (maladie ou blessé ignoré). La commission des pensions peut donc réclamer plus tard un papier sur la rédaction duquel la victime n’avait aucun pouvoir !

En fait, il revient bien au chef d’établir une procédure viable d’application des instructions relatives à la prise en compte des accidents « en service ». Procédure permettant par exemple la rédaction systématique d’un RC (sans détail médical et pour préserver l’avenir), mais l’inscription au registre des constatations à la seule requête « éclairée » des intéressés. Ainsi, en cas de revirement ou de l’émergence de séquelles imprévues, le RC et les éléments du livret médical seront suffisants (si tant est que le livret médical en porte une trace).

Le chef « défenseur des intérêts de ses hommes » n’est plus un mythe quand ce chef édicte des directives visant à préserver leurs droits. Rien ni personne ne lui interdit de faire rédiger par ailleurs et sur une feuille de choux mensuelle des conseils du même ordre d’idée.

Concernant l’imputabilité par présomption d’origine, et notamment le cas des surdités, il est évident que l’application du régime des maladies professionnelles aux militaires résoudrait, en partie, ce qui prend parfois l’allure d’une injustice flagrante. Il ne faut pas oublier cependant que les méthodes de calcul des compensations sont aussi très différentes et qu’il sera difficile de demander à un législateur de récupérer l’avantageux d’un régime « général » tout en conservant l’avantageux du régime particulier. Nous ne serons pas constamment en période électorale.

Enfin, la réduction considérable du champ d’application des situations d’imputabilité au service risque d’avoir une conséquence juridique imprévue. Jusqu’à ces dernières années, un militaire se déplaçait sur ordre oral, s’entraînait, exerçait un sport ou participait de bon coeur à des activités plus ou moins organisées sans trop se poser de question. On le contraint désormais à faire très attention à la situation réelle dans laquelle il se trouve (parfois à son insu).

En cas d’accident, il pourrait être tenté (et fortement incité par ses assureurs) à se retourner contre le donneur d’ordre imprécis, le propriétaire du terrain de sport sur lequel il se blesse, l’organisateur en tout ou partie de l’excursion dolosive, etc., etc. C’est à dire grosso modo les procédures judiciaires auxquelles sont confrontés les directeurs d’établissements, ou les chefs d’entreprises.

Le métier de chef pourrait devenir difficile …

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