Risque de déqualification des agressions sexuelles en outrages sexistes

Question écrite n° 10618 de Mme Laurence Cohen (Val-de-Marne – CRCE)

publiée dans le JO Sénat du 30/05/2019 – page 2829

Mme Laurence Cohen attire l’attention de Mme la secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations, sur le risque de déqualification des agressions sexuelles en simples contraventions, suite à la loi n° 2018-703 du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes qui instaure la possibilité d’une amende pour « outrage sexiste » pour « tout propos ou comportement à connotation sexuelle ou sexiste […] dégradant, humiliant, intimidant, hostile ou offensant ». Au 30 avril 2019, cette amende avait été infligée 447 fois, un chiffre très bas si on le compare au rapport 2017 de l’institut national d’études démographiques dans lequel trois millions de Françaises disent subir du harcèlement de rue chaque année. La secrétaire d’État a affirmé qu’il n’y avait « aucune déqualification » possible et une circulaire du ministère a expliqué que « la qualification d’outrage sexiste ne devra être retenue que dans l’hypothèse où les faits ne pourraient faire l’objet d’aucune autre qualification pénale plus sévère ». Néanmoins, de nombreuses associations dénoncent des faits relevant d’une agression sexuelle pourtant requalifiés en outrages sexistes. Ainsi, le 25 janvier 2019, le tribunal de Lyon a condamné un directeur d’entreprise pour outrage sexiste pour des faits relevant d’une agression sexuelle, à savoir frotter son sexe contre une employée en période d’essai en simulant un acte sexuel. Le 1er avril 2019, le tribunal de Beauvais a condamné pour outrages sexistes un homme pour des faits relevant d’une agression sexuelle, soit essayer d’embrasser une jeune fille et toucher l’entrejambe d’une autre. Alors qu’un agresseur sexuel encoure jusqu’à 75 000 € d’amende et cinq ans d’emprisonnement, l’amende de celui qui commet un outrage excédera pas 1 500 €. De même, ces condamnations n’apparaîtront pas sur le casier judiciaire ni sur le fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles (FIJAIS) et, en cas de nouvelle agression, les condamnés ne seront pas légalement considérés comme récidivistes, ce qui est notamment dénoncé par l’association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT). Alors que cette loi va faire l’objet d’une évaluation cet été 2019 par son ancienne rapporteuse à l’Assemblée nationale, elle lui demande la plus grande vigilance. Elle lui demande ce qu’elle compte proposer pour que des faits d’agressions sexuelles ne puissent plus être déqualifiés en outrages sexistes.

Transmise au Ministère de la justice

Réponse du Ministère de la justice

publiée dans le JO Sénat du 05/12/2019 – page 6038

La lutte contre les violences sexuelles est une priorité d’action majeure du ministère de la justice comme en atteste la loi du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, qui contribue à mettre en œuvre la nouvelle feuille de route nationale dédiée aux violences sexistes et sexuelles qui engage l’État jusqu’en 2022 et met l’accent sur la prévention et la sensibilisation, l’accompagnement des victimes de violences sexuelles et sexistes et la répression des auteurs de ces violences. Le législateur a créé de nouvelles infractions, étendu le champ d’application de certaines infractions de nature sexuelle et augmenté les peines encourues. Le délit de harcèlement sexuel recouvre désormais les propos ou comportements à connotation sexiste. Tout comme le harcèlement moral, l’exigence de répétition des actes a été précisée, afin de s’appliquer dans les cas où cette répétition est le fait de plusieurs personnes agissant de manière concertée ou à l’instigation de l’une d’elles, ou successivement, en ayant connaissance de la répétition des faits. Cette extension, qui a pour objet de réprimer les faits de « cyber-harcèlement », permet d’améliorer la répression en la matière puisque la circonstance aggravante d’utilisation d’un service de communication au public en ligne ou par le biais d’un support numérique ou électronique porte les peines à trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende. S’agissant de la contravention d’outrage sexiste créée à l’article 621-1 du code pénal, elle est définie comme le fait d’imposer à une personne tout propos ou comportement à connotation sexuelle ou sexiste qui soit porte atteinte à sa dignité en raison de son caractère dégradant ou humiliant, soit crée à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ». À la différence du harcèlement, la répétition des propos n’est pas nécessaire. En outre, l’infraction est constituée qu’il s’agisse d’un lieu public ou privé. De ce fait, de tels agissements commis dans le cadre professionnel entrent dans le champ de la répression. Il convient également de souligner que toutes les contraventions de 5e classe d’outrage sexiste aggravé par une circonstance telle que l’orientation sexuelle de la victime, la réunion, la commission dans un moyen de transport collectif ou par une personne abusant de l’autorité que lui confère sa fonction, font l’objet d’une inscription au bulletin n° 1 du casier judiciaire pendant une période de trois ans en application de l’article 769 5° du code de procédure pénale. Cette contravention n’a nullement pour objectif de se substituer à la qualification d’agression sexuelle dont les éléments constitutifs et les peines encourues diffèrent radicalement de la contravention d’outrage sexiste. L’agression sexuelle est définie par l’article 222-22 du code pénal comme « toute atteinte sexuelle commise avec violence, contrainte, menace ou surprise ». Dès lors qu’il y a une atteinte sexuelle sur la victime, c’est-à-dire un contact entre l’auteur des faits et la victime, ce comportement relève de l’agression sexuelle. À cet égard, le Gouvernement entend rappeler qu’en matière de délit, tel que l’agression sexuelle, la loi du 27 février 2017 a doublé le délai de prescription en le portant à six années révolues à compter du jour où l’infraction a été commise, permettant une meilleure prise en compte des victimes et améliorant la répression de ces infractions.

Source: JO Sénat du 05/12/2019 – page 6038

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